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Particules et regard noir


Par : Roi_des_aulnes
Genre : Sentimental
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1


Publié le 19/05/2009 à 03:47:57 par Roi_des_aulnes

Il était de ceux qui n'attendaient plus rien. Perdu dans la masse, il regardait les gens marcher et jouer leurs rôles et leurs histoires. Il riait comme tous, pleurait comme personne. Aimait ce qu'on aimait, detestait ce qu'on haïssait. Il ne voulait pas s'élever contre les autres, entrer en guerre contre eux. Tout ce qu'il voulait, peut-être, c'était qu'on l'oublie, qu'on cesse de le voir, qu'il ne soit enfin qu'une petite particule dans ce vaste univers, un bout de Dieu parmi d'autres.
Elle était de ceux qui voulaient tout. Dans les ombres et les lumiéres, dans les poussiéres et les savoirs, elle voyait les sueurs et les travaux, et dans chaque moment et chaque homme, elle sentait les mots de sa mére: « une longue bataille, ma fille ». Une très longue en effet. Un jeu vidéo, avec niveau à gravir et exploit à accomplir, une liste de travail à finir, en quelque sorte. Excellentes notes, famille à améliorer, des copains en net progrés. Une vie avec mention bien et les encouragements sincéres du jury. Une gamine qui croit encore que le futur est à construire, et pas à détruire, pensez-vous! Et elle y bossait, voyait ce qu'il fallait voir, pensait ce qu'il fallait penser une fois dans sa vie, au moins, parce que tout était un moyen au final. Pour chercher à être heureuse.
C'est par hasard que c'est arrivé. Ou pas, d'ailleurs. Il y a des attractions dans le chaos de l'univers qu'il ne faut pas chercher à expliquer. Des cours de maths particuliers, des numéros de téléphones échangés, un vide dans un agenda, quelque rendez-vous bien classique, et c'était déjà parti. Une histoire de particule. Banal. Elle cherchait un homme pas trop compliqué, un paragraphe pas trop chargé dans l'histoire de sa vie. Lui, il ne cherchait rien, il l'avait simplement trouvé.
Tout les soirs, à la recréation de l'aprés-midi, ils se voyaient, à la sortir du lycée. Au départ, il n'y avait rien de particulier entre eux, quelques banalités, des rumeurs et des rires, des yeux qui se croisent et des sourires qui se touchent. Ils ne croyaient pas à cet amour. Un profit réciproque, un moyen comme un autre de s'oublier.

Mais il y avait d'autres particules qui tournaient autour d'eux. Il y avait celle de l'autre, par exemple. L'autre, l'eternel second, le puceau, le rejeté, celui qui trainait sa carcasse déjà trop chargé de haine jusqu'à son bureau au premier rang, et qui partait vite, l'orgueil entre les jambes. Tous les deux, ils l'aimaient bien, ils trouvaient ça injuste, mais ça ne les touchaient pas spécialement. Ils n'étaient pas vraiment concerné. Elle parlait souvent avec lui, et, sous les yeux cerclés de verre, elle devinait parfois d'autres souffrances et un coeur qui saignait pour elle.
En le voyant tournoyer autour d'eux, voltiger de petits groupes en groupes, bafouillant et faible, pour tenter de les voir, il sentait quelque chose d'étonnant naître en lui. Il avait une chose que d'autres cherchaient. La fille qui dormait dans ses bras, avec qui il riait, il y avait un homme, avec années et famille avec proches et fêlures, qui la désirait plus que tout au monde. C'était cruel, mais il en était curieusement fier. Il se disait « il existe un homme, qui me deteste et qui me hait, un homme entier qui ne vit que pour ma mort », et ça le rendait encore plus fort. Il devait exister, rien que pour lui. Alors il l'embrassait, et dans son sourire, on voyait un début de bonheur, ce bonheur que tout le monde envie et deteste.
Un soir, pourtant, il y eut une particule très vieille qui explosa dans le néant, et dont les éclats finirent par les renforcer. Elle perdit sa grand-mére, et elle fit sensation à l'enterrement. A l'extérieur de son âme, elle souffrit, un peu, et son âme fut déchiré, mais au fond d'elle, elle pensa que ça valait mieux pour tout le monde, que maintenant, elle connaissait la Mort, et la souffrance, la vraie celle dont on parlait dans les films et les livres. Elle approchait de ses objectifs, et elle lui en parla, sous couverts de ses larmes et de ses mensonges. Et il l'écouta, parlait à nouveau, se cherchait un peu. Essayait de trouver ce qui pouvait lui correspondre.
En rentrant d'une fête, les deux ivres et heureux, elle l'embrassa à pleine bouche, en lui murmurant un « je t'aime ». Il lui caressa les cheveux, comme on lui avait appris, et il lui murmura des mots doux et tristes. Ils passérent devant un parc, l'enjembérent en riant, et là, sur l'herbe, s'aimérent pour la premiére fois.

