Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 23/11/2015 à 01:16:59 par Sheyne

« Une chambre et... une douche. »
Pour la deuxième fois, sa voix aiguë retentit. Le roi serra les dents et les larmes lui montèrent aux yeux. Tout était si irréel qu'il refusait d'y croire. L'aubergiste, une femme grasse et rayonnante d'une trentaine d'années le dévisagea longuement avant d'éclater, tout sourire : "Une douche, vraiment ?"
Le ton complètement sarcastique se tintait d'une chaleureuse compréhension et la lourde clé ne se fit pas attendre. Malgré tout, la remarque ne fit pas rire, et le regard dépité du seigneur coupa toute remarque à la racine.
La propriétaire poursuivit dans un haussement d'épaules :

« Septieme porte à gauche en haut des escaliers, j'espère que vous avez de quoi payer. Si vous avez le moindre souci n'hésitez pas, entre femmes il faut bien se serrer les coudes ! »

Le petit clignement d'oeil caractéristique de la bonne volonté féminine précéda une folle envie meurtrière. Le roi songea aux conséquences. Qu'est-ce qui pouvait bien l'empêcher d'assassiner cette grosse truie, là, maintenant ? Qu'avait-il à perdre ?! Rien... On lui avait déjà tout pris. Restait sa vie, mais son début de journée ne donnait pas le gout des bas quartiers.
Bien vite, l'envie de se laver et de dormir fut plus forte. Échapper à ce monde, se réveiller de ce cauchemar. Alors le souvenir des douches du palais l'emporta... De miraculeuses installations de gaz lavant pressurisé. La caresse de l'air chaud, la sensation de pureté et les vapeurs d'amande douce. Il aurait juste à attendre de se faire masser par les jets de pression et ses soucis s'envoleraient.

« Vingt heures.
— Mmmh ?
— Le repas sera servi à vingt heures. »

Rendu à lui, le roi secoua la tête. La grognasse le prenait pour un dérangé. Son air mi interrogateur mi-encourageant lui intimait d'aller se mettre à l'aise aussi vite que possible. Il ne se fit pas prier et pénétra bientôt dans le couloir miteux menant aux chambres.

Toute la décoration de l'auberge était affreuse. Pire que ça, c'était toute l'architecture de la ville basse qui sentait la merde. Bien que ses pensées soient obnubilées par sa récente condition, l'horreur était trop flagrante pour ne pas la voir. Les planches et poutres apparentes sans aucun verni... Si l'oeil s'attachait aux détails nul doute qu'il y avait de la moisissure sur les murs... Murs d'un blanc grotesque au passage. Nulle trace de tenture, aucun rideau en velours, pas même de miroir...
Non ! Sur ce dernier point, c'était une aubaine. La porte était en vieux bois (encore ! Du bois partout vraiment aucun gout...) et le verrou claqua lourdement lorsque la clé tourna dans la serrure.

Le roi soupira. Le brusque changement de sujet lui fit gagner quelques secondes de répits. Tout en entrant dans la chambre à l'allure pittoresque il se remémora son ancien corps au visage carré, au regard puissant ; revoyait sa barbe bien taillée, l'émeraude au regard et son allure élancée. Les muscles ne manquaient pas, il fallait bien en imposer aux sujets.

« Qu... »

Acculé devant la glace, le seigneur déchu ne put plus fuir. La salle de bain et son miroir campaient devant l'entrée. Bien en face, une jeune femme le fixait. Le choc fut brutal. L'impression de recul et le sentiment d'irréalité le happèrent, son coeur manqua un battement. En s'approchant davantage, ce fut pire. Les yeux écarquillés, il se couvrit la bouche des deux mains pour étouffer une plainte affreusement stridente. N'importe comment il respirait, sa poitrine se soulevait plus haut, et son souffle était plus clair. Rapidement il ne fit plus aucun doute que le visage fin à moitié recouvert de boue séchée était devenu le sien. Ses yeux bleus et son teint pâle soulignaient les angles d'un corps qui connaissait trop la faim, mais qui restait agréable. De longs cheveux bruns semblaient attachés en une espèce de boule sur le dessus de son crâne et expliquaient pourquoi il ne les avait pas en travers de la figure.
Résigné, le regard porta sur la douche et encore une fois ses lèvres laissèrent échapper une plainte pitoyable. Nouvelle désillusion. Inquiet, il contemplait un tube de cuivre dénudé. Un tuyau orangeatre bien en hauteur, sans pommeau, jaillissait du mur jusqu'à l'intérieur d'une vieille baignoire de céramique, un peu trop usée par le temps.

