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Je suis un sapin de Noël éteint un matin de Janvier


Par : faces-of-truth
Genre : Nawak
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 08/10/2017 à 18:18:27 par faces-of-truth

Je suis un sapin de Noël éteint un matin de Janvier.

J’ai avancé, le long de ce pont. Ce long pont étroit et crasseux, qui surplombe une rivière noirâtre aux tourbillons et aux courants malsains. Un cours qui emporte avec lui tous les sentiments heureux, tous les rires, tous les espoirs. Je parle bien-sûr du Pont de l’Amour. Et cette rivière, c’est la Réalité.

J’ai avancé, le long de ce pont. Les brumes qui rampent à mes pieds s’élèvent et forment des silhouettes. Des images abstraites et éphémères, comme les illusions d’un songe que l’on ferait lors d’une nuit enfiévrée. Son visage se dessine devant moi. Pourquoi ne me répond-elle pas quand je l’appelle ? Pourquoi ma voix s’évanouit-elle dans le vide comme ce brouillard qui interdit à tout horizon d’exister ? N’y a-t-il donc qu’elle ? Existe-t-il d’autres anges dont les battements d’ailes peuvent m’ensorceler ? Ou mon cœur m’a-t-il déjà condamné à la souffrance éternelle ?

J’ai avancé, le long de ce pont. Une légère bruine s’est abattue sur moi. Le vent soufflait un air mélancolique. J’entendais sa voix. Sa voix si douce, si attendrissante. Je ne rêvais que de la protéger. La saisir avec entrain et la blottir dans mes bras pour la préserver de tout danger, de tout chagrin, de tout mal. Alors pourquoi ai-je fait le contraire ? Pourquoi nos cris de fureur ont-ils remplacés nos ébats ? Comment ai-je pu laisser la torpeur tordre ton visage à la place de tes rires d’antan ? Suis-je si monstrueux ? Mes promesses n’étaient-elles que des chimères ? Ne suis-je finalement pas si différent des satyres qui marchent à mes côtés ?

J’ai avancé, le long de ce pont. J’ai feint de ne pas entendre tes lamentations se mêler au chant de la brise. Je ne voulais pas les entendre. Je voulais revoir tes yeux brillants de nos premières rencontres. Mais pour cela, il fallait que je me retourne. Je ne le peux pas. Je ne le dois pas. Parce que si je le fais, le monde s’arrêtera pour moi. Dans la tempête des sentiments, un voilier se doit d’avancer tout droit, le moindre écart arracherait le mât qui maintient mon cap, et je sombrerai dans le néant. Comme tu l’as fait.

J’ai avancé, le long de ce pont. Je t’ai cherchée. Je suis venu ici pour toi. Ce n’est que pour te revoir que j’ai entrepris ce périple. Ce voyage noir et destructeur qu’est la peine de cœur. Les nuages sombres du ciel m’accusent pour mes fautes. Tes larmes qui me submergent avec plus de frénésie encore m’accablent à leur tour. Mais je le sais, mon sort est mérité. Si je suis venu ici, prêt à sacrifier ma paix spirituelle, c’est pour toi.

J’ai avancé, le long de ce pont. La Lune se double au dessus de ma tête. Ce que mes pupilles voient à présent au travers de mes paupières plissées, ce sont tes yeux, tes si beaux yeux. Ils me rappellent les lieux de mes échecs, l’objet de ma faute et la raison de notre défaite. C’est terriblement douloureux de se souvenir. C’est encore plus douloureux d’avouer. Tu ne pourras plus me revoir, me sourire avec ton regard, me parler avec tes iris sans fond et m’envoûter avec le puits de ton âme. Mais si je suis ici, maintenant, c’est pour y remédier.

J’ai avancé, le long de ce pont. Mes doigts caressent la rambarde glacée qui me sépare de la rivière. Aussi froide que tu l’as été lors de nos dernières fois. Ton corps me manque, ton odeur me hante, ton souffle n’est plus là pour me faire respirer et les battements de ton cœur rendent le mien plus solitaire que jamais. L’union de nos corps n’est plus. Je ne suis qu’une moitié sans son substrat de prédilection. Et comme une bille à la recherche de son aimant, j’ai glissé sur cet édifice macabre à ta recherche.