Quand il rentra chez lui, épuisé, il se regarda dans le miroir, et il se vit. Peut-être pour la premiére fois. Il vit qui il pouvait être, le rôle qu'il pouvait jouer. Il se souvint d'abord des murmures d'amour, ceux qu'on peut dire à tout le monde, ceux qui ne veulent rien dire. Et puis il se souvint de la haine de l'autre, de ses petits yeux emplis de haine, de son visage disgracieux déchiré par la souffrance. Il se rappella les vêtements mal portés, et cette belle jalousie. Il respira, et ce fut comme si pour la premiére fois, il vivait. Il sourit.
Et ça continua, de plus en plus forts. Ni l'un ni l'autre ne compris sur le moment ce qu'ils étaient en train de faire. Personne ne le compris. Mais perdus dans le regard et dans les mots de l'autre, ils se construisaient, et se condamnaient. Car dans les lettres et les phrases, dans les baisers et les corps qui se rencontrent, dans les cris et les rires, ce n'étaient pas eux-mêmes qu'ils voyaient, mais leur amour. Et lentement, ils se fondaient dans cette image, ne vivaient que pour ses yeux. Il n'y avait plus d'objectifs à vaincre, sinon de se contruire toujours d'avantage. Il n'y avait pas de lieu où s'oublier, sinon dans les lévres de l'autres. Ils n'existaient plus que pour l'autre, ils étaient le rêve de l'autre, grandi et deformé, avec les beautés et les bizarreries des songes.
Devant les autres, ils changeaient. Plus secrets, plus éclatant, plus orgueilleux. Ils avaient trouvés leurs places, et ils ne craignaient plus rien. Un bonheur puissant et invincible, une rage violente, un partage absolu, et une vie condamnée.

Cela arriva tout simplement. Par une simple vague de particule. L'autre, le puceau, le second, arriva, et lui parla. A Elle. Il n'était pas là, ce jour-là, et il n'en sut jamais rien. L'autre lui avoua ses sentiments, lui donna une fleur, avec un sourire déjà perdant sur les lévres. Elle fut un peu surprise, en réalité. Elle n'y avait simplement jamais pensé. Elle le remercia, mais lui expliqua que ce n'est pas possible. Qu'il était comme un frére pour elle. Qu'elle aimait déjà quelqu'un d'autre. Bref, le genre d'horreur qu'on balance pour ne pas faire souffrir. Il ne dit rien et continua à sourire, mais un instant ses yeux quittérent ses mains tremblantes pour se figer dans les sien, et elle frissonna. Etait-ce de peur? Elle ne le sut jamais, mais aprés ces yeux noirs aux néants rougies par les larmes et les écrans, rien ne fut pareil.
Elle se regarda dans le miroir, chez elle, le soir, et elle ne se reconnut pas. Il n'y avait plus de volonté dans ses yeux. Plus de véritable rage. Où était passé les batailles, les manipulations, les révisions jusqu'à deux heures du matin, sa quête pour devenir populaire? Si elle devait se noter, aujourd'hui, maintenant, elle aurait combien, exactement? Elle sentit une boule douloureuse au ventre, et elle sortit de sa poche la photo de son amour.
Et ce fut le même qui la chercha, le lendemain. Ils se virent, se parlérent, se racontérent. Ils parlaient de choses et d'autres, comme d'habitude, mais il y avait un peu de distance. Comme un souci de vérité. Elle se sentait un peu mal à l'aise, et elle leva les yeux. Il y avait, à des métres et des éternités de là, les pupilles noires de l'autre, et le temple de ténébres et de souffraces qu'il lui offrait.
Quant à lui, il devint de plus en plus forts, de plus en plus bavards. De plus en plus interessant, aussi. Lui, l'envellope vide, était maintenant comme un masque parfait, un personnage de roman, avec faiblesse et félures, avec secrets avoués à demi-mot et moments de haines. Il était content de ce qu'il était devenu. Il n'était pas le plus beau, pas le plus fort, pas le plus puissant. Mais Seigneur, il était enfin complet!
Et puis il n'eut pas besoin de particule. Ses atomes se frappérent, se fracassérent, et il devint atomique. Il la vit, et il se sentit soudain attaché. Ils n'appartenaient pas au même monde. Parce qu'elle était réelle, matérielle, normale, avec des faiblesses et des laideurs. Lui, il était un personnage; un rôle à jouer, un Dieu en puissance. Ils n'avaient plus rien à faire ensemble, en réalité.
Ce fut elle qui le quitta. Un SMS envoyé, la matiére classique. Quelques excuses bredouillés. Un désolé en fin de message. Elle n'y croyait pas vraiment, elle pensait qu'il allait rappeller. Qu'il allait la supplier. Mais il n'y eut qu'un froid « ok », et ce fut fini. Aussi simple qu'une fusion nucléaire.

