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L'enfant de Prypyat


Par : Absolenko
Genre : Action, Polar
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 15/03/2015 à 15:55:29 par Absolenko

Chapitre 2 :

Le réveil sonna, une fois encore. Yevhen grogna mais ne résolut toujours pas à se lever. Il avait très mal dormi et ne se semblait pas capable d'effectuer un tel effort. Finalement, il décida de se bouger et tourna la tête vers l'horloge. 9H00. Il était déjà en retard, parfait...
Soupirant, il sauta hors de son lit pour se donner de la motivation et prit ses habits posés à même le sol de sa chambre. Une chambre typique d'éternel célibataire. Tout était dérangé si bien qu'une mère de famille hurlerait d'effroi devant un tel capharnaüm. Yevhen se laissait aller depuis bien trop longtemps.
Il sortit finalement de son antre et descendit au rez-de-chaussée. Il se dirigea vers la cuisine et fut surpris d'y trouver sa fille, Yulia, qui mangeait son petit-déjeuner tout en regardant les informations à la TV. Il pensait qu'elle serait partie travailler à cette heure-là. Yulia bossait dans le social, dans un centre spécialisé venant en aide aux plus démunis.

- T'es pas au boulot ?, fit-il à l'intention de sa fille.
- Je ne bosse pas ce matin, répondit-elle, j'ai posé congé pour récupérer de ma nuit. J'ai passé toute la nuit en boîte avec Volodymyr.
- Ouais je sais... Enfin, je veux dire, ah bon ?

Arf, ça lui avait échappé. Yulia ne s'y trompa pas et fronça les sourcils en se détournant de la télévision pour fixer son père.

- Comment tu pouvais le savoir ? Je ne t'avais pas mis au courant. Tu me caches quelque chose.
- Je ne veux pas que tu t'énerves..., soupira Yevhen en s'asseyant.

Il avait déjà la partie. Il savait très bien que sa fille ne baissera jamais les bras avant d'avoir obtenu ce qu'elle voulait.

- Alors dis-moi ce qu'il s'est passé.
- J'ai arrêté Volodymyr la nuit dernière lors de ma patrouille.
- Tu as QUOI ?
- Il a tenté de pénétrer dans le centre commercial ! Il avait pour but de dérober les multiples magasins du complexe !
- Arrête un peu de l'accuser ! C'est une de nos plus grandes fiertés au centre social figure-toi. Il s'est écoulé trois ans depuis qu'on l'ait pris en charge et il n'a pas commis de crime une seule fois.

« Evidemment, j'étouffe chacune des affaires dans lesquelles il est impliqué... », pensa Yevhen en omettant d'exprimer cette idée à haute voix.

- Tu te laisses juste prendre par son aversion à son égard, lui reprocha Yulia, ce n'est pas parce qu'il est un ancien délinquant qu'il est indigne de moi et de ton affection, par ailleurs.
- Je sais mais...
- De plus, s'il a quand même pu me rejoindre sans encombres à la boîte, sans même être en retard, j'en déduis qu'il n'a pas été retenu longtemps au poste. Preuve qu'il était innocent.

Yevhen enfouit sa tête dans ses mains. Ca ne s'était évidemment pas passé ainsi. Ah s'il avait fermé sa gueule... Etant très mal à l'aise depuis le début de la conversation, il préféra s'incliner et se soumettre, une nouvelle fois.

- Très bien.. Je suis désolé, Yulia. Vraiment.

Finalement peu rancunière, sa fille se leva et l'embrassa sur la joue.

- Cesse d'avoir peur, je t'aime toujours papa. Mais désormais j'ai 21 ans et il y a un autre homme dans ma vie. Et tu resteras toujours mon préféré !

Yevhen sourit légèrement devant les réconforts de sa fille. Son esprit était trop préoccupé et inquiet pour que cela le rassure totalement, mais ça eut le mérite de le rendre plus heureux sur le moment.
Soudain, la télévision émit un son aigu. Yevhen et sa fille reportèrent leur attention sur l'écran. Le journaliste de la chaîne d'info en continu venait de faire son apparition en plein milieu d'une page de publicités. Il avait l'air sérieux et commença sa tirade d'un ton grave et même mystérieux.

