Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 23


Publié le 31/12/2015 à 02:34:56 par Sheyne

Les secondes filant, la jeune femme finit par relâcher son étreinte. Les lèvres se descellèrent en silence. Alors, entourée par la pénombre de la salle, elle plongea son regard dans les yeux émeraude du Seigneur. Il restait muet de stupéfaction.

« Peu importe qui tu es devenu... Entama-t-elle. On est dans le même bateau. Explique-moi... je t'en prie. Dis-moi ce qu'il se passe. »

(Le Roi songea enfin lorsqu'il fut remis de sa surprise) Ils étaient dans le même bateau... littéralement, enfaîte. Elle l'avait embrassé et ça lui avait remis les idées en place. Non pas que cela ait été désagréable, bien au contraire. Il était maintenant certain qu'elle soit de son côté, quoi qu'il puisse raconter...

« Je viens d'un endroit lointain... Commença-t-il et sa voix sembla désolée. J'ignore qui j'étais pour toi avant. Je n'ai souvenir que de m'être réveillé au beau milieu de la jungle. Tu m'as alors jeté par terre, traîné à l’abri... La vérité, c'est que tu m'as sauvé, alors même que je n'avais pas conscience d'être en danger. Voilà ce qu'il en est. »

Tout en parlant, il se mordillait les lèvres. Elles avaient toujours le goût de celles de la jeune femme. Ainsi, par besoin affectif peut-être, il désira en dire plus. Depuis son escarmouche avec le capitaine de sa garde, il n'avait pas eu l'occasion de partager la réalité de son histoire. C'était peut-être la première fois qu'il pouvait parler de ses émotions. Les mots s'échappèrent tout seuls et le soulagement de la confidence fut énorme :

« Crois-le ou non, je suis un dieu... immortel et taché d'une terrible malédiction. Depuis plusieurs mois, je voyage de corps en corps, happé sans cesse par la mort. J'ai vécu plus de choses qu'une âme saine ne devrait pouvoir s'en rappeler, je connais plus de sciences que cette époque n'en a jamais créé... Et malgré ça, je suis impuissant, dépossédé. Je ne suis rien... D'ailleurs, étais-je seulement quelqu'un, à l'époque ? »

La jeune femme l'admirait, sans parler. Elle l'écoutait discourir, incrédule. Si aucun de ses mots ne semblait vrai, son instinct lui affirmait qu'au moins aucun mensonge n'était proféré. Elle fut ainsi bien contrainte d'y croire. Le Roi s’emballa sur sa condition et elle se laissa aller dans la contemplation du mince rai de lumière, filtrant de la porte en fer. Ses oreilles félines ne perdirent pas un morceau du terrible monologue, mais son corps tremblait. Ce n'était pas le froid, ni même la peur... Mais un puissant mélange de chagrin et compassion. Aucune colère, néanmoins, car ils étaient tous deux victimes. Seulement la douleur d'avoir perdu un être cher.
Partagée entre ses émotions violentes, elle voyageait par le récit du Seigneur. Ses histoires lui parurent aussi merveilleuses qu'épouvantables. Elles la transportait à travers les mondes. Un arbre gigantesque, baignant d'une permanente lumière crépusculaire. Le tourbillon d'âmes colorées ainsi que leur fabuleux gardien à l’œil écarlate. Des geôles, plus noires que ses cauchemars les plus abominables. Et lorsqu’enfin il se tut... lorsqu’après un terrible silence elle accepta la situation, ce fut pour soupirer longuement.

Il était un parfait inconnu, lui qu'elle connaissait auparavant si intimement, lui qu'elle portait (hier encore) dans son cœur. Mais quel choix avait-elle ? Ses sentiments la poussèrent à se rapprocher de lui à nouveau. Ou peut-être était-ce le froid ? La jeune femme ne savait plus, perdue.
Quand elle vit des larmes rouler sur le visage du Roi, elle pleura à son tour, le serrant d'une chaude accolade qui ne se défit plus. Elle s'était décidée à ne pas évoquer son passé, du moins jusqu'à ce que cette histoire affreuse arrive à son terme. Après tout, cet homme n'avait rien demandé. Ce n'était pas sa faute...
Alors, dans l'instant présent (cocon tendre, entre l'horreur passée et celle à venir) elle susurra d'une voix doucereuse :

« Je m'appelle Euka. »

Puisqu'elle l'encourageait, le Seigneur se calma. Après avoir respiré un grand coup, le silence total retomba. La belle créature le troublait au plus haut point, c'était un fait... mais sa chaleur l’enveloppait de réconfort.

« Hel. Lâcha-t-il enfin, au cœur de l'étreinte. Tu peux m'appeler Hel. »

À nouveau, la jeune femme marqua une pause. Puis, sans défaire l'étreinte, en vint à l'essentiel.

« Je veux partir d'ici... 
— Penses-tu qu'on puisse motiver les autres ?
— La plupart d'entre eux sont terrorisés ou brûlés.
— Pardon, c'était une question stupide...
— Effectivement. Euka miaula. Évidemment qu'on peut les motiver. Peut-être pas toi, mais je pense pouvoir leur parler. Seulement, je dois pouvoir expliquer ce qu'on prévoit de faire.
— Le plan le plus simple serait que je fasse l'appât. Ainsi, vous pourriez tous lui sauter dessus en même temps. S'il est tout seul et occupé à me taper, ça marchera, je pourrai le retenir... Voir même le faire basculer.
— Ça peut marcher. Ils n'auraient jamais accepté si les ravisseurs étaient venus à plusieurs... Pas avec ce qu'il s'est passé... Même moi, je crois que je n'aurai pas pu... Mais s'il est seul, ils t'aideront sûrement. »

Lentement, la jeune femme se dégagea de l'accolade. Se relevant, elle le toisa un instant, en silence. Enfin, elle partit sans un mot vers l'un de ses congénères, le prenant à part pour lui expliquer la situation.