Elle se sentit libre. Il se sentit fort. Elle enchaina les amants d'un soir, monta ses notes, grandit et murit, apprit les classiques du rock et écouta un peu de rap. Il écrivit, plein de rage et de doux orgueils.
Et puis, un soir, chacun d'entre eux rentra chez lui, plein de bonheur. Elle se dit qu'il l'avait détourné de ses but. Il se la figura comme un boulet. Et ce n'était même pas de la haine, non, c'était comme une douce nostalgie, comme parler du pére noël ou d'un bon Dieu dans les nuages, un rêve d'enfant plein de naïveté et de bonheur, le signe d'une époque révolue. Ni l'un ni l'autre ne regrettaient quoique ce soit. Ni l'un ni l'autre n'en voulait à qui que ce soit. C'était du passé.
Et puis chacun d'entre eux voulut le dire. L'affirmer. Ils se sentaient heureux, et ils voulaient le crier. Mais à qui? A quoi? Il n'y avait plus personne autour d'eux. Plus de jeune fille volontaire. Plus d'homme orgueilleux. Plus de regards noirs. Juste le néant et le vide.
Et tout s'écroula.
Ce fut progressif, bien sur, mais ils étaient déjà perdus. Parce qu'il n'y avait plus rien qui comptait. Ils s'étaient construits l'un sur l'autre, comme deux particules, accrochés, solidifiés, par gravité et magnétisme. Mais ils s'étaient arrachés, et avaient séparé leurs âmes de leurs corps. Et, l'un et l'autre, seuls et perdus, ils partirent à la dérive.
Dix ans, vingt ans peut-être passérent, et ils restérent les mêmes. Orgueilleux et volontaires, tels qu'ils s'étaient fait. UN jour, ils recurent une lettre, l'un et l'autre. Un rendez-vous, un soir, dans un restaurant. Ils s'y virent. Seuls, à une table. Ils rirent. Regardérent le ciel.
Ils racontérent leurs vies. Ils s'étaient tout les deux mariés, elle avait eu deux enfants et avait divorcés, lui trompaient sa femme avec une de ses amies et avec ses bouteilles. Tout deux, sans parler, ils sentirent un vide chez l'autre, un vide qu'il n'y avait pas, avant. Ils se prirent la main, comprirent. Etait-ce vraiment de l'amour? Ou juste des mouvements d'yeux et de particules? Y avait-il des choses divines dans ce hasard qui les avaient poussés à se construire, et à se détruire?
-Tu pense qu'il reste un moyen de nous sauver?
-Je n'en sais rien. Tu voudrais essayer?
-je ne sais pas. Je n'ai rien à perdre. Mais...
Bien sur. D'autres particules les avaient déjà enchainés. Alors ils ne dirent plus rien. Ils comprirent qu'il n'y avait plus d'espoir. Que tout était perdu. Que rien ne pourrait plus jamais les sauver de leurs propres néants, de leurs mondes sans yeux et sans bonheurs.
Ils se regardérent, avec toute l'intensité qu'il était possible ils s'accrochérent et s'écorchérent, violérent et s'offrirent, ils se déchiquetérent, perdus, tristes, avec les ultimes forces des condamnés à morts. Elle pleura un peu. Lui non. Et ils marchérent longtemps dans les artéres de leur monde à eux, ce monde divisé à deux pour l'éternité, ce masque déchiré que chacun portait à la place des riens et des vides.
Derriére eux, assis sur un banc il y avait un simple homme en complet gris, qui les regardait. Laid, triste, moche, minable. De ceux qui font mal à voir. Il les voyait, les admirait, et dans ces mains laides et tremblantes, il y avait de la haine, cette haine merveilleuse et belle qui fait les histoires. Et ses yeux, bloqués derriére les lunettes, ses yeux noirs qui ne les avaient jamais quittés, ses yeux de Dieu décu par l'Homme, ses yeux les virent, et les regardérent. Il y eut une larme, qui s'écrasa sur le sol, et l'histoire d'amour de leurs vies, à tout les trois, et à tous ceux qui les cotoyaient, pris fin.
Et avec elle, les particules qui la menaient.


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