Note de la fic : :noel: :noel:

Luna Orange Express


Par : Gregor
Genre : Nawak
Statut : Terminée



Chapitre 1


Publié le 06/12/2009 à 23:11:54 par Gregor

Une courte nouvelle. Assez spéciale, j'avoue :noel: ...




Il ne faut pas voir le soleil, encore une fois. C'est ce que j'ai décidé.
Enfin, c'est ce qu'on a décidé, tout les deux.

Il est cinq heures cinquante sept, et je vais mourir de la main de mon partenaire sexuel.


Mourir à vingt-sept ans. C'est injuste. Horrible. Moralement tabou. Mais nous l'avons choisi, tout les deux.






Luna orange express.

- Et il t'as dit quoi, finalement ?
Tomy regardait fixement le rétroviseur latéral depuis une bonne dizaine de minutes. Fenêtre ouverte, cheveux au vent, soleil épouvantable. La voiture restait chaude, emplie de l'air désertique et des odeurs sèches et piquante de la poussière, rouge et fine.
- Il a dit que j'en aurais pour trois cents dollars. Il a dit que j'étais fou, et qu'il ne voulait rien savoir. Alors j'ai payé, je les ai pris, et je suis parti.
- Il ... il t'a traité de fou ?
- Isaac, répondit-il en détournant le regard vers le rétro intérieur. Tu m'aimes ?
- B ... Bien sûr que oui, bredouillais-je, choqué. Mais pourquoi tu me demandes ça ?
- Pour rien, lâcha Tomy.
Il reprit sa posture, genoux coincés sur l'angle du tableau de bord en mauvais plastique noir. Sa main frôla la mienne, fine et humide. Il transpirait, il transpirait très fort même. L'odeur musquée éveillait en moi des désirs que je savais désormais interdits.
On ne baiserait plus.
Cela n'avait rien avoir avec le fait que nous formions un couple homosexuel, d'ailleurs parfaitement conforme niveau apparence. Pour l'intégration, on était pas à plaindre. On ne venait pas de Santa Fe. Non. De plus loin, à l'ouest. Sur la côte. Le nom n'avait aucune importance. Aucun patronyme ne comptait plus de toute façon, à part Isaac et Tomy. Même le drugstore posé, irréel, dans le rouge du paysage. Les tubes sont presque pur, sur le bord de la route. Le ruban noir tranche d'un trait la surface pétante. C'est agressif, pulsatile, ça pourrait même réveiller une migraine.
On avait strictement aucune -oui, aucune - raison d'en arriver là. Dans ce putain de désert, avec en tout et pour tout nous, la voiture, nos fringues, deux vieux flingues aux crosses usées et trente-trois dollars quatre-vingt sept. Point final.
Je parle, ou je parlais, mal. La mauvaise bière est mal passée, j'ai vomi cinq fois. Oui, je sais, je suis obsédé par ça. Je n'aime pas vomir, c'est pour ça. Et puis la résine n'a pas aidé. Mes idées sont aussi lourdes que les hautes montagnes cisaillées en face, sur l'horizon. Elles semblent si inaccessible. Il ne faudra pas les franchir si on veut mourir ...

Merde ! Je l'ai dit ! Je ne voulais plus y penser avant la fin de la nuit. Loin, le soleil descend. C'est rassurant de penser qu'il voit, qu'ici est son royaume, que même Dieu ne viendra pas nous chercher dans ce trou du cul du monde.
- Tu veux vraiment le faire ? Écoute Isaac, je ... Je me pose des questions ...
Il me fixe, sans crier gare.
- Je sais pas. C'est un bel endroit pour crever, non ?
- Ta gueule.
Il se retourne, vers le dehors. Le ciel est pur, aussi pur que nos intentions. Aussi pur qu'il me soit permis d'en juger. C’est bien, je préfère le soleil à la pluie.