- C'est un drame affreux qui s'est produit cette nuit dans le centre-ville de Kiev. Un couple de sexagénaires a été attaqué par un individu dont l'identité n'a pu être identifié pour le moment. C'est ce matin que leur femme de ménage venait faire son travail quotidien, n'obtenant aucune réponse, elle utilisa sa propre clef et découvrit par elle-même l'effroyable scène : une maison sans-dessus dessous et le cadavre de la victime. Olga Hotchenko était une grand-mère de 5 petits-enfants, sans histoires et dont l'entourage loue sa bonté et sa générosité. L'autopsie est en cours. Et nous sommes sans aucune traces de son mari, Nikolai. Il aurait probablement été enlevé par l'agresseur. Nous vous tiendrons au courant des avancées et...
- Wow... Quelle horreur, commenta Yulia.

Elle se tourna vers son père :

- Dis, ils n'auraient pas besoin de toi au commissariat ?, fit-elle en arquant les sourcils.
- … Merde !

Yevhen se jeta sur son portable qui avait chargé toute la nuit dans la cuisine. Il détacha le chargeur et alluma l'écran.

- Sept appels en absence de la part de Roman.. Je le rappelle.

Il appuya quelques temps sur l'écran tactile puis colla son portable à son oreille.

- Allo, Roman ?
- Putain mon vieux, qu'est-ce que tu fous ? Ca fait une heure qu'on t'attend ! Y'a eu un meurtre hier soir et...
- Oui, je suis au courant, j'ai vu ça aux infos. Tu es sûr les lieux du crime ?
- Affirmatif. Grouille, le commissaire est très remonté contre toi. J'essaye de le calmer mais il est encore plus chiant qu'une fille qui aurait ses règles !
- Ok, dis-moi l'adresse et j'arrive.

Yevhen prit un post-it et nota l'adresse que Roman lui dictait à l'instant. Il raccrocha ensuite, mit le portable dans sa poche et embrassa sa fille sur la joue.

- J'espère que tu n'auras pas d'ennuis, lui dit sincèrement Yulia.
- C'est mal connaître Votchyevka, soupira Yevhen, je te vois ce soir. Salut !

Il prit son manteau de policier et sortit de la maison. Il monta dans sa voiture et démarra quelques secondes plus tard.
Après plusieurs minutes passées à vadrouiller dans les nombreuses rues de Kiev, il déboula dans la fameuse rue indiquée par son ami. Il avait un bizarre sentiment de familiarité en observant les alentours. Cette rue lui disait vaguement quelque chose...
Il n'eut besoin de chercher la maison salie par le meurtre, plusieurs voitures de police cernaient l'espace devant la-dite maison et des brigadiers étaient en train de sécuriser le périmètre. Yevhen se gara en vitesse puis sortit de son véhicule. Il pressa le pas jusqu'à ce qu'un policier aille à sa rencontre.
Réactif, Yevhen sortit son insigne et déclara :

- Major Chevakova.

Il dépassa le brigadier sans même attendre sa réaction et entra dans la propriété. Il croisa des enquêteurs qui examinaient la pelouse située devant la porte d'entrée. Leurs regards contrariés confirmaient malheureusement les suspicions de Yevhen : le meurtrier avait vraisemblablement dû marcher sur l'aller en béton. Cette piste ne donnerait rien.
Juste devant la porte d'entrée, Yevhen aperçut son commissaire qui était interviewé par un journaliste. Il semblait agacé et ne pouvait s'empêcher d'être assailli de tics durant ses réponses.

- Nous n'en savons pas plus pour le moment. La situation n'a pas évolué depuis la dernière fois qu'un de vos confrères m'ait posé la question, soit il y a dix minutes. Laissez la police faire son travail. Vous en serez les premiers informés de toute manière.

En détournant la tête, il aperçut Yevhen du coin de l'oeil et arqua un sourcil. Il se retourna ensuite vers le journaliste et ajouta :

- Vous devriez plutôt vous entretenir avec le major Chevakova. Ah non, j'oubliais, il vient seulement d'arriver, continua-t-il en lançant un regard accusateur à l'intéressé.