J’ai avancé, le long de ce pont. Sans en deviner la fin. Sans être certain d’en trouver une. Tu as disparu au terme de l’infini, mais je marcherai jusque là pour t’y retrouver. Tu es mon Désert de Sable lorsque je meurs de froid et ma lande de glaces lorsque je m’étouffe de chaleur. Tu es mon crépuscule quand je suis aveuglé par les lumières oppressantes de l’euphorie et mon aube quand je suis perdu dans les ténèbres de la dépression. Aujourd’hui, je suis l’une des particules qui tournoient dans les flammes de l’incendie qui a ravagé notre Eden.

J’ai entendu ta voix dans mon dos. Mais ce ne pouvait être toi. Tu étais là, devant, au loin derrière le brouillard qui s’amassait à mes pieds. Ce n’était pas toi. C’était ton fantôme. Le spectre de la créature que j’ai aimé et que j’ai déçu, prisonnier d’une époque heureuse. Je ne devais pas me retourner. Car si je le faisais, les chaînes de la nostalgie me prendraient, et jamais je ne me libérerais.

Mais ton souvenir m’a pris la main. Il m’a enjoint à le rejoindre. À le suivre dans cette période de soleil. Qu’importent les rêves d’autrefois ; si ceux-ci sont meilleurs que le présent, pourquoi les rejeter ? Le songe d’un amour n’est-il pas plus doux que la cruelle solitude d’une rupture ? Un sang d’acide me brûle les veines. Je ne parviens plus à avancer le long de ce pont. Je n’en vois pas la fin, mais celle-ci commence à me faire peur. Je me mets à prier pour qu’elle ne vienne jamais.

Alors je me retourne pour embrasser ton image dans ma tête. Et là, le pont s’effondre. Je sombre avec les pierres de l’édifice dans la rivière noire qui m’avale dans un éclat d’écumes. Tes pleurs déchirent le ciel tandis qu’il déchaîne sa colère par ses éclairs flamboyants. Un courant sans précédent m’emporte et me contraint à maintenir ma tête hors de cette eau malsaine qui pénètre dans mes poumons. La rancœur et la mélancolie me submergent et me noient. Mon corps se fait plus lourd. La réalité m’emporte. Cette vieille amante m’étreint avec force et me rappelle alors à elle. Elle ne m’a jamais oublié. Elle m’a simplement attendu. Elle a patienté. Elle m’observait, alors que j’avançais, le long de ce pont. J’ai abandonné une utopie, et j’ai échoué dans ma reconquête pour une illusion du passé, pour me retrouver dans la peine quotidienne dans laquelle j’étais née et dans laquelle je devais aussi périr.

J’ai coulé. Les flots rient de me sentir m’enfoncer en eux. J’ai tendu ma main, une dernière fois vers le ciel, priant pour ne plus rester dans le vrai monde. Je ne veux plus de cette connaissance, je veux m’aveugler à nouveau. Partager ma bêtise sentimentale avec une autre âme qui se noie dans ce ballet de tourbillons nauséabonds.

Alors ma main a saisi quelque chose. Quelque chose de froid et d’humide. Je me suis accroché à cette prise et suis remonté à la surface. C’était une échelle. Je l’ai gravie, ignorant les vagues glacées qui tentaient de m’emporter à nouveau. Je me suis hissé au sommet et me suis allongé sur un sol poussiéreux et poisseux. Les eaux en colère me promettent de me reprendre un jour. Mais je n’en ai cure. Je suis à nouveau sur un pont. Un pont qui disparaît au loin, derrière un brouillard épais.

J’ai avancé, le long de ce pont. Le vent soufflait. Et j’ai distingué une forme, une silhouette se dessiner en face de moi. La créature qui m’apparaît à mesure que je m’approche me fixe de ses yeux d’un bleu d’océan. C’est une merveille. Elle aussi est trempée. Elle aussi revient de la Réalité. Nous nous prenons la main et nous avançons vers ce brouillard dense, opaque et menaçant, chacun gardant un œil fixé aux ruines du pont d’à côté qu’il vient de quitter, et nous entamons notre voyage vers ce mur d’inconnu. Ce mur d’inconnu, c’est la Vie.

Et alors que la voix du spectre de mon ancien amour me chuchote des mots doux à l’oreille, je me dis que je suis un sapin de Noël allumé un soir de Décembre. Mais je sais au fond de mon être que les années répètent la même erreur à chaque fois.

Elles se terminent.


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