Le plan était bien trop simple... Mais, de toute manière, plus ils étaient tordus et moins ils avaient de chance de fonctionner.
En ce moment, ils étaient tous plaqués contre le même mur, au plus loin de l'entré. Personne ne bougerait à part lui et la jeune femme. Il se posterait au milieu de la pièce, assis en tailleur pour provoquer le taré. Il l'insulterait. Puisque le geôlier verrait toutes les créatures inertes au fond de la salle, il se sentirait en sécurité et l'attaquerait.
C'est là qu'Euka devait entrer en action. Cachée près de la porte, dans l'ombre, il lui suffirait de rester droite et immobile pour ne pas être vue. Elle pourrait l'avoir par-derrière. Avec le changement de luminosité et son sentiment de supériorité, l'homme ne la remarquerait pas jusqu'à ce qu'elle soit sur lui. Et même si cela n'était pas assez, tous les hommes-chats pourraient alors bondir d'un unique mouvement, puisque le geôlier serait coincé.

Le risque était grand. Si le chasseur se doutait de quelque chose, il pourrait toujours courir et refermer la porte. Et puis, même s'il n'y parvenait pas, ses cris alerteraient tout l'équipage.
Il y avait aussi la possibilité qu'il vienne pour tuer. Que faire s'il dégainait une arme à feu dans l'intention d'avoir sa peau ? Ou pire, un lance-flamme ? Et bien... Il mourrait, sans aucun doute... Mais dans tous les cas, ils n'avaient pas le choix. C'était un risque à courir.

La manœuvre était simplissime, mais ce n'en était que la première partie. Si sortir de cette pièce semblait un jeu d'enfant, progresser dans l'étrange bateau, trouver l'armurerie, en déloger ses occupants, prendre le temps d'expliquer aux sauvages comment se servir des fusils, remonter sur le pont, neutraliser tous les marins... C'était impossible. La vérité, c'est qu'il n'y avait tout bonnement aucun moyen de gagner cette bataille. Il luttait contre des hommes entraînés, en supériorité numérique et tactique, en terrain inconnu... Et qui plus est en traînant derrière lui des alliés blessés...
En revanche... laisser ces créatures semer la pagaille pendant qu'il se cacherait, jusqu'à la prochaine escale... Cette idée pouvait marcher !

C'était la seule solution réelle qui lui venait à l'esprit... Les envoyer se suicider contre l'équipage pendant qu'il sauverait sa peau. Mais c'était monstrueux. Ça signifiait tous les condamner. Cette décision relevait d'un monumental égoïsme.
Seulement, avait-il le choix ?! Il ne voyait aucun autre moyen. Il devait le faire. Alors... Alors, quoi ? Le karma le punirait-il de sa lâcheté ?

En songeant au sort qui leur était réservé, il frissonna d'horreur. Il les imagina suspendus, ensanglantés, vidés, découpés et taillés en pièce de cuir. Oui... il serait condamné... Au moins autant que s'il les avait tous tués froidement.
C'est alors qu'il réalisa. Il se rendit compte que l'égoïsme était, de toute façon, un de ses traits de caractère. Du coup... Pourquoi est-ce que ça le gênait ? Pourquoi maintenant ?! Après tout, comme il s'était toujours comporté ainsi, à quoi bon s'en vouloir ? N'était-ce pas son devoir que de survivre ? De prévenir son peuple ? D'empêcher son massacre, par tous les moyens ?! Si ! Évidemment que si ! Et puisqu'il en revenait de son devoir, le Dharma devait le blanchir de tout problème. Son égoïsme divin lui serait pardonné ! C'était certain !
Au fond, il tentait de se convaincre, mais il sentait bien que quelque chose n'allait pas dans sa logique. Par peur, sans doute, il ne se posa délibérément pas les bonnes questions. Notamment quant à la suite des événements. Que pourrait-il bien faire, seul, caché dans ce navire immense et en proie à la faim ?
Euka revenait déjà et soulagea son tourment :

« Ils sont prêts. Je leur ai dit de bondir quand tu crieras... De mon côté, que veux-tu que je fasse ? »

Le Roi releva le regard, affalé contre le mur. Lorsque la jeune femme s’accroupit, pour se mettre à son niveau, une vague de culpabilité l'empoigna. Il n'en parla cependant pas. Se confondant en un mutisme honteux, il se contenta de la dévisager.
Elle était si belle, maintenant pleine d'espoir. Son nez recourbé, ses yeux verts et ses pommettes saillantes la rendaient somptueuse. Son joli minois, si féminin, soulignait sa résolution nouvelle. Et lui se sentit mal.
Lorsqu'elle remarqua que quelque chose n'allait pas, elle l'embrassa sur le front, comme pour l'encourager.

« On va le faire, annonça-t-elle. Tous ensemble, on y arrivera. Crois en nous. »


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