Le journaliste comprit immédiatement le malaise et fit signe à son cameraman de couper. Ils quittèrent les lieux sans demander leur reste, sentant l'orage gronder.
Andriy Votchyevka, commissaire en chef de Kiev, croisa les bras et assena :

- J'attends des explications, au plus vite !
- Euh.., fut dérouté Yevhen, à propos de quoi ? Du suspect relâché hier ou du retard ?
- Ah oui, j'avais oublié la connerie d'hier soir. Ce n'est pas la question pour le moment, on verra ça plus tard. L'affaire actuelle est bien plus importante. On en revient donc à votre retard.
- Je...
- Vous n'aviez aucune raison de l'être étant donné que vous commenciez à 8 heures.

Le commissaire remonta ensuite sa manche et fixa sa montre :

- Et il est... 9h21 précisément !
- Je sais, chef. Je.. Je n'ai aucune excuse. J'ai oublié d'actualiser l'alarme de mon réveil et il a sonné en fonction de mon ancien service qui démarrait à 9 heures. C'est entièrement ma faute.

Votchyevka grogna et considéra quelques instants le policier qui était l'un de ses meilleurs éléments.

- J'ai du mal à vous cerner, major. Vous êtes toujours, tout au long de l'année, un élément exemplaire et compétent. J'ai été amusé de constater que vos seules incartades ont toutes été commises au mois d'avril.
- Ce n'est qu'une coïncidence, fit Yevhen en haussant les épaules.
- Je ne crois pas aux coïncidences. Quelque chose ne va pas.

Il scruta Yevhen longuement mais ce dernier ne se démonta pas et affronta le regard de son supérieur. Finalement, Votchyevka soupira :

- Entrez. Roman vous attend.

Yevhen s'avança et pénétra finalement dans le lieu du crime. Il remarqua directement que le mobilier avait été chamboulé et retourné dans tous les sens. Des traces de lutte. Le couple âgé avait dû se défendre et opposer une résistance à l'agresseur. Pauvres gens...
Il rejoignit la plupart des policiers qui se trouvaient dans la salle à manger. Ils cernaient et masquaient ce qui devait être sûrement le cadavre de la dénommée Olga. Son corps était recouvert d'une bâche blanche.
Parmi les policiers présents sur la scène de crime et qui essayaient de discerner des hypothétiques preuves, Yevhen aperçut Roman qui se tenait immobile devant la fenêtre. Ses yeux fixaient l'horizon et il semblait en pleine réflexion.

- Yep, l'interrompit Yevhen en lui tapant légèrement l'épaule.
- Ah bah enfin, t'es là ! Votchyevka est au courant que t'es ici ?
- Oui, il m'a déjà réprimandé pour mon retard. Il a été plutôt cool. Par contre il m'a dit qu'on reparlerait de Volodymyr plus tard...
- Ce sera déjà plus volcanique je pense, grimaça Roman avec empathie.
- On verra bien. Et sinon qu'est-ce que tu faisais à regarder par la fenêtre ? T'étais dans tes pensées ?

Roman se tourna à nouveau vers la fenêtre et désigna le jardin d'un mouvement de tête :

- J'étais juste en train d'observer leur potager. Ca m'a fait penser au mobile de l'agresseur. Nos collègues n'ont pas encore fouillé leur vie privée mais à première vue ce couple était sans histoires. J'ai trouvé sur la commode une carte d'abonnement à un club de jeu de sociétés. Nous sommes très loin d'avoir affaires avec la mafia !
- Toutes les personnes ont leur secret... Nous ne sommes sûrs de rien.
- Je sais bien. Ce potager si parfait me fait juste penser qu'il n'y a vraiment aucune raison de la part de l'agresseur de commettre un tel crime.
- Peut-être était-ce un cambrioleur qui s'est fait surprendre ? Cela pourrait correspondre avec les traces de lutte que j'ai vu en entrant.