« Une bombe... Donnez-moi une bombe pour faire sauter toute cette saloperie d'établissement. »

Apprendre qu'il y avait de l'eau chaude le calma grandement. (Putain ! Enfin une preuve de civilisation...). Le bruit du jet sous pression et la chaleur de la vapeur achevèrent de le détendre. Rapidement, toute la petite salle fut gagnée par une épaisse buée dans laquelle filtraient à grande peine les rayons de l'unique ampoule murale. Un rai de lumière tamisé, comme une illumination divine, et un bain en guise de baptême. Sa renaissance.

Les volutes d'eau chaude tourbillonnèrent lorsque la jeune femme, encore tout habillée, plongea dans le bain. Un instant plus tard, le liquide transparent brunissait déjà. (Quitte à se laver, autant y aller d'un coup) Dire que son nouveau corps ne l'intéressait pas assez pour se dévêtir serait un bas mensonge, car cela avait toujours été un des fantasmes de la gent masculine. Cependant le loisir lui appartenait de l'examiner plus tard. Être propre était une nécessité et ces vêtements étaient de loin la chose la plus affreuse qui lui ait été donnée de voir (et de porter, accessoirement...). Et puis... Plutôt crever que de faire la lessive.

Quatre... C'est le nombre de bains qui fallut enchainer pour qu'enfin l'esprit prisonnier se sente débarrassé de la saleté. Durant ces phases de nettoyages intenses à la limite de la violence, il avait tout de même noté plusieurs faits intéressants. Sa poitrine, malgré la petite taille, le gênait chaque fois qu'il passait le bras en travers du torse. Ce qui au début était excitant l'énerva assez vite tant cela se produisit. En revanche, ne rien sentir en travers des jambes sonnait comme une délivrance, surtout dans un bain aussi petit.

Enfin soulagé des courbatures et de la crasse, exténué par les frottements incessants, son corps fatigué put s'effondrer et se laisser avaler par le lit trônant au centre de la pièce. (Moelleux pour le coup...) Bientôt, l'âme en peine sombra dans le sommeil. Les habits furent jetés en vrac sur un radiateur. Sans prendre la peine de se sécher, encore enveloppée par la chaleur de la baignoire il plongea dans la bulle rassurante des couvertures.

Répits de courte durée... Il ne se passa qu'une heure avant qu'on tambourine à la porte et il fallut bien s'y trainer. Après quelques bruits de pas contraints, elle s'ouvrit sur le couloir et la bonne aubergiste.

« Qu'est-ce que vous voulez ? »

Encore dans les vapes, le seigneur macha ses mots. La gérante fronça les sourcils :

« Le repas est servi dans la salle commune. Mérule... fait maison. Les champignons en sauce sont accompagnés de riz. »

L'autre accusa le choc en songeant aux bons plats qu'il avait pu manger hier. Les mérules poussaient sur les chaumières. La "lèpre" des habitations, rongeant murs, toits et poutres sans distinction. Un tissu fongique verdâtre qui s'étendait dans toutes les boiseries et condamnait les structures des quartiers encore plus pauvres que celui-ci.
Alors il grogna écoeuré :

« Vous avez qu'à monter le plat... je verrai à sa tête si j'en mange ou non.
— Tu sais, petite, on ne sert que dans la grande salle, on ne consomme pas dans les chambres. Libre à toi de ne pas venir, mais... - Elle éclata exaspérée - je te recommande chaudement d'enfiler des vêtements si tu décides de nous rejoindre. »

Debout dans l'encadrement, la récente jeune femme, entièrement nue, mit un moment à comprendre. L'instant suivant elle rougit, gênée. Ce qui dans le palais était une marque de virilité changeait totalement d'aspect. Hier encore, jamais personne ne serait opposé à ce qu'elle apparaisse dénudée au sortir de la chambre. L'intervenant se serait fait simplement exécuter, mais dans le cas présent un réflexe inconscient la poussa à se couvrir inutilement des mains pour se cacher. Comme si le nouveau corps imposait ses habitudes, l'énervement ne parvint pas à surgir.
À sa place, ce fut un rugissement honteux qui filtra :