On avance, on avance bien même. Quand le soleil touchera l’horizon, on aura fini par s’arrêter. Le druggstore, c’était pas une connerie, pour une fois. Isaac connaissait une des filles, une ex à son frère disait-il. Elle ne ressemblait à rien, sinon la banalité absolue qui efface tout souvenir. Elle avait des cheveux, des yeux, la peau trop clair pour être amérindienne. Elle était conne, affreusement conne. Lorsque nous a servi, que dehors, derrière la vitre longue et grisée par la poussière dans le crépuscule, j’ai failli m’étouffer avec la cuiller. J’aurais peut-être dû m’étrangler avec , mais c’était interdit. Enfin bref, elle a tellement affiché sa stupidité en reconnaissant Isaac que je me suis retenu de lui dire combien elle ne devrait pas faire ça.
Isaac m’a retenu par la manche de la chemise. Il m’a plombé, comme toujours, de ses grands yeux noirs et brillants.
- Ne le dis pas. Ne lui dis pas qu’on est ... Insista-t-il.
- Dans douze heures, ça sera terminé, me contentais-je de répondre.
En fait, c’est là que j’ai compris qu’Isaac avait peur.
Peur de crever.
Peur de ME crever.
Peur de SE FAIRE crever .


Cette fois, il fait nuit. Pour de bon. On est dehors, pas seul. La cigarette, entre mes dents, sent bon l'été. Les relents amères et acides me remplissent, remplissent tout. Mes sens, mon esprit, mes questions.

J'ai cru que je devenais fou en arrivant dans le drug. Quand la voiture s'est arrêté, Tomy avait disparu. Ça n'a pas duré plus qu'un quart de secondes avant qu'il ne réapparaisse, et les questions se bousculaient. La migraine, aussi, frappait à la porte. J'ai foutue la migraine loin dans mes souvenirs, et j'ai souris à Tomy.
Je crois qu'il se pose des questions. A propos de moi. Pas à propos de ce qu'il va se passer, non. Plutôt sur ma "motivation", mes coups d'œil insistants.
Il sait que je connaissais une des nana. Il pensait qu'elle était une ex à mon frère cadet, c'était faux. La fille était conne, dans les limites du raisonnable, et quand je l'avais baisé dans la baignoire de sa baraque, elle simulait bien. Grâce à elle, j'ai su que je n'éprouverais jamais rien pour les femmes. Grâce à elle, j'ai fixé une vie saine avec mon partenaire. Tomy était du genre idéal, les défauts en moins. Trop lui même.
Lorsqu'on a marché vers la porte, le colt trainait, lamentable, dans une des poches de ma veste. Il ballotait, flac, flac. Je n'aimais pas ça, la sensation désagréable que je pouvais commettre une bourde avant de me faire foutre en l'air.
L'idée de mort, c'est sale et vulgaire. Car un mort est sale et vulgaire. Le teint blafard, la raideur de ses mains, l'odeur entêtante, et puis tout le reste. Les larmes, les tenues apprêtées, les condoléances, toute cette merde bien mise en scène me dérange. Au moins, grâce à Tomy, je sais que je n'aurais pas tout ça à me farcir. Simple et clair, je m'éviterais la mise en scène enjoliveuse. Boum, le corps. Tombé raide, tordu en un éclair d'une déflagration fine et fatale au creux de mon thorax. Regard hoquetant, bouche ouverte. Et puis fin de partie.

Cette fois, il fait nuit. Pour de bon. On est dehors, pas seul. La cigarette entre ses dents m'obsède et me harcèle. je ne sais plus qui croire, de lui ou moi. Le noir cache bien la misère, sauf celle des idées. Isaac est un abruti, un abruti qui méritait mieux que cette idée à la con. Il parait que mourir jeune préserve des regrets. Foutaises. Conneries rédhibitoires. Les seules joies procurées dans le bruit choc des balles sur le canon, c'est l'aspect esthétique. Oh ... oui, ça sera beau. Moi ou lui. Je suis un connard, Isaac ne veut pas s'en rendre compte. Dois-je le prévenir ? Non, je suis un salaud. Un salaud qui simule tout, sauf l'amour. Je l'aime sans l'aimer, comme un joli doudou humain qui danse, enfin qui avait dansé.
On est pas seul, un camionneur fume aussi. Je ne le désire pas, il me fou la gerbe. Il m'empêche de dire à Isaac qu'il faut tout arrêter. Non pas à cause de la peur de mourir. Non pas à cause de la peine que je vais (et qu'il va) causer autour de moi (lui).
Mais parce que j'ai menti.

Mais je suis un salaud. Et un salaud ne se démasque pas.