Roman fit un signe de négation en hochant la tête et rétorqua :

- Tu oublies le mari, Nikolai. Il a été enlevé. Ce n'est pas vraiment le comportement d'un cambrioleur de s'alourdir d'un corps. S'il était venu vraiment dans l'unique intention de voler, il aurait cherché à fuir dès que possible.
- Tu crois qu'il est mort ?
- Ca dépend de la volonté du criminel. En l'occurrence, il n'y a pas de sang dans l'entrée et..
- Je pense qu'il a pu venir ici spécialement pour Nikolai, le coupa Yevhen, pourquoi cette maison après tout ?
- Tu as raison, j'ai fait le tour de la propriété et il n'y a aucun objet de réel valeur. Aucun intérêt pour un cambrioleur. Ceci dit, on en revient à ma précédente interrogation. Pourquoi vouloir enlever ce pauvre homme ?
- Attendons que l'on recherche le passif du couple. On peut tomber parfois sur de drôles de surprises...

Yevhen se tut, déconcentré par la porte d'entrée qui venait de claquer. Un homme en blouse blanche, approchant la trentaine, venait de faire son apparition dans le hall. Fin et élancé, il réajusta ses lunettes avec l'aide de son doigt puis se dirigea d'un pas assuré vers le cadavre d'Olga. Les policiers agglutinés tout autour de cette dernière s'écartèrent tel la Mer Rouge devant Moïse afin de le laisser passer. Il portait dans sa main droite une valise assez imposante qu'il s'empressa de poser à terre, près de la victime.
Visiblement soulagé, Roman accourut vers sa direction, bousculant plusieurs de ses collègues au passage. Une fois arrivé à hauteur du nouveau venu, il lui serra la main :

- Edgar ! Content de te voir !
- Moi de même, Roman.

Yevhen se démarqua à son tour et vint saluer Edgar. Au même moment, Votchyevka pénétra sur le lieu du crime et ordonna d'une voix puissante :

- Arrêtez d'étouffer Nygmenko, vous tous !

Les policiers s'éparpillèrent en hâte, vaquant à leurs obligations imposées par cette sombre affaire. Restèrent Yevhen, Roman, Votchyevka et le dénommé Edgar Nygmenko.
Ce dernier était l'un des hommes envoyé par le département scientifique de la police de Kiev. Il avait déjà travaillé maintes fois avec Roman et Yevhen lors d'affaires passées. Ses révélations et découvertes leur avaient déjà été précieuses si bien qu'ils se respectaient mutuellement.
De mauvaise humeur, le commissaire grogna et lâcha :

- C'est bon, vous vous êtes salués ? On a un meurtre sur le dos.
- Nous ne devons pas pour autant oublier les bonnes manières, se justifia Edgar.
- Vous aurez l'air beau avec vos bonnes manières une fois licenciés, rétorqua Votchyevka en haussant le ton.

Après coup, le commissaire ferma les yeux et respira un grand coup. Il finit alors par s'excuser :

- Excusez-moi, je me suis emporté. C'est juste que cette affaire me fout une pression immense sur mes épaules, sur nos épaules. Un couple de sexagénaires gentil et unanimement apprécié a été décimé. Nous sommes dans l'urgence, nous devons retrouver Nikolai au plus vite.
- Je suis là pour vous aider, répondit Edgar en affichant un grand sourire.

Pendant que le scientifique ouvrit sa valise et sortit ses outils, le commissaire se tourna vers ses deux hommes :

- Alors Chevakova, que pensez-vous de l'affaire ?
- A mon avis, le coupable avait prémédité l'enlèvement de Nikolai depuis le début. Comme me l'a précédemment dit Roman, la maison ne comporte rien de susceptible qui pourrait être volé.
- De plus, un cambrioleur n'aurait pas pris la peine de s'alourdir d'un otage. Il se serait enfui vite fait bien fait, l'appuya Roman.
- Pour Olga, elle aurait surpris l'agresseur pendant l'enlèvement de son mari. Pour éviter tout témoin, il l'a logiquement tué, conclut Yevhen.

