Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 27 : Cauchemard


Publié le 25/02/2013 à 15:01:47 par Conan

Le Faubourg Saint-Antoine.

Pas très loin de la place de la Bastille, ce boulevard commerçant était autrefois l'un des plus animés de Paris.
Des milliers de personnes foulaient son sol chaque jour. A chaque heure de la journée sa clientèle. Quand à cinq heure du matin, les premiers ouvriers se rendent sur le chantier, les vendeurs installent leurs étals sur le marché de la place d'Aligre, les éboueurs vident les poubelles remplies par des noctambules enivrés. Puis, à huit ou neufs heures du matin, ce sont les employés de bureau, les étudiants et les travailleurs qui déboulent sortent du métro par milliers, comme des fourmis hors de leurs galeries souterraines. Les touristes ensuite, Français, Chinois, Anglais, Américains, qui vont chez le tailleur ou le vendeur de chaussures. Quand on remonte le faubourg, ce sont les bazards, les restaurants Asiatiques ou les Kebab qui prennent le pas sur les boucheries ou les boulangeries. Puis quand vient le soir, et que les travailleurs prennent le chemin inverse en lâchant une petite pièce au clodo du coin, les nuiteux sont de sortie. Se retrouvant dans les bistrots et les bars dansants, s'alcooliser jusqu'aux premiers rayons du jour. Jusqu'à ce qu'arrivent les éboueurs et les agents de nettoyage. Et ainsi, encore et toujours, l'éternel recommencement. Le cycle Parisien du Boulevard Saint-Antoine.


J'y repense encore parfois, à cette époque. Planqué dans un bâtiment abandonné depuis des années, que la guerre et sa proximité avec le bastion rebelle de la Bastille n'a pas épargné, comme tous les autres de ce pauvre boulevard.

Depuis le troisième étage, nous avons une belle vue, Vinny et moi, sur les ruines qui nous entourent.

Maintenant, les enseignes qui n'ont pas été détruites, brûlées ou pillées ont baissé leurs grilles et leurs rideaux métalliques tagués et percés par les impacts de balles.

Le coin est calme. Tranquille. Toute la population a foutu le camp aux premiers jours de la guerre. Ceux qui ont préféré resté jonchent maintenant les trottoirs. Leurs cadavres gris ou noirs, pourrissant à l'air libre. Il faudrait être fou pour oser descendre dans la rue. Les ruines regorgent de snipers ou de pillards, n'attendant qu'une proie facile pour lui faire rendre l'âme facilement, simplement, d'une pression du doigt ou d'un coup de couteau.

Vinny est accroupi face à un mur dans lequel un obus de 25 a percé un trou, juste assez large pour que mon pote puisse y faire passer le canon de son fusil à lunette. Un FRF2, récupéré à l'arrache après le pillage des stocks de l'armée. En bas, la route, pleine de détritus et de résidus de saccages qui datent du début de l'insurrection. Pas un chat. Seulement des rats. Et des carcasses de voitures brûlées, aussi.
Les seuls êtres vivants du coin ne le sont plus depuis quelques semaines déjà.

Si Vinny et moi sommes ici depuis ce matin, c'est pas par hasard.

Tous les jours, inlassablement, un véhicule blindé loyaliste arpente le boulevard de haut en bas. Entre quinze et seize heures, il fait sa patrouille, passant ses lourdes chenilles par dessus les obstacles et les barricades de fortunes faites avec des planches de bois, des poubelles, des vieilles bagnoles ou des plaques de tôle.

L'une des choses que j'ai apprises au cours de mon service militaire, c'est que la routine tue. Eux ils vont, hélas, l'apprendre à leurs dépends.

Juste en face de notre bâtiment, en plein milieu de la route, il y a une plaque d'égout. Une plaque d'égout sous laquelle nous avons fixé vingt kilos d'explosifs au plastic, reliés à un détonateur électrique, dont je tiens l'allumeur. Une simple pression du pouce sur la mini télécommande, et un quart de secondes plus tard on ouvre la porte des enfers.

