Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Dankor


Par : ElBloobs
Genre : Fantastique, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 06/05/2012 à 01:13:18 par ElBloobs

Le ciel était vide de nuages et plein d’étoiles. La Lune, presque au faîte de sa puissance éclairait le fortin d’une lumière trompeuse. Si trébucher était malaisé, voir l’archer embusqué l’était aussi. La construction de pierre était imposante : d’épais murs ayant survécu à autant de batailles que l’homme pouvait en provoquer, une tourelle large dominant les alentours… Mais le temps avait fait son office : les portes brillaient par leur absence, leur bois pourri étant tombé en poussière il y a bien longtemps de cela. Quant aux murs qui avaient résisté aux catapultes, l’érosion avait fini par en abattre certains pans. C’était un abri provisoire, la troupe ennemie devait y passer la nuit, le but du quatrième régiment était qu’elle n’y survive pas.

Dankor était allongé dans l’herbe écrasée, entouré par son escouade ainsi que par la troisième. Le reste du peloton, en tout une centaine d’hommes, était planqué dans la même position à d’autres endroits du bosquet, seul couvert à moins de cinq cents mètres du fortin. L’objectif du jour n’était pas particulièrement complexe : profiter de l’obscurité pour prendre le fortin sans se faire tirer comme du gibier. Malheureusement pour la piétaille, les généraux n’ont jamais compris que la nuit n’est pas toujours synonyme d’obscurité, tant pis, l’obéissance aveugle laisse une chance, contrairement au peloton d’exécution.

Dankor avait dépassé le stade de la peur, son esprit était vidé, son souffle ralenti, ses perceptions amplifiées. Le simple murmure de son sergent lui parut un coup de tonnerre.

-Ecoutez bien les gars, c’est pas parce qu’y fait nuit qu’on est invisibles mais on va essayer d’en profiter, on va pas faire comme d’habitude cette fois, on va avancer accroupis en trottinant, évitez au maximum de faire du bruit. Dés que les salauds en face se seront rendus compte de ce qui leur tombe sur la gueule, y vont se mettre à hurler pour réveiller tout le monde, là on va se disperser au maximum, lever nos boucliers et se mettre à courir comme si toutes les putains du paradis nous attendaient là bas.

Le sergent Baste savait quoi dire pour nous motiver.

-Vous avez compris ? Le truc c’est de passer le moins de temps possible sous leurs flèches, ensuite on rentre par où on peut et on les massacre. Compris ? Maintenant fermez là et attendez que l’escouade du lieutenant donne le signal, ensuite on fonce… Putain, Dorel me dis pas que tu chiales, c’est pas le moment mon gars, fous toi une baffe, fais ce que je te dis et tu t’en sortiras.

Dorel était le petit nouveau, arrivé y à deux semaines de la capitale, ses parents étaient des bourges qui l’ont viré de chez lui quand il a annoncé qu’il voulait faire partie de l’armée. Maintenant ils voyaient tous que la seule chose qu’il voulait c’était retourner chialer dans les jupons de sa mère, mais il gardait tout ça pour lui, courageux le gamin. S’il survivait aujourd’hui, il aurait peut-être le temps de devenir un homme.

Brusquement, Baste remarqua les signes de bras du lieutenant.

-On y va, si vous voulez avoir l’occasion de dépenser votre paye en putes et en bière, faites ce que je vous ai dit, on se retrouve au niveau du mur.

Il fallut à peu prés la moitié de la distance à parcourir par les assaillants pour se faire repérer, puis encore vingt mètres pour que les sentinelles réveillent tout le fortin et encore dix aux archers pour se mettre à tirer. Il restait à Dankor deux cent mètres à parcourir avant de pouvoir baisser son bouclier, relever la tête. Comme si souvent dans ce genre de situations, le temps se distordit. Il fallut des siècles à une flèche pour se planter dans son bouclier, le traverser à cinq centimètres de son bras et s’arrêter à deux fois moins de distance de son œil gauche. Il lui fallut une fraction de seconde pour se retrouver à traîner Baste, un trait brisé dans la cuisse, jusqu’au mur, qui ne semblait pas plus proche qu’avant. Pourtant, il finit par y arriver, et avec son sergent en vie de surcroît, la seule chose qui lui resta de ce moment fut le juron le plus ignoble qu’il n’eut jamais entendu, sorti tout droit de la bouche du sergent ventru quand Dankor le tira sur un caillou particulièrement pointu.

Seule une dizaine d’hommes étaient tombés sous les flèches, les survivants n’étaient pas blessés pour la plupart et l’adrénaline pulsant dans leurs veines exacerbait leur combativité, même le discours pitoyable du lieutenant ne réussit pas à les décourager.

-Je… Je suis fier de vous, le Grand Empire est fier de vous, et c’est pour lui que nous combattrons et exterminerons ces vils adversaires ! Allez valeureux soldats, vers la victoire !