Le commissaire fronça les sourcils et tempéra :

- C'est une première hypothèse qui tient la route. Cependant, le motif de l'enlèvement nous reste flou.
- J'ai de l'espoir concernant Nikolai, jugea Yevhen, je sens qu'il est encore en vie. Pourquoi l'auteur du crime l'aurait enlevé pour le tuer cent mètres plus loin alors qu'il aurait très bien pu le faire directement ? Il a un but derrière la capture de Nikolai.

Roman hocha la tête, étant relativement d'accord avec les propos de son ami. Le commissaire fronçait toujours les sourcils, dans un état de réflexion intense :

- Nous verrons si nous trouvons quelque chose au sujet du couple. Et j'espère qu'Edgar trouvera qu...
- AH AH !, s'écria ce dernier au même moment.
- Qu'y a-t-il ?, sursauta le commissaire.

Nygmenko montra triomphalement le cou d'Olga. Tandis que Roman détourna légèrement la tête en réprimant un haut-le-cœur, n'ayant jamais vraiment supporté les cadavres, Yevhen et Votchyevka s'agenouillèrent aux côtés d'Edgar et plissèrent les yeux. Ils discernèrent la peau du cou de la victime, légèrement bleuie.

- Elle a été étranglée ?, demanda Votchyevka.
- Belle perspicacité !, répondit Edgar, en effet le meurtrier a émis une forte pression sur le cou de la victime jusque mort s'ensuive. Et j'ai le plaisir d'annoncer qu'au vue de la trace laissée par la strangulation... L'agresseur ne portait pas de gants.
- On a ses empreintes ?!, s'écria le commissaire.
- Juste ici, affirma Nygmenko en brandissant triomphalement un petit sachet.
- C'est une erreur de débutant, réfléchit Yevhen à haute voix, le meurtre n'était pas prémédité. Il a dû venir pour Nikolai, sauf que sa femme l'a surpris. Sans réfléchir et sous l'accès de la peur, il a dû l'étrangler sans penser qu'il se vendait à la police par la même occasion.

Votchyevka se releva et appela de suite un policier qui se tenait jusque là dans la pièce voisine.

- Roblyenko. Amène ça tout de suite au département scientifique. Et dis-leur d'analyser ces empreintes, RAPIDEMENT ! Compris ?
- Oui, commissaire !, acquiesça-t-il.

Aussitôt, il accourut en direction de la porte et sortit de la propriété. Ensuite, Andriy Votchyevka se tourna vers Yevhen et Roman.

- Quant à vous deux, il semblerait que l'identité du meurtrier ne soit plus qu'une question d'heures. Rentrez au commissariat mais restez joignables à tout moment, compris ?

Sur ces derniers mots, il insista lourdement tout en fixant Yevhen. Il conclut ensuite :

- Personnellement, je dois aller affronter les journalistes, de vrais rapaces ces gens-là...

Alors qu'il allait prendre congé de ses deux majors, Roman se pencha en avant, pris d'un sursaut. Il posa subitement ses mains sur sa bouche et courut jusqu'à une pièce que Yevhen avait précédemment identifié comme étant les toilettes.

- Il ne supporte toujours pas les cadavres ?
- Même après vingt ans de métier, répondit Yevhen d'un faible sourire.

* * *

Yevhen entra d'un pas lent dans le commissariat de Kiev, suivi d'un Roman toujours pâle de sa dernière aventure dans les toilettes. Le hall principal, où étaient situés la quasi-totalité des bureaux des policiers, se révélait être vide. Les employés étaient sûrement tous en train de couvrir l'enquête affiliée au meurtre d'Olga et de Nikolai Hotchenko.
Bien heureusement, cette histoire allait déjà toucher à sa fin. L'équipe de Nygmenko allait découvrir incessamment sous peu l'identité de l'agresseur grâce aux empreintes relevés sur le cadavre d'Olga. Ils ne leur resteraient plus qu'à diffuser le signal du criminel, à le capturer, ce qui ne devrait être qu'une question de temps, puis à lui faire cracher où se trouvait Nikolai, mort, ou vivant.
C'est ainsi que Roman se jeta sur sa chaise de bureau avec l'air satisfait d'une enquête résolue.

