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5€20 (╯°□°)╯︵ ┻━┻


Par : Droran
Genre : No-Fake, Fantastique
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 11/11/2016 à 23:25:34 par Droran

—Rien ne sert d’essayer de cerner le futur si on ne gère pas le présent comme il faut.
—Oui oui, je suis totalement d’accord avec toi.
La rousse quinquagénaire se noyait dans le regard de l’inconnu, séduite par ces mots trouvant sens sous l’effet de l’alcool. Pour elle, les grouillements et bavardages faisant écho autour d’elle n’étaient plus que bruits de fond.
Plus confiant que jamais, engaillardi, l’homme assis en face d’elle emmena à ses lèvres la pinte de bière que tapotaient ses doigts suintant de transpiration. Trois gorgées cul-sec agitèrent sa pomme d’adam en des va-et-vient jugés sexys par la Subjuguée, alors accoudée et tenant son visage entre deux mains collées à ses joues. Sa moustache se para d’un manteau de mousse, qu’il arbora fièrement en continuant ses élucubrations :
—Tu sais, il n’y a pas d’avenir sans présent. Et le présent, il faut le prendre comme il vient. Perdre du temps à trop réfléchir sur son présent, c’est le laisser devenir passé. C’est le laisser glisser entre nos doigts.
—C’est bien vrai, ça.
—Et tenter de prédire le présent, c’est se projeter dans le futur, et donc passer à côté du vrai présent déjà en train de se dérouler.
—Trop de gens font ça, je ne les comprends vraiment pas…
—Moi non plus, c’est un peu triste. On est pas comme les autres, il faut croire.
—Oui, on est pas stupides, nous.
L’homme sourit. Elle revêtit un sourire à son tour. Pour lui, c’était une victoire courue d’avance. Il n’allait pas dormir seul ce soir et s’en félicitait préalablement par de subtils traits d’esprit remuant ses pensées.
C’est autant dans la poche qu’un smartphone 3.5 pouces.
Ça file aussi droit qu’un tir cadré dans Fifa.
C’est aussi abordable qu’une troisième démarque de fin de soldes.