Pas un n’était convaincu mais il leur avait donné un ordre, et ça leur suffisait. Ils chargèrent, chacun à travers l’ouverture la plus proche d’eux, désorganisés, braillant, les yeux brillants d’envies de meurtre, si bestiales et en même temps typiquement humaines.

-Sergent ?

-Bordel Dankor… M’étonnerait qu’on arrive à retirer la flèche sans m’arracher la moitié de la cuisse, et si je reste ici soit je me fais exécuter pour lâcheté, soit je me fais trucider par un groupe de fuyards… Aides moi à me lever mon gars, je tiendrais, évites juste de t’éloigner…

Baste était solide. La preuve : il était resté vivant assez longtemps pour être promu. Une fois debout seule la coloration rouge de la jambe gauche de son pantalon et le rictus qui apparaissait de temps à autres sur son visage trahissaient sa blessure.

-Allez, pas la peine de rester là comme deux fiottes…
Ils enjambèrent le mur écroulé qui leur faisait face et par lequel étaient passés une trentaine d’hommes. L’enceinte intérieure du fortin n’avait rien de particulier, la tour s’élevait dans le coin nord-est, le reste de l’espace était occupé par une immense tente, sans doute dédiée au commandant, et deux autres, plus petites : infirmerie et cuisines. Ca devait être un groupe d’élite, la majorité des soldats n’ont droit qu’au fameux pain sec accompagné de bœuf séché et d’eau. Quand ils sont chanceux, on leur donne un peu de fromage et quelques fruits. Vie de soldat…

Ceux ennemis avaient eu le temps de se réorganiser, les archers avaient troqué leurs bouts de bois contre des épées et au lieu du massacre d’ennemis désorganisés, le quatrième eut droit à une bataille rangée. Baste n’était peut-être qu’un sergent, mais il n’était pas idiot, il avait vu suffisamment de batailles pour savoir que celle-ci commençait mal pour eux, les types en face étaient mieux entraînés et équipés, et au moins le quart des tartarusiens ne pouvaient même pas approcher le combat par faute de place. Baste décida de rassembler un groupe pour tenter de les prendre à revers. La manœuvre, bien qu’audacieuse et mal organisée fut une réussite, le sergent, à la tête d’une quinzaine de soldats, arriva par le flanc et réussit même à faire pivoter la ligne de front. Dankor quant à lui, put enfin laisser place à son Alter-Ego, à ce guerrier enfoui en lui.

Il eut le temps de tuer trois soldats qui n’eurent même pas la possibilité de comprendre ce qui leur arrivait: taillade gauche, taillade droite, estoc. Le suivant se retourna à temps pour parer le coup qui aurait du fendre son crane en deux, il ne put en faire autant après avoir été déstabilisé par un coup de genou dans le ventre et il tomba, mort. Il continua ainsi. Longtemps. Seuls, à deux, à trois, ils n’arrivaient jamais à le surprendre, ils étaient lents, prévisibles, faibles, pitoyables. Pourtant, ses alliés n’avaient pas autant de facilités, la ligne de combat principal stagnait et son groupe avait du mal à avancer mais il y arrivait. Au bout de plusieurs heures de carnage effréné, les troupes adverses s’étaient réduites à un cercle d’une vingtaine d’hommes, essoufflés, blessés, couverts de sang, mais continuant de combattre, ils étaient conscients qu’il n’y avait pas de pitié à attendre, juste du temps à gagner, si ils survivaient et ils n’en étaient que plus dangereux.

Et puis ça se passa. Ce moment charnière dans l’existence de quelqu’un. Il y en à peu, mais quand ils arrivent, ceux qui y assistent ne les oublient jamais. Et ce quelqu’un en ressort changé. Et ce quelqu’un en cette douce soirée de combat était Dankor.

Cela commença par des flèches, trois exactement, pas assez pour attirer l’attention. Les trois cadavres qui en résultèrent par contre ne passèrent pas inaperçus. Et ils le virent. Il était à l’entrée de la tour, comme s’il avait passé ses heures à observer et qu’il daignait à peine descendre se dégourdir les jambes. L’arc donc la corde vibrait encore prouvait cependant qu’il comptait faire plus que marcher. Il endossait une armure légère, un plastron gravé protégeait son torse, et des jambières ses tibias. Il portait un pantalon en cuir souple, noir. Comme sa tête casquée, un casque magnifique d’ailleurs, finement ouvragé. Mais pas autant que la poignée de l’épée qui dépassait de son dos, poignée large, faite pour deux mains tenant une arme lourde. Ca contrastait avec sa carrure fine mais qui vibrait de puissance intérieure, d’équilibre. Et il souriait. On le voyait à la lueur de son regard et aussi à sa bouche que son casque daignait libérer.

