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Six semaines en Allemagne | Réécriture |


Par : Non-Lus
Genre : Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3 : Il faut de tout pour faire un m...


Publié le 30/06/2014 à 12:00:21 par Non-Lus

Les portes automatiques du bus s’ouvraient, accompagnés de leur bruit métallique de routine. En montant, je traversais son unique couloir, essayant de trouver de quoi tenir debout dans la jungle humaine. Les usagers s’encombraient dans ces véhicules surpeuplés tous les matins. Comme à chaque fois, je me perdais dans un flot de questions ; Pourquoi les cours commençaient si tôt ? De qui venaient ces odeurs de sueur ? N’avait-il pas de douches chez lui !? Ces questions me tourmentaient tellement, que je n’anticipai pas la suite des événements. Ejecté de mes plaintes intérieures, je sentis mon corps s’aplatir violemment contre la vitre du bus, sous une pluie de rires satisfaits.

Dans la douleur, je finis par chuter sur le sol. Afin de reconnaître mes agresseurs, je tournais légèrement la tête ; « Oh non ! Pas encore eux… », Chuchotais-je discrètement. Ils étaient là chaque matin, noyés dans des pantalons bien trop larges, des pulls sales, des casquettes de travers et le crâne rasé. Leurs portables crachaient de la musique agressive dont l’éventail de mots s’étendaient de « pute » à « nique ce pays ». Toujours en bande, ils se tenaient au milieu du bus, prêt à agir sur n’importe qui. Il y avait deux méthodes pour qu’ils vous laissent tranquille : subir ou rejoindre leur clan. Personnellement, je n’étais pas fan des casquettes. Je ne voulais pas me rasé la tête et je n’étais pas assez amoureux de mon pays pour vouloir le « baiser ».

Je ne savais pas si ma ville était particulière pour ça, mais ici, le statut se corrélait avec vos habits. Vous étiez ce que vous portiez. Les jeunes qui voulaient coucher avec leur pays, par exemple, étaient les chiens de garde de l’école. C’était eux qui imposaient leurs lois. Il ne fallait pas les regarder dans les yeux, au risque de se voir lancer un terrible « Qu’est-ce qu’t’u regarde bouffons !!? » à la figure. Dans l’optique d’éviter de me retrouver écraser sur une autre vitre, je préférais me relever et avancer vers l’avant du véhicule.

—Hey Florian ! Par ici !
—Ils t’ont fait mal !?
—Sûrement !

Ils étaient là, tous les trois, à me regarder bêtement. « Ma bande ». Des amis d’enfance avec qui j’avais fait les quatre-cent coups. Certains d’entre eux, avaient réussi à résister à cette vague de style qui s’était propagée sur notre école. Admirable. Surtout ici. Je m’assis, silencieux, sur un des sièges libre. Devant mon mutisme, l’un d’eux s’écria :

—Tu devrais devenir « Skater » ! Les « Skaters » te protégeraient.
—Tu parles ! Florian ne sait pas faire de « Ollie », ce qui est la baaaase pour être dans leur groupe.
—Les gothiques alors ? Ils font peur, EUX !
—Ah bah oui ! Suffit de s’habiller en noir et de croire en Satan. Flo ? Bonne idée ?

Et encore ce débat. Nous habitions dans une petite ville conservatrice, entourée aussi de villages ruraux, où il ne s’y passait pas grand-chose. Un endroit bien trop calme, qui me faisait demander, parfois, si les bruits de nos pas ne dérangeaient pas le repos des morts. Le passe-temps d’un adolescent local était de boire de l’alcool mélangé à du jus d’orange, jouer les caïds de notre petite cité ou même se sentir incompris dans un monde sans Satan. Ceux-ci me donnaient l’impression d’avoir un besoin insatiable pour les projecteurs. La gloire. La réputation. Et nous dans tout ça ? Nous ne participions pas à toute cette hystérie, ce qui posait un grave problème à cette communauté. Donc, puisqu’il fallait absolument être catégorisé, ils avaient finis par nous surnommer… « Les perdus ».