- Je te trouve bien optimiste, commenta Yevhen en s'asseyant à son tour.
- De quoi tu parles ?
- Je te connais. T'affiches un visage bien triomphal. On ne l'a pas encore attrapé.

Roman balaya cet argument d'un revers de main puis rétorqua :

- De nos jours, c'est devenu une formalité et tu le sais. Une question de jours, au maximum de deux semaines. Non, moi je te dis que cette ordure est cuite.

Yevhen ne répondit pas. Soudain, la grande télévision qui ornait le mur de gauche s'ouvrit. Cet écran plat diffusait les infos en continu tout au long de la journée. Dans l'empressement suite au meurtre du couple de personnes âgées, elle n'avait pas été allumée.
A l'écran, on voyait Andriy Votchyevka qui se tenait droit, fier et digne. Il prononçait un discours aux nombreux journalistes présents, en témoignent la multitude de micros tendus vers sa direction. Le son de la télévision fut augmenté de manière significative et bientôt la voix posée mais autoritaire du commissaire se propagea dans l'ensemble du grand hall.
Se demandant qui contrôlait la télécommande, Roman et Yevhen eurent leur réponse lorsqu'une tête féminine apparut subitement, dépassant d'un muret qui séparait chaque bureau.

- Oh pardon, ça vous dérange ?, demanda la jeune femme.
- Non pas du tout, répondit Roman en souriant.
- Je vais quand même baisser un peu, décida-t-elle, voyant bien qu'il avait nié par pure politesse.

Elle se retourna ensuite vers la télévision, visiblement absorbée par les mots de son commissaire. Roman fixa Yevhen et chuchota :

- Psst, Yevhen ! C'est la femme dont je t'ai déjà parlé, Lilya !
- Lilya ? La nouvelle venue de Dnipropetrovsk ?
- Ouais, celle qui est à fond sur toi !

Yevhen secoua la tête en affichant un visage amusé :

- Mais ferme ta gueule...
- Va la voir.
- Quoi ?
- Va la voir, je te dis.
- Non mais t'es fou ? Comme ça ? D'un coup ?
- Roh la la, ça se voit que ça fait vingt ans que tu n'as plus dragué une fille... Bon laisse, je vais m'en occuper. Tu me diras merci plus tard !

Roman se leva et appela :

- Lilya !

La jeune femme tourna la tête et regarda Roman d'un air interrogateur :

- Tu peux venir s'il te plaît ?

Intriguée, la policière se leva, contourna son bureau et vint à la rencontre de Roman et de Yevhen.

- Qu'est-ce qu'il y a ?, demanda-t-elle.
- Oh, rien de particulier, répondit Roman, je te proposais juste de nous rejoindre. Nous sommes seuls dans le hall et tu étais isolée dans ton coin. Ca me faisait de la peine.

Lilya sourit, un peu gênée.

- Désolé, je suis nouvelle ici, je ne connais encore que peu de monde et je n'ose pas trop aller vers les gens.
- Allons donc ! On ne mord pas tu sais !
- Tu étais à Dnipropetrovsk avant, c'est ça ?, questionna Yevhen.

La jeune femme opina de la tête et enchaîna :

- J'ai été muté il y a un mois pour pallier au manque d'effectifs à Kiev. Je m'étais porté volontaire, je n'aimais pas trop la vie à Dnipropetrovsk et j'avais de la famille ici. Cela ne me dérangeait pas.
- Et comment se passent ces premières semaines sur Kiev ?, voulut savoir Roman.
- Pas trop mal, je me fais doucement intégrer au poste et dans la vie quotidienne. Niveau travail, je viens à peine d'arriver et me voilà dans une enquête policière sans précédent !
- Tu portes la poisse, ça doit être pour ça !
- C'est vrai que c'est plutôt rare ce genre d'affaires, admit Yevhen, en général notre quotidien est jalonné de vols ou de petits délits, au pire de quelques crimes passionnels classiques. Ce type d'horreur, on n'en a rencontré que rarement.

Le regard de Lilya se porta sur la manche du costume de Yevhen :

- Vu vos gallons, vous devez être expérimentés.
- Ca va bien faire vingt ans que l'on bosse ici, indiqua Yevhen.
- Vingt ans ? Mais vous avez quel âge ?, s'étonna Lilya.
- Quarante ans, et Roman quarante-et-un. Nous avons commencé très tôt.

