Note de la fic : Non notée

Les aventures orientales du Sergent Conan


Par : Conan
Genre : No-Fake
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1 : Journal, Partie 1


Publié le 27/12/2013 à 17:53:08 par Conan

Pour des raisons évidentes de confidentialité, je ne rentrerai pas dans les détails techniques liés à mon boulot. Les noms des personnes et des lieux ont également été modifiés.



Mercredi 27 novembre 2013.

22h00. Départ pour Al Dawha de l'aéroport Roissy Charles de Gaulle d'une soixantaine de militaires, appartenant à toutes les armées. Je suis le seul représentant de mon régiment. Certainement le plus jeune d'entre tous, aussi, que ce soit en âge ou en temps de service. Première fois que je prends l'avion depuis mes 2 ans. Autant dire que c'est ma première, tout court.

Jeudi 28 novembre 2013.

06h30, heure locale. Arrivée sur l'aéroport d'Al Dawha. Le soleil montant et le brouillard habituel de l'aube nous accueillent, de même que les policiers et militaires du Dawlat sur place, qui fouillent minutieusement nos sacs et musettes. Le Dawlat est plus tolérant que les états et émirats périphériques, mais ne plaisante pas au sujet de trois choses : l'alcool, le porc et le cul. A vrai dire, nous ne plaisantons pas non plus avec, mais dans un autre sens du terme. Le chargement plus lourd que compose notre matériel arrive peu après, et nous nous attelons à tout déménager et à remplir les trois camions militaires que les autorités locales nous ont prêtés. Des Renault ! Drôle d'ironie que de retrouver ces véhicules Français à plus de 5000 kilomètres des usines qui leur ont fait voir le jour. La besogne nous fait rapidement suer comme des bœufs. A huit heures du matin, le soleil tape déjà fort, surtout quand, une semaine plus tôt, je courrais dans les collines Alsaciennes sous la neige par des températures négatives ! En tout cas, on peut dire que porter des caisses de près de cent kilos, ça aide les reins à se remettre de la nuit passée sur le siège d'un Airbus.

12h00. Après plusieurs heures à sécher sur le tarmac ou dans les hangars militaires adjacents, nous pouvons finalement embarquer dans le bus qui mène notre petit détachement d'une quinzaine de personnels à quelques 80 kilomètres au nord de la capitale, soit quasiment la moitié du pays à parcourir. Le reste de la troupe étant déployé dans un hôtel de la capitale. Le convoi se met en route, et nous passons brutalement de la grande et luxueuse Al Dahwa au désert quasi-total, s'étendant jusqu'où nos yeux nous permettent de voir. La ligne de l'horizon se définit du ciel en une ligne parfaite. Cette région ressemble en fait à un grand plateau sablonneux et caillouteux, où poussent quelques frêles arbres et d'immenses tours, sortis de terre comme par miracle pour l'un comme pour l'autre. Je pense avoir vu plus d'engins de chantiers et d'ouvriers ici, en plein milieu du désert, en seulement quelques heures qu'en quatre ans à Paris.

Après une petite demi-heure de route, notre convoi s'arrête à un régiment mécanisé. Nous sommes accueillis par un vieux gradé barbu, fumant tranquillement sa clope, les traits tirés par le temps et cramés par le soleil. Il baragouine quelques mots d'Anglais avec notre chef de détachement, un lieutenant au physique imposant, âgé d'une quarantaine d'années dont la moitié dans l'armée. Les deux semblent aussi à l'aise avec la langue de Shakespeare qu'une poule ayant trouvé un couteau. Notre lieutenant parvient néanmoins à lui faire comprendre que nous n'avons rien dans le ventre depuis le petit déjeuner dispensé dans l'avion par les hôtesses de l'air, huit heures plus tôt. Les Dawlatiens sont en week-end depuis une heure, leur jour Saint étant le vendredi. Un détail que nous avions laissé de coté avec nos affaires d'hiver. Ils préféreraient donc que l'on débarrasse leurs bahuts de nos trois tonnes de chargement avant d'aller nous rassasier. Mais ils se rendent vite compte que cet argument risque de ne pas faire l'unanimité. Nous nous rendons donc tous au mess. Tous hormis le lieutenant, et les personnels féminins, des filles de l'armée de l'Air, qui sont conduits au mess des officiers.
Ce que l'on m'avait dit avant mon départ en mission s'est avéré vrai : 80% de la nourriture que mangent les gens de ce pays est composée de riz et de poulet. Nous sommes accueillis dans la petite pièce aux nappes brodées recouvertes d'une protection transparente par un homme typé Indien en belle tenue : chemise, gilet, pantalon à pinces. Nous prenons chacun notre plateau métallique, compartimenté pour recevoir dans chaque récipient sa bouffe, une fourchette et deux cuillères, l'une en argent et l'autre en plastique. Peut-être n'ont-ils pas assez de visites ou aiment-ils particulièrement les Français, mais ces gens là savent en tout cas recevoir, même avec les moyens qu'ils ont. Nos plateaux sont même débarrassés de table par l'Indien, souriant lorsqu'il nous voit les prendre pour les déposer en cuisine. Un luxe auquel nous n'étions pas habitués en France !