C’était pour cela que les débats d’adhésion à un clan étaient fréquents. Ce surnom faisait pression. Il fallait toujours convaincre ces derniers que nous n’en n’avions pas besoin. Une routine fatigante. Eux aussi, semblaient peu à peu perdre pied. Je fermais les yeux car c’était de bons amis. Je m’en étais persuadé. C’est parce qu’ils m’entouraient d’ailleurs, que j’arrivais encore à me lever le matin, malgré cette sensation de malaise qui m’habitait ces derniers temps. J’avais encore ce cauchemar en tête, avec les mots de cette vieille femme, cet endroit énigmatique et ce gouffre dans lequel j’étais tombé. Je n’avais que le temps d’y penser brièvement. Mes amis me fixaient tous, attendant une réaction de ma part. Face à leurs remarques, je souris, en rétorquant :

—Gothique !? Non j’ai parlé à Satan et il n’aime pas les jeux-vidéos, c’est mort.

Le bus s’arrêtait enfin devant notre école. Pour s’y rendre, il suffisait de se laisser porter par le raz-de-marée humain, s’échappant des portes du véhicule. Mes camarades s’évacuèrent chacun dans leur classe respective. Je faisais de même, en rejoignant cette place du fond de la salle, qui m’était attribuée. A peine installé, je pouvais, comme à chaque fois, admirer le spectacle ahurissant qui s’offrait à moi. C’était la guerre ! Des avions fragiles volaient à basse altitude, essayant d’échapper aux boulettes agressives de papier. Les filles apeurées criaient et se cachaient sous leur bureau, attendant qu’un vaillant baiseur de pays ou faiseur de « Ollie » aille les sauver. Mais ces courageux soldats préféraient se consacrer à l’art de se sauter dessus, en usant de la technique habile du gorille enragé. Certains buvaient même de l’alcool sans jus d’orange, dopant de guerre très connu, pour impressionner cette fille, occupée à reconstituer sa trousse dont les cadavres de stylos jonchaient cruellement la salle de cours et…

—MAIS QU’EST-CE QUE C’EST QUE CE BORDEL !? A vos places ! MAINTENANT !

Un professeur apparu par surprise, furieux. Devant son regard sévère, les élèves s’assirent à leur place, d’une politesse venue d’ailleurs. Le champ de bataille d’il y a quelques secondes s’était soudain transformé en couvent vertueux. D’une voix autoritaire, celui-ci nous annonça fièrement :

—Bien. J’ai une grande annonce à vous faire en ce dernier jour d’école. Nous avons reçu les résultats d’aptitudes de la région ! Devinez quoi ? Notre ville fait partie des meilleures ! Aaah ! Et ces autres villes qui nous faisaient la leçon, pff ! Ils font moins les malins ! Heureusement qu’il y a des gens comme nous, avec de la terre aux souliers, pour remonter le niveau !

Ah oui, j’allais oublier. C’était propre à ma région. Une volonté intarissable d’ajouter de la difficulté, injustifiée, dans l’éducation. La stratégie avait tellement déplu, dans les villes alentours, que certaines écoles se plaignaient de perdre des étudiants au profit de nos établissements. Concrètement, les cours allaient plus loin que les autres et les corrections étaient plus rudes. Le résultat ? Une fierté micro-régional, mais à part ça, pas grand-chose. Personne ne connaissait vraiment les noms de nos écoles ailleurs et je ne comprenais pas vraiment ce qu’ils recherchaient dans cette politique scolaire. Surtout qu’à cause de ça, j’avais malheureusement raté mon année.

Dans une ambiance monastère donc, le professeur continuait de faire l’éloge de notre région rurale et de ses élèves, tout en marchant vers le fond de la classe. Arrivé à ma hauteur, il s’arrêta aussitôt. Nos regards se croisèrent quelques instants, laissant passer de longues secondes. Ses lèvres s’entre-ouvrirent alors, pour laisser échapper un cinglant :

— Vous savez que vous devez rester ce soir !?