-Quelle heure il est ? Me demande Vinny, la tête enrobée d'un cheche noir, qui n'a pas décollé l’œil de sa lunette depuis que nous sommes en poste.
Je lève la manche de mon treillis et regarde ma montre.
-Moins dix.
-Il va pas tarder alors.

Je suis assis contre un mur. Je tire un peu sur le col de ma veste pour m'aérer. Tout le matériel que je poste sur moi m'étouffe.

Cagoule, lunettes de protection, gilet de combat suréquipé par dessus un gilet pare-balles léger, coudières, genouillères, pantalon de treillis rempli de barres énergétiques, rangers serrées à mort. Je porte peut-être la moitié de mon poids sur mon dos.

Puis, le vrombissement tant attendu se fait enfin entendre. Loin d'abord, puis de plus en plus proche.

On tend l'oreille. On arrête de respirer, et on reste immobiles.
-C'est lui. Tranche Vinny.

Je récupère ma petite télécommande et m'assieds à coté de lui, regardant la plaque d'égout par la fente.

-Il arrive. Prépare-toi.

Le blindé remonte lentement le boulevard. Il sera bientôt devant notre bâtiment. Sa tourelle se ballade de droite à gauche, prête a balancer la purée avec son canon de 25.
Il est gros. Très gros. Il doit occupe toute la largeur de la route pour avancer. Ses chenilles grattent le goudron et son poids fait trembler les murs décrépits des faibles immeubles qui se tiennent encore debout tant bien que mal.
-T'es prêt ?
-Ouais.

Je sue comme un porc. Faut pas que j'me rate. Je reste stoïque, la tête dans le trou. Finalement, il est pas si lent que ça.


Je vois le bout de son canon dans mon angle de vue. J'attends deux secondes, qu'il soit juste au-dessus de la plaque d'égout.

Ça y est, il y est, putain, j'appuie sur le bouton de toutes mes forces.

Et puis le blast. Le sol semble de soulever, poussé du bas par une force supérieure. Le bruit m'assourdit, et la fumée m'aveugle.

Il me faut quelques secondes pour revenir à mon état normal, et entendre un bruit de moteur tousser.
Le pilote pousse les commandes à fond, mais elles ne répondent plus.

Les chenilles ont quitté leur emplacement, et le bas du véhicule à foutu le camp avec. Le voilà immobilisé, dans un petit cratère creusé dans le macadam.
Vinny reprend son poste de tir, et attend.

L'écoutille de la tourelle s'ouvre. Un type en tenue digital essaye de s'en extirper. Vinny tire. L'homme dégringole du véhicule et ne bouge plus. Vinny réarme. Puis il se lève et court. Je le suis, pas trop près, mais pas trop loin.

La deuxième phase du plan vient de s'enclencher et c'est à Vinny de rentrer en action. Je suis son bouclier, et dois le protéger pendant qu'il fait le plus de crâne que possible. A chacun de ses tirs, nous changeons d'emplacement. Nous nous déplaçons d'immeuble en immeuble en utilisant des sorties secrètes. Des trous dans les murs, des couloirs reliant un bâtiment à l'autre. Les ruines ressemblent à des termitières, et il y a mille et une façons de se déplacer à l’intérieur.

Vinny se remet en place un peu plus en amont de notre position initiale. Il fait passer son fusil entre deux gros cartons remplis de sable.
Je suis cinq mètres derrière lui, adossé contre un mur, et surveillant l'entrée de la pièce pour éviter de se faire prendre à revers. J'espère qu'ils ne nous ont pas repéré.

Une tête casquée dépasse de l'écoutille. Je n'entends plus la respiration de Vinny. Seulement le léger bruit de son doigt pressant lentement la queue de détente. Puis le coup de feu qui claque, sec. Le casque percé retombe lourdement au fond du véhicule. Vinny réarme, et nous nous déplaçons à nouveau en courant, l'échine courbée, comme des fauves traquant leur proie.