Un rot viril s’échappa de la gorge du penseur.
—On y va ? Proposa-t-il à la dame.
Celle-ci acquiesça en un hochement de tête. Tous deux se levèrent en laissant racler les pieds de leurs chaises sur le plancher de l’établissement. Ensemble, ils titubèrent vers la porte de sortie, à côté de laquelle demeuraient pendus contre un mur leurs lourds manteaux. Des parurent qu’ils enfilèrent gauchement.
Alors qu’ils s’apprêtaient à sortir, le serveur du lieu s’approcha lentement d’eux.
—Vous vous en allez déjà ? Demanda-t-il à l’homme, d’un air laissant supposer qu’il souhaitait en venir à quelque chose.
—Yep, bonne nuit, lui souhaita le soûlard en refermant une main sur la poignée de la porte.
Une réponse qui ne plut pas au garçon.
—La nuit ne va pas être bonne si vous ne réglez pas vos consommations, monsieur. Vous me devez cinq euros vingt.
Le fraudeur se figea sur place, relâcha la poignée.
—Quoi ?
—Ce que vous avez bu, vous et votre amie. Vous me devez cinq euros vingt.
—Ah oui, pardon. Je vous donne ça.
L’étourdi s’écarta de la porte, s’avança vers le créancier en glissant une main dans la poche de son blouson pour se saisir d’un objet. Probable portefeuille soigneusement dissimulé.
Seulement, sans terminer son action, il se figea sur place. L’air perdu, le regard vague. Un état de pétrification qui persista une dizaine de secondes.
—À quoi vous jouez ? Osa lui demander le serveur, agacé.
Ayant capté cette question, l’homme tourna son visage vers lui sans pour autant prononcer le moindre mot. Se dessinait sur sa face de profonds traits traduisant une étrange incompréhension. Il sortit la main de sa poche sans rien y retirer, et abaissa son attention sur ses paumes, qu’il apposa ensuite sur sa poitrine et autres parties de son corps pour se palper lui-même. Ce qu’aurait fait quiconque souhaitant se prouver être bien en chair.
—Je… Je suis de nouveau humain ?!
— Pff, c’est quoi ce numéro ? Laissez-moi deviner, vous avez oublié votre portefeuille ?
Etonnamment, l’énergumène releva un regard vers lui.
—Mon porte-quoi ?
—Votre portefeuille, l’objet que vous avez dans la poche et qui contient les cinq euros vingt que vous me devez.
—Quel vocable ridicule…Tout comme vos palabres. Un peu de respect, exprimez-vous avec davantage de déférence. C’est au seigneur Roi, fils d'hélios tout puissant, descendant direct des premiers hommes et souverain incontesté d'Yggdrasil, que vous parlez. Pas à un vulgaire roturier ! S’exclama fièrement le pochard en bombant le torse.
—Mais, je rêve… S’il vous plait, ne me faites pas perdre mon temps. Donnez-moi juste l’argent que vous me devez.
Une expression de surprise ébroua l’ivrogne.
—De l’argent ?! C’est donc de cela qu’il est question dans votre supplication ? Les Saint-queue-rot-vin que vous souhaitez percevoir ? A moi, souverain suprême d’Yggdrasil, c’est un tribut que vous osez quémander ?
—Vous avez consommé, alors il faut payer.
—Balivernes, n’ai jamais rien fait de tel ! Prouvez-le ! D’ailleurs je ne sais même pas qui vous êtes, ou ce que je fais ici. Ces Saint-queue-rot-vingt, est-ce beaucoup d’argent ?
—Assez pour que je ne veuille pas avoir à les payer à votre place.
—Je vois…Votre avarice est sans limite, au moins autant que votre vilenie.
Perdu dans son délire, l’autoproclamé monarque s’approcha du bar s’étendant non loin de lui. Longue surface sur laquelle trônaient fièrement quelques bouteilles de présentation.
—Et ces drôles de récipients ont de la valeur ? Demanda-t-il en saisissant le goulot de l’une d’elle.
N’attendant aucune réponse, il la fit exploser sur le comptoir, puis balaya d’un revers de main les autres fioles alors que le liquide s’épandait en exhalant une forte odeur de vin rouge. Toutes tombèrent à droite et gauche du bar, touchèrent le sol en de violents fracas.
—Et ces reposoirs, sont-ils onéreux ?
En effervescence, il s’arma d’un tabouret, qu’il envoya valdinguer contre des étagères remplies de verreries en tout genre. Divers éléments qui s’entrechoquèrent, tintèrent tels des triangles qu’un musicien aurait frappé pour accompagner une splendide mélopée, puis explosèrent en d’innombrables fragments morfilés.
Rouge de colère, le déséquilibré saisit un autre tabouret, qu’il jeta sur la table où était accoudée sa compagne un temps plus tôt. Le siège balaya les pintes de bière encore apposées sur celle-ci, vint à se briser en deux contre le sol ; tandis que les fonds des verres enduisirent rapidement les lames de bois formant le plancher.
—Et là, maintenant, combien je vous dois ??? Je suis un dieu immortel, roi des rois ! Un jour je connaitrai tout l’univers et le gouvernerai ! S’emporta l’aliéné.
Sur ces mots, il courut vers la table, arma sa jambe. La pointe de son pied frappa si fort contre le dessous du plateau qu’elle se retourna, s’écrasa à quelques pas de clients voisins qui se levèrent en gémissant d’effroi.

AH AH AH AH ! (ノ`m´)ノ ~┻━┻ (/o\)

Un valeureux s’approcha, cherchant à jouer l’adversaire pour tenter de mettre fin aux exactions du détraqué. Hélas, forte d’un apprentissage des arts du combat depuis sa plus jeune enfance, l’âme prisonnière du déchaîné ne lui laissa aucune chance. L’opposant porta un coup de poing que le fou saisit au niveau du poignet. Le bras fut étiré d’un coup sec, et l’acharné fracassa d’un puissant impact le coude, brisant d’une seule frappe le membre du valeureux en deux.