Après le repas, pas de temps à perdre. Dès le début d'après-midi, et par trente degrés, nous commençons à décharger toutes nos caisses des camions. Les soldats sont visiblement pressés de partir en week-end. Mais ils attendent patiemment que l'on ait fini pour partir, avec le sourire aux lèvres, toujours.
Nous, nos deux jours de congés sont déjà passés, et sitôt le matériel débarqué, nous le déballons et montons ce qu'il y a à monter. Les autorités locales nous ont cédé un petit bâtiment carré d'un étage, excentré par rapport au reste du régiment, tout au bout du camp, en pleine zone désertique. Au moins on sera tranquille, et personne ne s'amusera à venir faire sa promenade nocturne ici. Nous avons un libre accès dans quasiment tout le petit cube qui nous sert de zone de travail. Mais le matériel est encombrant. Rapidement, les caisses en plastique kaki et en bois marron s'entassent dans les bureaux, les locaux, les couloirs, l'entrée... De grands champs antennaires sont installés sur le plateau désertique, en face du bâtiment. On perd encore quelques litres de sueur à tout trimbaler et bricoler en plein cagnard. Jusqu'au crépuscule, à 17h30, heure à laquelle revient le gradé, qui doit être l'officier de permanence, pour fermer le bâtiment dont il possède les clés. Il est visiblement surpris par notre acharnement à bosser au soleil comme des ânes, eux qui arrêtent le boulot à treize heures à cause de la température ! Direction le mess, puis la douche, froide. Heureusement que la tenue Désert que nous avons perçue est plus légère que notre treillis centre-europe. Je pense en souriant aux potes en Alsace, en les imaginant emmitouflés dans leurs polaires et leurs parkas. Ils doivent me haïr à l'heure où j'écris ces lignes. A 19h00, à peine allongé sur mon lit, je m'endort, et j'en écrase jusqu'au lendemain.

Vendredi 29 novembre 2013.

10h00. Nous avons été libérés pour la mâtinée. Entre temps, hier au soir, quatre des nôtres ont reçu des véhicules de location. Des berlines Ford de dernière mouture. Nous décidons d'une petite virée dans la ville la plus proche, Ad Khor. A vingt minutes de trajet, tout de même ! Nos belles Ford font pourtant pâle figure face aux imposants SUV dont raffolent les Dawlatiens, plus pour le bruit de leurs moteurs V8 et leurs couleurs métallisées que pour leurs vertus en tout-terrain. Nous empruntons ''l'autoroute numéro 1'', une énorme langue de macadam qui traverse le pays du nord au sud, bordée de part et d'autre par le désert et les engins de chantier qui l'habitent. La vitesse est limitée à 120km/h, et des radars flashent tous les contrevenants quasiment toutes les dix bornes. Un crime quand on voit s'ouvrir devant nous les quatre voies de la Number One jusqu'aux limites de l'horizon. Nous nous arrêtons au ''Ad Khor Mall'', un grand centre commercial qui n'a rien à envier à ceux que l'on trouve en Occident. Moi qui voulait du local et du terroir, c'est raté. C'est d'ailleurs ce qui m'a frappé dans ce pays : où que l'on soit, quoi que ce soit, un magasin, une échoppe ou une boite de conserve, tout est écrit en Anglais avant de l'être en Arabe. Je savais les pétromonarchies influencées par la culture Anglo-Saxonne, mais pas dans de telles proportions. Pourtant, nous devons quitter le centre commercial à peine quelques minutes après y être entrés : c'est le vendredi, et il est midi. L'heure de la prière. Depuis les haut-parleurs des minarets, les muezzins en appellent à Allah et à Sa grandeur. C'est assez intriguant, ce fait de pouvoir d'un coté être américanisé jusque dans sa vie courante, et de l'autre garder une grande part de traditions. J'ai vu des femmes Occidentales, Asiatiques ou même Arabes porter des pantalons et des t-shirt, et croiser sans souci un homme tout en barbe et djellaba et son épouse portant le niqab, tous deux la main dans la main, sans qu'aucun regard réprobateur ni même suspicieux ne soit lancé d'un coté comme de l'autre.