Roman acquiesça :

- Yep, v'là vingt ans que nous sommes partenaires !
- Je suis vraiment impressionnée. J'ai beau avoir trente-deux ans, je ne sers dans la police que depuis cinq ans. L'affaire actuelle est la première du genre que vous ayez connu ?
- Tu sais, on en a croisé des fous... Le nom d'Anatoly Onoprienko te dit quelque chose ?

Lilya arqua un sourcil :

- Evidemment, c'était un tueur en série c'est ça ? L'un des plus tristement célèbres en Ukraine.
- Roman et moi, nous étions sur le coup à l'époque. Il a commencé ses assassinats dans la région de Zhytomyr, près d'ici. Mais la police de là-bas était tellement débordé et perturbé qu'ils ont demandé l'aide des effectifs de Kiev. Nous nous sommes rendus sur pas mal de scènes de crime. Nous avions même eu l'honneur, si je puis dire, de le rencontrer après qu'il eut été arrêté. C'était en 1996, j'avais trente ans.
- Ca devait être impressionnant de rencontrer un si cruel homme.
- Tu sais ce que j'ai appris en l'ayant vu et entendu parler ? Qu'il se cachait un tueur en série en chacun de nous. Cet homme était un simple garde forestier qui avait vécu une enfance difficile avec la mort de sa mère, de son père, et avec la négligence de ses grand-parents. Chaque personne au monde a déjà traversé des périodes dures et compliquées. Il y a ceux qui s'en remettent grâce au soutien de leurs proches, puis il y a ceux qui ont tellement tout perdu qu'ils deviennent des âmes égarées et sans âme. C'est là qu'on traverse la barrière entre la vie et la mort, le bien et le mal...

Après cette tirade, Lilya était littéralement bouchée bée. Elle avait bu les paroles de son collègue qui venait de parler avec son cœur.
Les deux policiers étaient si impliqués dans leur conversation qu'ils n'avaient même pas remarqué que Roman s'était éclipsé, sentant qu'il était de trop, pour se rendre aux toilettes. Sur le chemin, il sourit.

« Si avec ça, il se la fait pas ! ».

- Tu as l'air d'avoir longuement réfléchi à la question, réagit finalement Lilya.
- Disons que je me reconnais dans certains événements qui sont arrivés à Onoprienko.
- Oh, je suis désolé. Cela doit être personnel.

Il sourit poliment afin de ne pas gêner davantage la jeune femme. Il continua ensuite :

- Pour en revenir à Onoprienko, les scènes de crimes qu'il laissait derrière lui étaient elles aussi impressionnantes. Il s'introduisait chez des familles et les décimaient tous au fusil de chasse. C'était affreux. C'est d'ailleurs depuis cette affaire que Rom...

Yevhen fronça les sourcils pour toute réponse. Il venait de remarquer l'absence de Roman et cela ne lui plaisait guère.

- … que Roman ne supporte plus la vue de cadavres.

Yevhen se tut, embarrassé. Il n'avait jamais été à l'aise avec la gente féminine. A chaque fois, il se contentait de suivre le sillage de Roman. Il s'était rendu compte qu'il n'y avait que quand il parlait boulot et criminologie qu'il était complètement à l'aise.
Mais maintenant ? Comment faire pour tenir une conversation avec son interlocutrice qui ne manquait pas de charme ?
Au même moment, Roman venait de sortir des toilettes après s'être soulagé. En chemin, il croisa Andriy Votchyevka qui était entré dans le commissariat.

- Oh, re-bonjour chef !
- Salut, salut, grogna Votchyevka qui ne partageait pas le naturel enthousiaste de Roman.
- Vous en avez fini avec les journalistes ?
- De vrais charognards ces gens-là ! Bon, on s'en fout de ça. Nygmenko est passé ?
- Non, pourquoi ? Il doit ?
- Un peu qu'il doit ! Il m'a dit qu'il viendrait nous apporter les résultats des analyses d'empreintes, dès qu'ils auront ces fameux résultats.