On se remet en place un immeuble plus loin. Même rituel, Vinny trouve une planque dans l'obscurité, et attend un autre mouvement.

Moi, je suis en nage, et essoufflé. Je jette des coups d’œils dans le couloir derrière nous. Y'a pas un bruit.

D'autres bruits de moteur se font entendre.

Trois jeeps blindées approchent du blindé immobilisé. Les hommes postés aux mitrailleuses baissent la tête en passant près des ruines du Faubourg à la sinistre réputation.

-Tu crois que c'est jouable ? Me demande Vinny en les prenant dans sa lunette.
-Trop nombreux. On décolle.
-Ok. Suis-moi.

Il se lève et quitte la pièce.
-Attends.
-Quoi ?
-J'vais leur laisser un cadeau à ces connards.

J'enlève mon sac à dos, l'ouvre et en sort une grenade dont la goupille est reliée à un fil piège que je place à l'entrée du couloir. Quand ils se prendront les pieds dedans, ça fera du dégât. Et surtout, ça nous laissera plus de temps pour filer.

Je remet mon sac après avoir installé mon piège et planqué la grenade sous une feuille de journal qui traînait par terre, dans ce qui semble être une ancienne salle à manger.

Je suis Vinny qui court rapidement. J'ai du mal à suivre avec tout mon barda.

Nous arrivons dans une pièce où un gros trou trône au milieu du parquet. On saute dedans pour arrive un étage plus bas. Et on recommence la manœuvre, jusqu'au rez-de-chaussée. Je lève la tête. L'obus qui est tombé sur le toit a percé chacun des étages, et on peut voir le ciel bleu à travers le plafond.

Pas le temps de contempler les œuvres de la guerre. Vinny est déjà reparti, et je peine à le rattraper.

Nous quittons l'immeuble par un trou dans le mur. Dans la guerre, tout est une histoire de trous.

Nous nous retrouvons dans une petite arrière court sombre, jonchée de détritus. Une petite plaque d’égout dans les pavés. C'est notre échappatoire.

Soudain, on entend des voix venir de la rue. Trois soldats arrivent devant l'entrée de notre arrière-court. Je pousse Vinny qui était occupé à ouvrir l'entrée vers le royaume des eaux usées contre un mur pour le cacher et me jette dans un amas de sacs poubelles éventrés.

Les trois mecs ne nous ont pas repérés. Y'en a un qui leur parle en faisant des signes, mais pas moyen d'entendre ce qu'ils disent. Celui-là s'en va, mais les deux autres se tournent vers notre ruelle, et commencent à avancer.
-Ils nous on vus ? Chuchote Vinny, collé derrière son mur.
-Je sais pas... Chuuut.

J'ai pas eu le temps de me mettre dans une position de tir correcte et je suis sur le dos, à moitié allongé, mon fusil d'assaut sur le ventre. Je lève lentement le canon de mon FAMAS vers eux. Caché dans l'obscurité, j'ai des chances de ne pas me faire repérer si ils ne s'approchent pas trop.

Vinny descend lentement sa main vers son holster de cuisse et sort son 9mm. Mais en bougeant, son bras heure une canette posée sur le rebord d'un mur, et tombe au sol.

Les deux soldats lèvent leurs M-16. Vinny grimace.

Mon cœur bat contre mes tempes. Je pousse le sélecteur de tir sur la position rafale.

Ils avancent encore. Ils sont à moins de deux mètres de Vinny. C'est trop tard.

Je tire. Plusieurs salves de balles sur chacun d'entre-eux, tour à tour. Ils sont encore debout grâce à leurs protections pare-balles. Vinny sort de sa planque et leur tire plusieurs fois dessus à son tour, jusqu'à ce qu'ils tombent.

Est-ce qu'ils sont morts ? Blessés ? Pas le temps ni l'envie de vérifier. Ils sont par-terre, et sévèrement touchés. On se précipite vers l'égout. Ça gueule de partout dans le Faubourg. Vinny descend l'échelle en premier. Je le suis et remet la plaque au dessus de moi après être descendu dans le tunnel étroit et puant.