Le combat se mit en pause, soudain nul n’osait se faire remarquer. Mais ça ne dura pas. Un des tartarusiens était à genoux, tâtant le pouls d’un des trois cadavres, une flamme de panique dans les yeux. Qui se mua en brasier de colère folle. Il se rua, épée dégainée, vers le guerrier rieur. Sa taillade passa au dessus de la tête visée, ses jambes furent balayées, il se retrouva à terre, les bras en croix, le souffle coupé, un pied botté sur la poitrine.

-Trop lent, pas assez contrôlé, la colère n’est pas ton amie mon pauvre…
Puis plus de souffle, une lame de dix centimètres de large plantée dans la gorge.
-Je n’ai pas de discours original à vous offrir. Faites selon vos envies messieurs, combat ou fuite, mais choisissez judicieusement, je n’offre pas de seconde chance.

Un hurlement sauvage s’éleva des vingt condamnés qui repartirent à l’assaut avec une vigueur renouvelée. Que cet homme ne leur soit pas venu en aide plus tôt ne leur vint pas à l’esprit, à ce stade, ils ne vivaient que pour l’unique moment présent, qui leur apportait l’espoir d’un futur. Et la bataille reprit. Cinq hommes avancèrent précautionneusement vers le guerrier. Il les laissa venir, les laissa attaquer, ils se laissèrent mourir. Frapper un nuage donnerait plus de satisfaction. Il se glissait autour de leurs lames et frappait, vif, trop vif. Ils ne durèrent pas deux minutes.

Dankor avança, l’épée ennemie qu’il avait ramassée en main, la lame était en à peu prés bon état, suffisamment il l’espérait. Le sourire du gradé s’élargit à la vue de son nouvel ennemi. Peut-être que celui-ci mériterait le titre de Némésis…

-Tu me sembles différent. Digne de moi peut-être ? On va bien voir… Je tiens quand même à te dévoiler mon nom avant de commencer, Farnor, c’est ainsi qu’on m’a nommé.

Dankor ne répondit pas, son souffle était ralenti, sa lame levée, son esprit focalisé, il ne ferait pas la même erreur que ses camarades.

Au bout d’une vingtaine de secondes passées à se tourner autour, Farnor se décida à attaquer. Une feinte latérale suivie d’un coup d’estoc au niveau du ventre. Dankor enleva son côté droit de l’attaque et lança une taillade verticale au niveau du cou, rapidement parée par la large lame ennemie, s’en suivit une contre-attaque en diagonale, une autre parade, une attaque, une esquive, un saut, attaque, roulade, taillade… Les duellistes n’étaient plus des hommes, ils étaient au dessus de ça. Un tourbillon d’acier, de chair, de nerfs, de sang, plus proches que ne le seraient jamais deux amants, ils se comprenaient mieux que quiconque et se détestaient autant qu’ils s’aimaient. Le combat dura, longtemps. Mais l’issue fut, comme à chaque combat à mort, pitoyable. Dankor aperçut enfin une ouverture dans la garde de Farnor, celui-ci aussi s’en rendit compte, une fraction de seconde après le moment où il eut pu reprendre le contrôle, son regard ne perdit pourtant pas son sourire. Sa bouche se remplit de sang. Celui-ci coulait aussi par son ventre percé par le côté. Dankor se retira, laissant les fluides s’écouler de l’ouverture béante.

Il était essoufflé maintenant, le sang battant à ses tempes l’empêchait de se rendre compte du silence régnant autour de lui. Lorsque ce fut fait, il releva la tête et les vit. Cinquante hommes, moitié moins que les attaquants initiaux. Il constata que Dorel s’en était miraculeusement sorti et qu’il le dévisageait avec les autres. Echevelés, brisés pour certains, tous le regardaient. Certains avec admiration, d’autres avec envie, quelques uns avec peur. Mais nul n’oublierait ce qu’ils virent cette nuit. Ces 2 heures de combat. L’aube avait eu le temps de se lever. Dankor combla les deux pas le séparant du mourant et s’accroupit au niveau de sa tête.

-J’aurais aimé te rencontrer dans d’autres conditions Farnor… Je vais prendre ton épée si tu veux bien, ça sera mon seul trophée, et ainsi, on ne t’oubliera pas.

Murmura-t-il

-Fais, fais… Tu as été un Némésis… Intéressant… J’imagine qu’on se rejoindra bientôt en enfer…

-Quand mon heure sera venue, pas avant, pas après.

-Bien…

Et il mourut, un sourire sanglant accroché à son visage. Dankor se releva l’épée gagnée à la main. Lame de dix centimètres, longue, lourde mais équilibrée, en acier bleu sobre, sans gravures, une garde courbée vers la lame, un pommeau gravé de circonvolutions était la seule touche d’originalité du forgeron. L’arme était parfaite.

Le guerrier et sa compagne étaient réunis, à jamais.


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