Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Conjuring Book #1


Par : MrBlackOrigami
Genre : Action, Fantastique
Statut : Terminée



Chapitre 6 : PROLOGUE


Publié le 18/07/2012 à 10:46:46 par MrBlackOrigami

PROLOGUE

Au-dessus des étangs, au-dessus des vallées,
Des montagnes, des bois, des nuages, des mers,
Par-delà le soleil, par-delà les éthers,
Par-delà les confins des sphères étoilées,

Mon esprit, tu te meus avec agilité,
Et, comme un bon nageur qui se pâme dans l'onde,
Tu sillonnes gaiement l'immensité profonde
Avec une indicible et mâle volupté.

Envole-toi bien loin de ces miasmes morbides;
Va te purifier dans l'air supérieur,
Et bois, comme une pure et divine liqueur,
Le feu clair qui remplit les espaces limpides.

Derrière les ennuis et les vastes chagrins
Qui chargent de leur poids l'existence brumeuse,
Heureux celui qui peut d'une aile vigoureuse
S'élancer vers les champs lumineux et sereins;

Celui dont les pensées, comme les alouettes,
Vers les cieux le matin prennent un libre essor,
Qui plane sur la vie, et comprend sans effort
Le langage des fleurs et des choses muettes!

(Charles Baudelaire, Élévation)

Et tous ces nuages qui s’amoncelaient dans le ciel, cette entité qui me paraissait si loin maintenant mais pourtant si proche. Combien de temps s’était-il écoulé ? Combien de nuits avaient brulé ces ruines ? Tout me semblait si étranger dans ce paysage désolé. Y avais-je seulement vécu ? Non, il n’y avait que cette prison autrefois, et maintenant je possédais toutes les clés. Trousseau céleste que moi, âme, j’avais donné à mon pantin de chair et d’os. Je jaillissais des profondeurs dans lesquelles ils m’avaient enterrés et tentait de rassembler mes souvenirs dans cet orgueilleux organe qu’est l’encéphale. Miroirs lumineux du passé qu’elle n’avait pas fauché. Les morceaux se recollaient peu à peu…

Si je parvenais à tout me remémorer à présent, qu'étais-je il y à peine un an ?

Il y a un an...

Encore une journée harassante dans cette école qui ne m’apportait rien. La justice, comment pouvaient-ils seulement penser pouvoir nous l’enseigner dans ce monde ? Avocat, un métier qui te fera accéder à la haute société m’avait on dit. Les sots… Même à cette époque je n’étais pas naïf au point de croire à un système judiciaire cohérent dans un régime qu’ils ne voulaient pas appeler par son véritable nom. Mais il fallait bien que je mène une vie et je préférais rester assis dans un amphithéâtre à faire semblant d’étudier le droit plutôt que de m’enrôler dans l’armée. Une dictature, voilà tout ce qu’était notre pays, rien de moins, rien de plus. Des rois, de vertueux tyrans, en guerre depuis des siècles contre les autres peuples pour des raisons qui étaient tombées dans l’oubli. On ne les avait jamais rappelées au peuple : il ne devait pas savoir, jamais. Car le royaume luttait contre une science et non contre des hommes. Une entité stoïque à cette propagande environnante.

La milice royale et les forces de l’ordre surveillaient nos moindres faits et gestes, le moindre suspect était arrêté et déporté dans un endroit inconnu. Leur pire crainte était que l’ignorance de la population ne soit pas totale. J’incarnais cette crainte, et je n’étais pas le seul. Néanmoins, j’avais beau mener mes recherches depuis des années, je ne faisais qu’effleurer la vérité du doigt. Je savais que j’ignorais depuis tout ce temps un élément primordial, un élément qui me permettrait enfin de comprendre. Peu de gens savaient ce que l’on ne devait pas savoir et seule une infime partie de ces gens-là y croyaient vraiment. Il n’y a que les fous qui pouvaient croire à de pareilles légendes, disaient-ils, le roi faisait bien de les envoyer au bûcher. Et chaque nuit je me souvenais de ma mère dans les flammes, de mon père, de mon frère, et chaque fois que le soleil se couchait je me rappelais la haine que j’éprouvais envers ce monde qui m’avait laissé pour mort. J’en avais vu assez et on m’en avait enseigné suffisamment pour poursuivre l’œuvre de ceux qui m’avaient mis au monde. Les grimoires et les thèses s’entassaient dans ma cave, mon propre corps servait de cobaye pour mes expériences qui n’étaient pas toujours couronnées de succès. J’avais retrouvé des livres qu’on avait sauvé des autodafés, des témoignages précieux, des indices dans ma quête de savoir. Je devais me cacher, cacher ce que je savais, le simple fait d’être découvert me condamnait aux pires supplices.