-On fonce ! Vers les catacombes ! Crie Vinny.

On court comme des dératés, les pattes dans les eaux troubles. Jusqu'aux catacombes. Ca empire. Ça s'accélère. Y'a des crânes sur les murs, des crânes partout. Des os. J'en brise un en marchant dessus. Ça craque. Ça résonne. On se retrouve au coin d'un mur face à une équipe d'hommes en noir. Alors on tire, à l'aveugle.

J'entends un type hurler « Flash ! ». Et puis je ne vois plus rien. Je n'entends plus rien. Un grand voile blanc s'est posé sur mes yeux et mes oreilles sifflent, bourdonnent. Je passe ma main dans le dos et attrape une défensive que je leur lance à mon tour. L'explosion résonne. Les éclats se figent dans les murs et me passent à quelques centimètres de la gueule. Je ne vois toujours rien. Je fais dépasser le canon de mon arme vers eux et tire en rafale. Je sais même pas où ils sont. Vinny gueule. Je crois qu'il me parle. Il me secoue l'épaule. Est-ce que c'est bien lui ?

Ça se brouille. Ça se mélange. Vinny est dans son fauteuil roulant.
-Qu'est-ce que tu fous là bordel !
-C'est de ta faute, Red ! De ta putain de faute !
-Non ! Non je voulais pas !
-Alors c'est le Hollandais ! C'est le Hollandais, hein Brenn !
-Je sais pas ! Je sais pas où il est !

Je passe mes mains sur les yeux. C'est Mélinda qui apparaît devant moi, sortie de nul part.
-Je t'aimais Red ! Pourquoi tu m'a fait ça ?
-Mais... Mais je voulais pas ! J'ai fait ça pour toi !

Greg sort de la pénombre, son flingue contre la tempe.
-Allez, vas-y ! Tire ! Tire bordel ! C'est tout ce qu'il te reste !

Il se marre. Il tourne autours de moi en riant. Et alors que je tourbillonne dans le néant, voilà Titi qui se plante face à moi.
-Alors Red, on s'en occupe du Hollandais ? Je suis prêt à reprendre du service. On va venger Vinny !
-Mais il est où ! Il est où putain !

Et tous leurs visages tournent autours de moi. Tous ceux qui sont restés sur là bas, au Kosovo. Ceux qui sont morts dans les rues de Paris et dans les forêts des campagnes de France. Orsini, Mike, Le Brun, Ricky, Dimitri.

Et le GI's, sorti de nul part. Il n'a plus de bras, plus de mâchoire. Il me fixe, avec ses grands yeux, ses jambes sont a moitié carbonisées. Il ne peut plus parler, il ne peut plus crier. Son casque de pilote de char est couvert de sang.


Je me réveille, je sors de cet enfer. J'regarde ma montre. Onze heures. Je sors de mon lit et me passe de l'eau sur le visage.

Quelqu'un sonne alors que je regarde le café couler dans ma tasse. Qui ça peut être ?

Je m'habille et me dirige vers la porte d'entrée.
-Qui c'est ?
Pas de réponse. Je regarde par le judas. Y'a deux types. Un petit brun et un grand blond, habillés en noir. Ils sonnent à nouveau. Je prends mon revolver.
-Pour la dernière fois, qui c'est ?
-On vient parler à Redig Brennan.
-Qu'est-ce que vous lui voulez ?
-Arranger les choses.

Arranger les choses. Je prends quelques secondes pour réfléchir. Est-ce que c'est un piège ? Pourquoi ils sonneraient et prendraient le risque de m'alerter. Surtout à cette heure-ci. Buter un mec en plein Paris à l'heure du déjeuner, ça fait du grabuge. Je déverrouille la porte et les accueille, arme au poing.
Le brun regarde mon 357 en levant un sourcil.
-Ça ne sera pas nécessaire.
-Vous venez pour quoi ?
-C'est le Hollandais qui nous envoie. Il faut absolument que l'on discute.

Je les examine de bas en haut.
-Ok. Entrez.


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