Samedi 30 novembre 2013.

Nous avons enfin terminé de monter et d'installer tout le matériel. Le local qui nous a été octroyé a été totalement défiguré par notre chargement qui passe pour un ovni aux yeux des militaires du cru. Des câblasses traversent le plafond, courent contre les murs ou tapissent le sol, d'énormes boites vertes sont entreposées dans une pièce au fond, vidée par ailleurs de tous ses meubles. Les machines ronronnent lorsque nous les mettons en marche, le groupe électrogène ronfle dehors, nos ordinateurs bipent sur nos tables. Tout le monde finit de bidouiller sa machine, les informaticiens règlent les derniers détails, ceux qui le peuvent commencent déjà à se mettre au travail sur leurs postes. En fait, tout cela ressemble plus à une fourmilière qu'a un centre opérationnel de l'armée Française. Personnellement, ce n'est pas pour me déplaire, l'esprit d'aventure et de débrouille, n'est-ce pas ce pourquoi avons-nous tous signé en bas à gauche ? D'autant que la plupart des autres gars présents sont des anciens, ayant déjà quelques années d'expérience et plusieurs missions derrière eux. Ils savent y faire, et ça se voit.

Dimanche 1er décembre 2013.

Si un jour on m'avait dit que je fêterai le premier jour de l'avent par une température de trente degrés à l'autre bout du monde, j'aurai arrêté l'alcool. D'une certaine manière, c'est chose faite ici.
Nous avons enfin pu commencer à nous plonger au cœur de ce pourquoi nous sommes venus au Dawlat. C'est donc avec un certain empressement qu'on se met au boulot, dès 7h du matin. Nous sommes constitués en deux équipes, la première travaillant de 7h à 12h30, et la seconde de 12h30 à 19h, tournant tour à tour chaque jour, nous laissant 24h de repos tous les deux jours. Un rythme à tenir pour le mois à venir.

Jeudi 5 décembre 2013.

Le boulot s'est enchaîné assez rapidement ces derniers jours. Pour souffler un peu, le commandement nous a payé une nuit d'hôtel sur la capitale. L'après-midi, après notre boulot, nous avons donc enfilé nos tenues civiles et avons parcouru les 80 et quelques bornes qui nous en séparent. Arrivés à l'hôtel, nous apprenons que nous serons deux par piaule. Je monte donc dans ma chambre avec mon binôme, un première classe à la carrure de rugbyman assez jovial et rieur, au 7ème étage. A l'intérieur, une petite pièce fait office d'entrée et de salon, au fond de laquelle est installé, entre le mur et le canapé, un petit lit d'appoint. Un rideau couvre l'accès à l'autre partie de la pièce, la chambre en elle-même, et son lit ''king size'' d'un mètre quatre-vingt sur deux. La discussion tourne vite court avec mon pote qui a ramené son PC: le salon bénéficie d'une prise Ethernet à laquelle il peut se connecter. J'ai donc droit au plumard de l'Apocalypse.

On a à peine le temps de s'installer qu'il nous faut redescendre : il est déjà 16h, et le reste du groupe à prévu de visiter la ville. Nous sortons et nous laissons emporter par les rues grouillantes comme des fourmilières. A chaque heure du jour et de la nuit, il y a autant de monde, de boutique ouvertes, d'enseignes lumineuses, de travaux. A croire qu'ils ne s'arrêtent jamais de bosser. D'ailleurs, les habitants de ce pays ne travaillent quasiment pas : tout le boulot est fait par des immigrés venus d'Indonésie, du Pakistan, des Philippines. Tant et si bien qu'ils sont incroyablement nombreux par rapport aux Arabes. Leurs conditions de vie semblent difficiles ici, mais ils n'en sont nullement affectés. Ils savent qu'ils ont du boulot, et de quoi nourrir leur famille. Tant pis si le prix à payer pour ça est salé : des dizaines d'heure de boulot par jour, et un statut de sous-citoyen.

Je me rends avec mon première classe dans un bureau de change, situé dans le quartier des immigrés, des prolos. A l'intérieur, des dizaines de visages bronzés et bridés font la queue pour envoyer du pognon à leur famille restée au pays. On fait la queue, comme tout le monde. Les gens nous regardent bizarrement et nous dévisagent franchement : qui sont ces deux Blancs, qui nous dépassent d'une tête, et qui semblent bien nourris. Mon pote porte un pantalon cargo et des brodequins militaires, un coup à ce qu'ils nous prennent pour des Américains.