Je devais me hâter, l’obscurité s’emparait déjà des ruelles étroites et abandonnées. Le couvre-feu n’allait pas tarder. Je sortais de l’université en trombe, sans dire un mot à mes semblables en prétextant que j’étais pressé, ce qui n’était pas un énième mensonge pour une fois. Je n’étais pas sociable, à quoi bon ? Autant éviter des ennuis à ceux qui m’entouraient : si la milice m’envoyait au bûcher, le sort de mes amis serait identique au mien. Il n’était pas rare aussi que l’on vous dénonce en échange d’une quelconque récompense. Autant faire en sorte que l’on en sache le moins possible à mon sujet. Les semelles de mes bottes claquaient contre les pavés froids des rues, la neige commençait à tomber. Je m’arrêtais l’espace d’un instant en haut d’un énième escalier pétrifié pour contempler la ville qui s’étendait devant moi : Londres, la tristement célèbre capitale du royaume. Un étrange entassement de vies et de constructions, une complexité et un gigantisme qui lui donne presque une personnalité. La ville est immense, si dense et si peuplée que ses immeubles et ses tours se développent en direction des cieux, érigeant sur plusieurs dizaines d'étages des strates de bâtiments tous différents les uns des autres. L'urbanisation est une parfaite anarchie mais elle ne manque néanmoins, je dois bien l’avouer, pas d'harmonie dans son éclectisme. Se superposent aussi plusieurs couches de passerelles et ponts métalliques, laissant alors tramways et trains passer aussi bien au-dessus qu'en dessous des bâtisses. Les usines éparpillées et les machines, véritables squelette de la cité, déversaient des nuages de vapeur dans le ciel qui s’assombrissait inexorablement.

La plainte d’un harmonica résonna dans mon dos. Je me retournai par curiosité. Une ombre était adossée contre un mur, immobile, soufflant simplement dans son instrument pour souhaiter un bon voyage à l’astre incandescent qui partait éclairer d’autres terres, des mondes meilleurs que celui-ci espérais-je. Le musicien portait une longue veste en cuir brun et un imposant chapeau qui lui tombait sur le nez. Sa barbe mal rasée et ses mèches de cheveux sombres qui sommeillaient sur ses maigres épaules achevaient de dissimuler son visage. Son bras gauche était couvert de plaques d’armures noires comme de l’obsidienne qui descendaient jusqu’à sa main recouverte par un gant de fauconnier. Une longue plume blanche décorait son chapeau qui était orné de clochettes et de multiples colliers pendaient à son cou. Des bottes ressemblant à un croisement entre des santiags et des geta complétaient la tenue de cet étrange individu. Il ne semblait pas vraiment préoccuper par le couvre-feu, loin de là… Il me demanda simplement une pièce lorsque je passai devant lui. Un mendiant ? Mieux valait pour lui qu’il ne croise pas la route de la milice… Je lui tendis une pièce de deux sous, il me remercia et continua sa mélodie mélancolique.

Je devais me rendre au croisement des rues jouxtant l’ancienne usine sidérurgique du quatrième district ouest, dans un entrepôt abandonné. C’est là que j’avais rendez-vous. Je comptais ensuite contourner les patrouilles en passant par les toits du cinquième district, suspendu au-dessus du vide et relié au cœur industrielle par deux ponts d’acier baignés de la vapeur des machines environnantes. Un passage périlleux dans lequel une personne normale ne se serait jamais risquée. Je n’appartenais pas à la norme. Courir sur les toits de la ville, je le faisais depuis toujours. Et s‘ il y a une chose que j’avais apprise au cours de ces dernières années c’est que le corps fixe certaines limites et qu’une autre part de l’être humain peut les ignorer… Comment ? Ca je ne le savais toujours pas, et j’espérais le découvrir avant qu’il ne soit trop tard. Ce soir, je devais mettre la main sur un grimoire que des trafiquants ont ramené du marché noir. J’étais rentré en contact avec eux et je comptais me procurer l’ouvrage, à n’importe quel prix… Nous avions fixé le rendez-vous dans cet endroit gelé envahi par des carcasses de géants de fer et d’acier rongé par la rouille, lèpre des métaux, un endroit où je pensais que la discrétion serait assurée. Je ne m’étais pas méfié. A peine avais posé un pied en ce lieu qu’un détachement de l’armée royale surgit de l’ombre et m’encercla. Non, emporté par mon intarissable soif de savoir, je ne m’étais pas méfié. Tout était fini maintenant. Il n’y avait jamais eu de grimoire, et ça, je l’avais su trop tard. J’étais incapable de faire le moindre le geste, de dire la moindre parole. J’avais échoué, j’étais si proche du but, cette conviction habitait tout mon être. Je ne saurai jamais, comme tous ceux qui n’ont jamais su. Oui, ravagé par mon inavouable haine, tout était fini maintenant. Mes cendres iront rejoindre celles de ma famille dans les ruelles de cette cité maudite.

Les gardes armèrent leurs arbalètes. Humains, automates ? Quelle importance maintenant ? Il m’importait bien peu de mourir de la main d’un homme ou d’une machine. Je m’étais résigné à mourir, écrasé par le désespoir de mon échec. Finalement, toute ma vie n’aura été que futilités : rien ne changera jamais. Je ne saurai jamais, comme tous ceux qui n’ont jamais su.

Une lumière rouge m’aveugla et un bruit assourdissant retentit dans l’entrepôt. Un garde s’écroula par terre dans une gerbe sang, la tête pulvérisée. Humain donc. Une voix me hurla de m’enfuir, ce que je fis sans me poser de questions. Je ne pouvais plus me poser de questions, mon cerveau était comme paralysé. L’adrénaline s’était emparée de mon corps et le guidait instinctivement vers son trépas. Je ne vis qu’une plume blanche parmi les coups de feu ou les explosions ensanglantées, je ne reconnus pas celui ou celle qui m’était venu en aide. Deux carreaux sifflèrent. L’un me transperça la poitrine puis l’autre vint broyer mes entrailles dans la seconde qui suivit. Je m’écroulai dans la neige, flocons de sang et glace de l’Enfer.


Si un seul être pouvait posséder une puissance qui lui permettrait d'oublier la crainte, ce ne serait pas lui qui la posséderait, mais son âme.


Commentaires