J’acquiesçais silencieusement, dans le viseur de quarante pupilles amusées. Il faisait allusion à la convocation, reçu quelques jours plus tôt, à la réunion de ce soir. Au vu de mon année échouée, ma mère et moi-même devions nous présenter devant une armée de professeurs. Au programme : la grande discussion. Celle sur mes résultats scolaires. Celle qui émoustillait ce professeur depuis de nombreux mois. Elle se déroulait dans une salle austère qui accentuait la gravité que voulait probablement prendre le fonctionnaire. Il me détestait. J’entendais la haine trahir sa voix faussement bienveillante. Voilà le prix qu’il en coûtait, de ne pas participer au grand spectacle général. Ni acteur. Ni figurant. Ni bon élève. Ni dans un clan. Coupable de haute discrétion et timide récidiviste. C’était ce que j’imaginais.

Peu importe. Cela faisait de nombreuses années que je laissais l’entier de mon entourage décider de ma destinée. Je m’étais habitué à ne plus rien dire et suivre le mouvement. J’avais peur d’être différent. Non. J’avais peur que l’on remarque ma différence. Voilà. La réunion de ce soir n’était donc qu’un détail sur une route goudronnée d’avance, par eux, pour eux.

Le professeur me fit aussitôt volte-face, pour débuter sa dernière leçon d’allemand. Il tentait, comme à chaque semaine, de nous faire comprendre des exceptions grammaticales tirées par les cheveux. Je détestais ça. Cette langue. Ses sonorités agressives qui écorchent vos tympans. Ses tournures de phrases abominables. Je m’étais fait la promesse de ne jamais parler cet odieux langage.

Mon calvaire prit fin, après de longs quarts d’heure, lors du retentissement de la sonnerie. Le temps de prendre une pause et de rejoindre quelques amis dans la « cour des perdus ». Oui. Une petite fantaisie propre à l’établissement. L’école était composée de deux cours. Une devant l’entrée et une à l’intérieur. Respectant le système officieux de castes, la première était pour les clans et la seconde… Pour nous. Comme pour tout, nous avions finit par nous y habituer. Arrivé à l’intérieur, je ne reconnu qu’une personne. Elle attendait là, seule. Etrange, pensais-je, intrigué. En m’approchant, je lui lançai :

—Où sont les autres ?
—Oh, Salut Flo’.
—… Salut.
—Ils sont partis dans l’autre cour !
—Vraiment ?
—Oui, ils ne veulent plus être des « perdus ».
—… On avait dit qu’on s’en foutait pourtant.
—On est que deux dans ce cas, visiblement.

Nous nous regardions silencieusement. Puis, de façon synchronisée, nous décidions de courir vers la cour de l’entrée. Il fallait observer l’immersion de nos camarades dans le monde des autres. Quel cran ! C’était inhabituel. Malheureusement pour eux, avoir été un « perdu » ne permettait pas l’ascension sociale, visiblement.

—Mais regardez-moi ça. Des « perdus ».
—Ici !?
—Oui !
—Alors on s’est… perdu ? « les perdus » !?

Nos deux camarades étaient collés au mur, entouré de tous les élèves de la cour clanique. Un des chiens de garde s’avança vers l’un d’eux, en empoignant le haut de son T-shirt.

—A quel moment tu t’es dit que tu étais le bienvenu !!?
—C’est…qu…que…
—TA GUEULE !

Pour ponctuer chacune de ses insultes, celui qui voulait coucher avec son pays utilisait sa tête contre le thorax de mon camarade. L’entendre agoniser de douleur et le supplier d’arrêter, en ne pouvant rien faire, était insupportable. Les secondes avaient l’air de ne plus défiler. Jusqu’à qu’un professeur se décide enfin d’intervenir. Je fermais les poings, de toutes mes forces, en étouffant un inaudible « putain… ». Ces gens-là. Leurs vies étaient si faciles. Ils n’avaient qu’à se lever le matin et pénétrer dans un monde façonné pour eux. Ils vivaient heureux. En fait, je remarquais que finalement, ils s’étaient contentés de naître. Sans efforts particuliers, ils naviguaient sur le ruisseau tranquille de leurs vies. Sans omettre, bien sûr, d’opprimer ceux qui n’étaient pas dans leur cas. L’injustice dégoulinante qui traversait la cour, s’estompait, à travers les moqueries des clans. La sonnerie retentit.

