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Ôm


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 16/09/2015 à 02:06:43 par Loiseau

Les immeubles se laissaient doucement refroidir par la fraicheur nocturne. Toute la chaleur qu’ils avaient accumulé durant la journée s’évaporait et, en tendant l’oreille, on pouvait presque entendre leur soupir de soulagement. Pas facile de rester toute la journée sous le soleil quand on est un immense bloc de verre et de béton. L’asphalte défoncé, lui, se parait d’une robe de mirages inférieurs. Les haut-parleurs de la ville, habituellement muets, diffusaient une douce musique et si par le plus grand des hasards quelqu’un était entré dans l’immense métropole, il lui aurait trouvé une atmosphère magique et paisible. Le surréalisme de ces milliers de rues désertes, de ces longues allées sans un promeneur, de ces bancs vides d’amoureux, de ces cités que la vie avait quitté, aurait sûrement fait flancher cet hypothétique visiteur. Et d’où pouvait venir cette musique ? Une musique nostalgique mais porteuse d’espoir. Caressant le passé, effleurant le futur et survolant le présent.

Dans un parc où la végétation reprenait peu à peu ses droits, près d’un petit lac, un homme était assis. Au creux de sa main il serrait le fourneau d’une longue pipe en bois d’où se dégageait une fumée aux âcres relents de cannabis. Il contemplait le reflet des buildings dans l’eau vaseuse. C’était étrange qu’on puisse trouver hideuses ces verrues bétonnées et poétiques leurs reflets. Peut-être les rides à la surface de l’eau altéraient-elles leur réalité compacte et écrasante ? L’homme soupira. Sa pause méditative était finie. Il se releva et épousseta son jean, rajusta sa chemise, vida sa pipe avant de la ranger dans un petit coffret en bois qu’il laissa entre les racines d’un arbre proche. Prenant son temps, il sortit du parc. Un chat l’attendait à la sortie et le suivit un petit moment ; jusqu’à ce que l’homme s’arrête devant une animalerie. Il y entra tandis que le chat patientait à l’extérieur. L’animalerie était silencieuse, les cages vides. Cela faisait longtemps que l’homme avait libérés tous ces animaux. Certains s’étaient entre-dévorés, d’autres s’étaient établis à divers endroits de la ville et menaient une heureuse vie de pillage. Il s’empara d’une boite de pâté pour chat, vérifia rapidement la date de péremption et ressortit. Le félin se frotta affectueusement contre lui et un sourire fendit le visage jusque-là sombre de l’homme. A l’aide d’un canif, il ouvrit la boite et la vida dans plusieurs gamelles posées devant la boutique. Il savait que les chats n’en avaient pas besoin, au vu de la récente prolifération de souris et d’oiseaux, mais la minette qui le suivait depuis le parc n’avait pas de griffes et ne pouvait pas chasser, alors il la nourrissait. Puis ça rythmait ses journées de faire de petites tâches comme celle-ci. Il la gratifia de quelques caresses et l’animal miaula, reconnaissant. C’était un beau chat, aux longs poils roux et à la tête pointue. Ses yeux verts brillaient d’intelligence et de tendresse. Avec un petit « Au revoir » murmuré d’une voix enrouée, l’homme poursuivit sa route. Parfois, au milieu des buildings et des boutiques, il se sentait comme dans un labyrinthe. Un labyrinthe dont il ne voulait pas sortir, étrangement. Il s’arrêta une nouvelle fois dans une épicerie et prit un soda dans le frigo. Sans trop savoir pourquoi, il lança un « merci » en sortant. Vieux réflexe. Tout en le sirotant, il réfléchissait à son prochain arrêt. Il pouvait peut-être retourner au parc, maintenant qu’il avait nourri le chat ? Au lieu de ça, il préféra aller au cinéma. Il choisit de se rendre à son préféré. Certes, ce n’était pas la porte d’à côté mais il avait tout son temps. Le soleil commençait à se lever et il allait faire chaud. La climatisation d’une salle obscure serait la bienvenue.

En arrivant dans le hall du cinéma, il observa les affiches de films vieux de plusieurs années. Les couleurs commençaient à se faner et à chaque fois qu’il venait le visage des acteurs lui semblait vieillir un peu plus. Il se dirigea vers la salle de projection et sélectionna une bobine qui lui plairait. Il avait déjà vu ce film… il y a longtemps, mais un chef-d’œuvre pareil peut se regarder infiniment. Il lança le vidéoprojecteur et alla s’installer dans la salle.

Trois heures plus tard, les larmes ne s’étaient pas taries. Il était assis sur les marches d’un monument aux morts, grignotant du bout des dents une barre chocolatée. La musique du film résonnait encore à ses oreilles et le visage de l’actrice…

Il se leva sans plus chercher à essuyer ses larmes et courut vers le musée. Ses yeux avides se posèrent sur des œuvres de toutes les époques. Il se gorgeait d’Art comme un assoiffé d’eau. Il avait oublié… Il avait oublié que l’Homme savait aussi créer de belles choses. Il avait oublié cette sensation dans la poitrine, juste sous le sternum, et le frisson sur la peau. Il n’avait retenu que la laideur des constructions urbaines, la maltraitance animale, la pollution… Pourquoi ne s’était-il pas, lorsqu’il en était encore temps, raccroché à ces fragments de beauté ? A ces instants sacrés où l’âme et le corps résonnent ensemble devant une parcelle de divin. Comment avait-il pu survivre tout ce temps sans poser son regard sur quelque chose de beau, sans même chercher l’harmonie dans chaque aspect de sa vie ?
Aveuglé par la solitude et la tristesse, il avait préféré s’enfermer dans l’obscurité pour ne pas souffrir de l’absence de lumière. Un comportement absurde…
Il pleura longuement, allongé sur le sol froid du musée. Il se sentait vide, comme un bout de néant dans un océan de vie. Une fois ses sanglots apaisés, il parvint à se redresser. Oscillant parmi les chef-d’œuvres d’antan, il savait désormais ce qu’il fallait faire.


Si un voyageur venait à entrer dans la ville aujourd’hui, il verrait quelque chose qu’il ne comprendrait pas au premier abord. Il lui faudrait pour cela expérimenter la solitude, la gorge sèche de celui qui ne parle plus, la répétition quotidienne de gestes banals pour ne pas sombrer dans la folie… Il verrait le cri ultime d’un homme qui pensait trouver le bonheur dans la solitude et qui ne trouva que son propre vide. Il sut le combler, mais trop tard.

Sur les murs de la ville, s’étalaient d’immenses fresques de visages. Des visages célèbres et des visages connus seulement de celui qui les avaient peints. Des mains entrelacées, des sourires. Les plantes grimpantes créaient des décors somptueux, rendaient plus vivants encore ces humains de peinture. Dans les rues, personne. Sur les murs, un monde. Et résonnant entre les murs, la musique.


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