« C'est bon, j'ai compris ! Fermez cette porte ! »

Heureusement, les habits étaient presque secs. Malgré tout, l'âme prisonnière se donna cinq minutes de plus pour les sécher et se déplaça jusqu'à la salle de bain. S'enquérant de son apparence maintenant propre elle porta l'oeil au travers du miroir, s'examinant à nouveau. Ses yeux perçants redessinèrent les traits fins de son visage, des lèvres légères, un petit nez surplombé d'un front haut. Une grande inspiration et sa tête se releva. Le port altier, un sourire un peu forcé enjoliva sa figure.
Au moins, le philosophe ne l'avait pas torturé, lui offrant un joli minois qui donnait plaisir à regarder quand il aurait pu donner un corps mutilé. (Du moins imaginait-on...) Ou peut-être était-ce par peur de recevoir un châtiment de ce karma s'il l'atrophiait ?
Un soupir fila. Après tout... si les choses avaient tourné ainsi, pourquoi le renier ? La première étape pour changer la situation était de l'accepter.

Un autre fait qui accaparait ses pensées était la facilité avec laquelle son raisonnement changeait. Accepter le présent comme reel n'était pas chose aisée. Une chose était certaine, le Philosophe était coupable de tout : son apparence lui avait été arrachée. Alors la solution était toute trouvée : y retourner et s'approprier les pouvoirs de la relique, ce connard n'allait pas s'en sortir indemne, oh non.
Cependant, son esprit confus était torturé par des milliers de questions sans réponses... À qui appartenait ce corps ? Qu'était-elle devenue ? Pire, avec tous ces discours sur la réincarnation, que se produirait-il à sa mort ? Était-ce ce tourbillon de lumière qui attendait son retour ? Le néant ? Peut-être une nouvelle vie ? Ses souvenirs resteraient-ils intacts ? Son sexe avait changé... sa race était-elle menacée aussi ? Et à supposer que les paroles de son Goelier soient vraies que se passerait-il si la réincarnation emprisonnait sa mémoire dans une forme de vie inférieure...En s'imaginant devenir une vulgaire plante ou un insecte rampant tout son être frissonna de dégout.

La conscience éthérée revint à elle. Pour ne plus y penser, elle anima son regard et son attention survola les courbures de son corps. Bien que sveltes, ses formes n'en étaient pas pour autant en reste. Féline elle s'étira longuement, laissant ses petits seins gonflés pointer, comme autant d'invitations à la caresse. Décidément la situation n'était pas si mauvaise. Quelques secondes, ses doigts s'égarèrent, frôlant tant sa poitrine que son bas ventre, découvrant les sensations nouvelles. Mais l'aspect inhabituel eut tôt fait de déconcerter. Sa conscience n'était vraiment pas à l'aise dans cette anatomie étrangère alors l'inspection cessa bien vite.

À nouveau, on martela à l'entré. Misant sur la grosse truie qui s'impatientait, sa voix aiguisée éclata vivement :

« Une minute ! »

Il fallait finalement penser à s'habiller... évidemment le soutien-gorge resta seul par terre, l'enfiler aurait été une épreuve trop difficile. Les autres vêtements collèrent à sa peau, mais à son grand soulagement la chaleur des radiateurs l'emprisonnait dans un cocon de douceur. Le tissu était de mauvaise qualité et l'apparence générale celle d'une banale tunique sombre. Des habits sobres et utilitaires qui ne l'empêchèrent pas de se précipiter à la porte.

Aussitôt, la main d'un géant fusa de l'encadrement. La poigne puissante s'abattit vivement, enserrant la jeune femme à la gorge, la piégeant dans un étau de fer. L'homme qui jaillit alors dans la pièce était énorme et terrifiant, un ours chauve aux bras colossaux qui souleva sa proie pour la plaquer contre le mur. Sa voix sourde explosa en un beuglement horrifiant :

« Petite catin ! T'es pas au rendez-vous et j'apprends que tu dépenses le fric ici ?! Où est ce foutu collier ?! Je te jure que si tu l'as vendu je te crève. »

Incapable de bouger, ou de même respirer dans ce corps amoindri, le Seigneur captif fit la seule chose à laquelle il put penser. Laissant remonter une grosse glaire de sa gorge, il cracha au visage de son assaillant.


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