Lumière filante dans le ciel.
- Il est venu ce soir, lâche Tomy. Le beau, le pur.
- C'est pour toi.
- Pour toi aussi.
Il sourit, me caresse la main. Le camionneur nous regarde en coin, l'air écœuré et méprisant.
- Quoi ?! Je lâche. Bah ouais, on est pédé.
Le gros type retourne dans le bâtiment. La lumière blanche d'un néon éclaire Tomy. Je voudrais faire l'amour. Mais je me contente de gueuler.
- Ouais, on est pédé ! Et on vous emmerde, bande de connard !


Tomy fatal. Il faut bien que je t'aime. Même si je doute, ou que j'ai douté. Ma tête cogne, j'ai mal. C'est sans doute la migraine, une autre, encore.

Mais la nuit s'est enfuie. Déjà le ciel s'éclaire. J'ai tout oublié. Je sais juste que le flingue est là pour tuer Isaac. On a du beaucoup marcher aussi, je ne vois plus le drug, mais seulement les montagnes, la poussière grise, les buissons d'épines. Et puis Isaac, aussi. Il sourit, le flingue dans la poche de son blouson. La crosse pend au-dehors, c'est joli, précis, cinématographique.
Finalement, j'ai réussi à tout oublier, sauf ma mort. Une seconde, j'essaye de m'empêcher de passer à l'acte, mais c'est inutile. Il parait que mourir jeune, ça évite les regrets. Je regretterais peut-être Isaac, mais comme moi, il va mourir. J'espère juste qu'on ne se souvient plus de rien, après.
L'image est belle. Le ciel se dédouble, simplement, Isaac avec. Ça tourne, en couleur. Isaac tourne autour de moi, il sourit, encore. Je ne sais pas s'il se rend compte qu'il bouge sans bouger, avec l'univers tout entier. Un miracle ... quantique. L'Univers se translate, se vectorise. C'est poétique, au moins autant que la mort.
- Isaac, c'est Tomy !
Il faut que je gueule. Il le faut, pour ne plus trop mentir.
- Isaac, tu sais qui tu es. Tu sais que tu es moi.
Il rie. Puis me fusille du regard.
- Isaac, tu sais que je sais que je suis toi-moi. On est ensemble Isaac. On s'aime. Est-ce que tu m'aimes ?



Je doute d’être Isaac ou Tomy. Parfois les deux, parfois aucun. Pourtant, les prénoms sont si différent, je ne devrais pas. C’est l’amour qui mélange, la route aussi peut-être qui joue avec mon cerveau. Une insolation ... il faudra juste boire beaucoup d’eau et se protéger du soleil.






- Isaac, c’est Tomy. Isaac sait qu’il est Tomy. Je croyais que tu savais que je le savais.
Le miroir va se briser, mais la balle n’est pas encore sortie du canon.
Il est cinq heures cinquante-sept. Je vais mourir.
La main, et puis le doigt. Ça s’emboite bien dans la détente. Il faut juste appuyer quand le canon glissera sur la tempe. Ça sera tiède, ou froid, ou chaud. Je sais pas. Je n’ai jamais touché de flingue avant.
Et toute façon, Tomy te diras la même chose. Mieux, il dira qu’il s’en fou.
Il est là sans être là. Son corps est aussi présent que moi dans ce désert .
Il est cinq heure cinquante-huit. Je voudrais mourir.
- Allez, Isaac ! Repense à la fille du bar ! Elle était peut-être pas si conne, elle était heureuse si ça se trouve. Imagine les tracas quand les flics trouveront nos corps. Ça va l’embêter, ça va la gêner au travail. Et puis, elle sera triste pour toi. C’est peut-être con comme idée. C’est peut-être nous les cons.
Il est cinq heure cinquante-neuf. Mort
- Il n’y a pas ... il n’y a pas de nous. A présent, le chemin se sépare. La balle va tout sectionner. Ma peau, mes muscles, mon sang. Même le sang, Tomy. Et puis l’amour, le passé, les souvenirs, mais aussi les projets, les espoirs, les rêves. Et les fantasmes, Tomy, tu y as pensé ?
- Tu m’aimes, Isaac ?
- Bien sûr que oui.






Il y a Isaac-Tomy. Tomy Tomy. Isaac Isaac. Le ciel explose quand le soleil perce l'horizon. Univers final, apocalypse langoureux. Les astres-âmes m'aiment.

La dose de gardenal passe dans mes veines. Je le sens quand je le sais. Mais pas ... pas quitter le délire hallucinant. Pour Issac-Isaac-Tomy-Tomy. C'est qui ... moi ?

Il faut qu'ils restent encore. Dans la poussière orange.


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