Puis, un émir entre. Vêtu de l'habit traditionnel blanc et coiffé d'un keffieh immaculé. Il ne se gène pas pour couper la file et en prendre la tête. Ils discute en Arabe avec l'agent de change, un gros Indonésien aux lèvres lippues, jusqu'à ce qu'un guichet soit ouvert spécialement pour lui ! Dans le local, personne n'y trouve rien à redire. Normal.

Avec nos Rials Dawlatiens en poche, nous sortons et continuons dans la capitale, qui semble être séparée en deux par la corniche : d'un coté la Grande Al Dahwa, celle des cartes postales, des buildings illuminés, des tours de verre, des centres commerciaux et des boutiques de luxe. De l'autre, celle des petits bâtiments carrés de couleur sable, des échoppes poussiéreuses où s'entassent mille et uns objets, des plus recherchés aux plus improbables. Ces boutiques de bricole, ces bidouilleurs des coins des rues, ses magasins d'électroménager qui vendent tout, de la télé cathodique des années 80 aux lecteurs blu-ray dernière génération. Et puis, les montres, partout, dans chaque boutique, ils sortent des caisses entières de tocantes, souvent des contrefaçons des modèles les plus luxueux. A ce niveau là, ça tient du fétichisme.

On se ballade dans le souk tandis que la nuit tombe, et un seul mot me vient à l'esprit : Disney. Le souk a été construit artificiellement de toutes pièces, reprenant l’architecture des vieux bâtiments Orientaux. Tout ce qu'on peut y acheter, on le trouve ailleurs, mais deux fois moins cher. Il y a une partie réservée aux animaux : des chiots entassés dans des enclos, des canaris peints de toutes les couleurs de l'arc en ciel, et même une énorme tortue, affalée dans une cage. Les émirs viennent s'y balader avec femmes et enfants, et je me rends compte en réalité que le niqab que portent les femmes n'a pas plus une dimension religieuse que sociale : plus elles sont voilées, plus elles sont importantes. J'en ai même vu une le retirer en pleine rue, sans doute parce qu'elle en avait marre. Elle portait en dessous une robe de soirée ! J'ai arrêté de me poser des questions sur ce pays lorsque le douanier a fouillé mes sacs, mais là je dois bien avouer que j'ai du mal à ne pas m'interroger.

Après cette petite virée, les autres membres du groupe se rendent dans un hôtel Mercure, non loin de celui où nous sommes logés, tandis que mon petit camarade et moi cherchons une boutique qui pourrait nous vendre un transformateur pour remplacer celui qui a grillé au soleil. A chaque échoppe, le vendeur nous guide vers celle d'à coté, qui à nouveau nous oriente vers un autre. C'est ainsi que nous faisons pas moins de huit boutiques, avant de trouver un Pakistanais qui se propose de réparer le transfo en une demi-heure, montre en main. Nous attendons donc qu'il ait fini son ouvrage devant la boutique, à l'entrée d'une petite ruelle sombre, où s'entassent quelques pick-up bon marché. L'un des vendeurs de la boutique regarde un film d'action de Bollywood sur l'une des dizaines de télés accrochées aux murs. On l'imite, et on se marre avec lui devant l’exagération des scènes de combat ou des cascades. Trente minutes après, le transfo est réparé. Mon pote paye, et on s'engouffre dans la ruelle jusqu'à l'hôtel Occidental pour rejoindre les autres. Lorsqu'on y entre, les clients s'interrogent sur ces deux gars, sapés en mercenaires du dimanche qui montent au douzième étage.

Au douzième, on y vend de l'alcool, dans un salon au style très Européen. Pour y entrer, on doit donner nos passeports à un type de l'entrée qui les numérise. Le bar est enfumé, sombre. Les murs sont ornés d'ornements taillés dans le bois, et je m'amuse en voyant que la bibliothèque qui trône au fond de la salle ne contient que des ouvrages Français écrits dans la langue de Molière. Je prends une pinte, que je savoure. Puis une deuxième, que je savoure tout autant, et un whisky pour clôturer ces petites retrouvailles avec la vieille Europe.

Nous rentrons à l'hôtel sur les coups d'une heure du matin. Les ouvriers bossent toujours sur les chantiers, et les Pakistanais sont encore dans leurs boutiques, ou assis sur le bord des trottoirs et des escaliers. Des dizaines de véhicules continuent de passer dans les rues. On rentre dans notre suite, et je me plonge dans un bain moussant, dans lequel je finis par m'endormir.


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