MWAH AH AH AH AH ! ┻━┻ ︵ヽ(`Д´)ノ︵ ┻━┻

Il dansait sur le comptoir du bar tout en secouant une bouteille emplie d’un breuvage effervescent. Son pouce en fit sauter le bouchon, laissant d’un même temps jaillir un puissant geyser qu’il dirigea vers les innocents tentant de se faire discrets pour ne pas attiser sa colère !

BWAH AH AH AH AH ! ༼ノຈل͜ຈ༽ノ︵┻━┻

Il poussa un lourd frigo, qui bascula en laissant s’ouvrir les portes placées sur sa face principale. Une multitude de nouvelles bouteilles s’échappèrent de l’engin, roulèrent par terre. Le dément les saisit une à une, les envoyant à chaque fois exploser contre des murs de plus en plus éloignés pour faire reculer les gens et semer l’anarchie.

Puis soudain, il stoppa tout mouvement. Regard fixé sur un point imaginaire, accentuant une expression d’absence empreignant son visage.

______

Dans un lieu étrange, loin, très loin, par-delà le temps et l’espace :

Son corps fut pris d’un spasme incontrôlable. Comme une reprise de conscience, suite logique d’une longue défection. Instinctivement, il pencha la tête et toussa de tout son soûl pour expulser un corps étranger obstruant sa gorge. Sitôt, il put reprendre de longues inspirations qui gonflèrent ses poumons et ravivèrent ses sens.
—Il est vivant !
Au-dessus de lui se trémoussaient de soulagement les têtes velues de ses camarades d’isolement. Êtres félins au destin étroitement lié au sien.
Une langue vint caresser le pelage de sa joue. Prise d’un profond soulagement, l’une de ses camarades se jeta à son cou en ronronnant.
—Eu… Euka, c’est toi ? Où… Où est-ce que je suis ? Eut-il la force de demander, levant une patte au-devant de son visage pour constater la perte de son apparence humaine.
—Toujours dans cette affreuse barque… Lui susurra-t-elle à l’oreille, d’une voix aiguë piquée d’amertume.
Parvenaient à son ouïe les ronflements des moteurs et le claquement des pas résonnant depuis le pont supérieur, prouvant qu’il s’agissait de la stricte vérité.
—Et… Que m’est-il arrivé ?
Une expression de tristesse assombrit la frimousse de la demoiselle.
—Par ta faute j’ai eu la peur de ma vie. Alors que tu faisais ta toilette, tu as commencé à t’étouffer, à t’asphyxier en ingérant une boule de poils. Impossible de t’aider à la recracher. Très vite, as perdu connaissance… Et ton cœur s’est arrêté de battre un long moment. J’ai bien cru t’avoir perdu à jamais.
Le roi ingéra ces souvenirs, tenta de remettre en ordre les évènements dans son esprit.
—Ne crains plus rien, maintenant. Je suis là. On va tous sortir de là.
Il appuya les coussinets de ses pattes supérieures contre le sol. Ses camarades l’aidèrent à se relever.
—Je compte regagner mon royaume et le reconquérir ! Eructa-t-il en déployant de longues griffes aiguisées.

_____


Dans un lieu malsain, loin, mais moins, aux alentours de Montpellier :

Cerné de bris de verre, l’homme ne savait trop où se mettre. Silencieux, il porta un regard sur les personnes en présence, collées aux murs et le fixant avec effroi. ‘sont vraiment bizarres.
Sans dire un mot, il contourna un homme hurlant de douleur sur le sol, traîna des pieds jusqu’au serveur prostré près de la porte d’entrée. Plongeant une main dans la poche de son manteau, il sortit un portefeuille débordant de liquidité.
—Combien je vous dois, déjà ?
Le garçon agita ses bras en de longs gestes négatifs.
—Rien ! Absolument rien ! Voyez ça avec le patron demain !
Dubitatif, le buveur leva un sourcil.
—Euh… Ok. (Il tourna la tête vers son accompagnatrice, alors roulée en boule derrière un porte-manteau) Agapanthe, on va chez toi, ou chez moi ?
Elle ne répondit rien, se contenta de trembloter en lâchant une salve de pleurs effrayés.
—… Soirée de merde.
Sur ces mots, il ouvrit la porte de l’étrange tripot, et disparut parmi les dédales urbains.


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