Roman se permit de tapoter légèrement sur l'épaule de son supérieur.

- Détendez-vous, il viendra. Nygmenko est fiable et aussi dévoué à son travail que vous et moi. Laissez-lui du temps, vous venez à peine de rentrer.
- Mmh, tu as raison, consentit finalement le commissaire.
- Venez vous joindre à nous, ça vous changera les idées.

Votchyevka finit par obtempérer et suivit Roman jusqu'à leur bureau où Lilya et Yevhen continuaient de discuter.
Pour Yevhen, le retour de son ami fut une véritable bénédiction. Il avait du mal à se sentir à l'aise en présence de Lilya, non pas à cause de cette dernière mais de sa propre incapacité à discuter sans appréhension.

- Regardez qui je ramène, annonça Roman en montrant son supérieur.
- Oh, bonjour commissaire !, se dépêcha de dire Lilya en se levant brusquement, au garde-à-vous.

Andriy fit signe d'un geste de la main qu'elle pouvait se rasseoir et que tant de cordialités étaient obsolètes dans de tels moments. Il s'assit en compagnie de ses trois employés et expira fortement. Enfin il se relaxait un minimum après une matinée de folie.

- Alors chef, comment s'est déroulé l'entrevue avec les journalistes ?, hasarda Yevhen.
- Grmh.. Des rapaces !

Roman éclata de rire :

- On le saura !
- Je devrais y être habitué après vingt-cinq ans de métier, continua-t-il sans prêter attention à la boutade de Roman, mais ils sont toujours là, à vous tendre leur micro avec une tête de victime, tels des pigeons attendant qu'on leur jette des quignons de pain.
- Ils font juste leur boulot !, rétorqua Lilya.

Le visage de la policière trahissait une indignation aux paroles de son supérieur. Ce dernier se tourna vers elle et riposta :

- Et nous, on fait le nôtre. Qu'ils arrêtent de nous déranger.
- Je sais de quoi je parle, j'ai fait des études de journalisme avant de me tourner vers la criminologie. C'est de leur devoir d'informer la population. Pour leur insistance, elle n'est que le résultat de la concurrence effrénée entre les différents médias. Vous y voyez des rapaces, moi j'y vois des honnêtes gens qui n'essayent que de garder leur boulot.

Votchyevka haussa les sourcils :

- A qui ai-je l'honneur ? Votre visage ne m'est pas familier.
- Lilya Dobrenko, mon commissaire. Je suis arrivé en provenance du poste de Dnipropetrovsk il y a quelques semaines.
- Ah oui, je me souviens. Ton ancien supérieur m'a dit que tu avais du potentiel. T'as du caractère. Continue comme ça et tu iras loin.

Lilya fut surprise mais satisfaite du compliment. Votchyevka ne semblait pas vouloir s'engager dans un débat sans fin.
Soudain, la porte du commissariat s'ouvrit d'un coup pour laisser apparaître Edgar Nygmenko. Il avait le visage rougeâtre et soufflait bruyamment, il était essoufflé. Visiblement pressé, il balaya rapidement son champ de vision puis repéra les quatre policiers au fond de la grande pièce. Il accourut aussitôt d'un pas rapide vers son objectif.
A la vue du scientifique, le commissaire Andriy Votchyevka se leva si soudainement qu'il fit tomber sa chaise. Ses trois collègues l'imitèrent plus lentement, dans le silence complet. Ils savaient tous ce que signifiait l'arrivée de Nygmenko.
Bien vite, celui-ci arriva à hauteur du commissaire. Il haletait toujours et semblait paniqué.

- Commissaire, commissaire !
- Je suis là. Alors ? Les analyses d'empreintes ont révélé le coupable ?, demanda-t-il d'un ton impatient.
- Oui, nos recherches ont abouti à un résultat et je suis à 100% capable de dévoiler le criminel, gémit Nygmenko.
- Bah parle ! Pourquoi tu es si affolé Edgar ?
- C'est que... Selon les empreintes trouvées sur le cou de la victime... La personne qui a étranglé Olga Hotchenko serait Olga elle-même !


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