En revenant dans ma classe, je décidai de passer le reste de la journée à me replonger dans mes pensées. J’étais blasé de ces scènes perpétuelles dans l’enceinte scolaire. Si seulement l’on pouvait changer. Illusions, croyais-je, dépité. Après ça, la journée se mit à défiler à toute vitesse, comme si elle était pressée de me vois assaillis, cette soirée-là.

La sonnerie hurla pour la dernière fois. Je courrais vers l’extérieur pour dire au revoir à mes amis, avant d’entrer dans l’enfer qui m’attendait. « Attendez-moi », criais-je distinctement à leur attention. Ils s’éloignaient. De plus en plus. J’observais leurs silhouettes disparaître lorsque, soudain, le pointu d’un coude s’enfonça contre l’une de mes côtes. « Casse-toi le perdu », me crachait un élève, avec dédain. Je fis demi-tour, douloureusement, vers l’entrée de l’école. La main sur mon corps, les dents serrées, je regardais fixement l’établissement scolaire en faisant le constat suivant : il était temps d’y passer.

Deux heures plus tard, j’étais là, assis sur une chaise glaciale. Au bord d’une table noir et rectangulaire, j’observais le cortège de professeur qui parlait à ma mère. Chacun établissait son bilan, forcément négatif, à mon sujet. Je remarquais l’expression de ma mère devenir de plus en plus grave, au fil des remarques. Lorsque vint le tour de mon professeur d’allemand, celui-ci me fixa quelques secondes avant d’introduire un discours massacrant.

—Voyez-vous, Madame, je suis professeur dans cet établissement depuis plus de dix ans maintenant. Dix ans, c’est beaucoup, vous en conviendrez. Cela veut dire que j’ai beaucoup d’expérience. Votre fils, je l’ai observé. Je vais être honnête avec vous. Il n’est pas fait pour l’école. Avez-vous pensez à le placer dans un établissement … disons… heu… plus spécialisé ? Ou peut-être pensé à un apprentissage !? Quelque chose qui ne demande pas beaucoup de réflexion ? Jardinier ? Votre fils serait un parfait Jardinier ! Enfin ce n’est qu’un exemple.

Les autres professeurs se lancèrent des regards d’hésitation, devant les libertés que prenait le professeur d’allemand. Le remarquant, celui-ci tenta de se rattraper.

—Enfin, ce que je veux dire par là, c’est que d’expérience, je sais que les situations semblables à celle de votre fils se concluent souvent par un placement parallèle au système scolaire standard. Mais ce n’est pas un drame, Madame. Il faut de tout pour faire un mo…

Les fonctionnaires lui lancèrent, cette fois-ci, leur regard le plus appuyé.

—Heu… Enfin c’est juste que… Voilà… J’espère que vous m’avez compris.

Le juge avait donc tranché, j’étais un inadapté. Quelqu’un qui n’était pas fait pour vivre auprès des gens normaux. Comme les gens normaux. J’étais figé, comme une statue de pierre, subissant l’érosion de sa propre vie. Lorsque la réunion prit fin, les professeurs se levèrent pour nous serrer la main, puis partirent dans un cynique brouhaha d’indifférence.

Je me tenais ensuite là, avec ma mère, devant l’entrée de l’école. Celle habituellement interdite aux « perdus ». En levant le regard, je remarquais toute la sévérité dans sa façon de m’observer. Le vent crépusculaire jonchait alors les murs. Nous ébouriffant. Dansant avec les plis de nos vêtements. Puis, il s’envola, ailleurs, nous laissant seul, dans un silence crispé et glacial. Elle finit, tremblotante, pour me demander :

—Est-ce qu’ils ont raison !?

Mais… Je restai silencieux.


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