Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Et après ?


Par : DuconMcleod
Genre : Sentimental
Statut : C'est compliqué



Chapitre 1


Publié le 01/06/2010 à 00:20:46 par DuconMcleod

Le blanc total.

Un blanc de neige, nacré, pleinement immaculé, exempt de toute forme de souillures.

Le blanc parfait.

Vous pourrez dire ce que vous voulez sur les Allemands. Critiquer leur langue ou leur musique. Leur culture et leur gastronomie. Leur mentalité ou bien l'implication de leurs ancêtres dans la Seconde Guerre mondiale. Et que sais-je encore. J'aimerai que vous leur laissiez une chose. Un seul et unique petit truc qui fait toute la supériorité de cette nation.

La propreté de leur WC.

Non, sans rire, pour avoir parcouru le monde pendant deux décennies, visité plusieurs centaines de villes et traversé presque autant de pays qu'en compte le planisphère terrestre, je dois avouer n'avoir retrouvé nulle part la netteté des toilettes allemandes.

Vous devez trouver ça ridicule, du moins réducteur, de juger un pays sur le seul critère « présence de traces de freinage dans le bidet et/ou de gouttes d'urine séchée sur le bord de la cuvette ». Mais lorsque vous partez à la découverte du patrimoine culturel allemand, vous êtes heureux de pouvoir vous dire que vous ne risquez pas de contracter la syphilis à chaque fois que le besoin d'exonérer se fait sentir.

A fortiori lorsque vous êtes malade, fragile avec un système immunitaire plus ou moins déficient, qu'une plaie béante vous barre le front et que vous avez choisi, pour éviter que votre tête endolorie ne frappe violemment le sol à la suite d'un choc d'une violence pas croyable, de la laisser reposer sur un de ces modèles de propreté germanique, alors oui. Une fois encore cela revêt toute son importance.

Ce côté nickel chrome de leurs petit coins, les Allemands ne le doivent pas à une éducation hyper pointue de leurs marmots sur la propreté ou au caractère réfléchi des gestes de tout un chacun. En tout cas pas seulement. Cette réussite a pour principale origine une profession unique en son genre, que vous ne rencontrerez que dans les Länder, et quelques autres pays :

Le monsieur ou la madame toilette.

De façon simple, leur travail consiste à passer leurs journées assis, tranquillement, attendant les voyageurs de passage afin de pouvoir les rançonner. En retour, ces travailleurs de l'ombre permettent à tous les usagers de se soulager sans sombrer dans la névrose obsessionnelle. L'obligation de payer le monsieur WC est parfois morale, mais dans la plupart des cas, on ne vous laisse pas le choix. Certains poussant le vice jusqu'à ne vous céder le papier toilette qu'au moment où vous vous délestez de vos précieuses pièces jaunes, ou vous poursuivant à travers les rues pour vous contraindre à payer votre dû.

La madame toilette du fast-food, où je m'étais restauré ne possédait pas cette force de caractère. Je peux le dire parce que ma madame toilette, tout ce qu'elle a été capable de faire, c'est de prendre ses jambes à son coup en poussant un petit cri d'animal effrayé lorsque le colosse m'a brusquement claqué la porte de la cabine au visage, brisant mon nez, ouvrant les chairs de mon front jusqu'à la tempe et me propulsant contre un des murs qui cloisonnaient cet espace exigu. Lorsqu'à bout de force je m'effondrai sur le Saint Graal de la cleanitude,tous les autres usagers qui, quelques secondes plus tôt, vaquaient calmement à leurs occupations, s'étaient précipités dehors avec la madame toilette, me laissant seul, seul avec le colosse.

Ce type, je pourrai essayer de retrouver son nom. On s'était connu alors que, haut comme trois pommes, nous gambadions à travers le domaine de la colonie. On allait à l'école primaire ensemble. Il s'appelle Marc. Ou Paul. Peut être Franck. En tout cas il a toute les caractéristiques des mecs avec un prénom à une syllabe : grand, crâne rasé, sourcils drus, muscles gorgés de stéroïdes. Son visage carré lui filait une vraie gueule de tueur, celle qu'on imagine sur les visages des militaires des forces spéciales. L'expression même de la dureté et de la froide obéissance.

-Je dois dire, frère, pour un type qu'on surnomme l'insaisissable, tu crains un max. Tom et Pierre t'avaient pourtant déjà déniché en France. Je n'arrive pas à comprendre comment un mec comme toi a réussi à leur filer entre les doigts. Franchement, c'est du jamais vu.

Encore abasourdi par le choc, il m'avait fallut dix secondes pour comprendre que c'était le colosse qui venait de prononcer cette phrase, et dix autres encore pour essayer d'articuler une réponse. Manque de pot, il avait du me fracasser la mâchoire en même temps que le nez et le reste du visage. Les quelques sons étouffés que je parvins à émettre m'arrachèrent une grimace de souffrance.

-Pas la peine de te casser la tête à essayer de me répondre, j'imagine très bien ce que tu me servirais comme discours.

Ce type était un nerveux. Tout dans son attitude traduisait son excitation. Il n'arrêtait pas d'aller et venir, déambulant à travers la pièce comme un rat dans sa cage sans jamais me quitter des yeux. Ce curieux ballet faisait onduler son long trench-coat beige au gré de ses allers et retours. N'était sa taille et son agitation, il aurait pu postuler pour le rôle de l'inspecteur Colombo.

-Tes potes m'ont déjà servi la même rengaine, je la connais par cœur à force.

Il parlait, il parlait, et je ne l'écoutai pas, plus concentré sur le sang qui suintait de ma plaie que sur l'air qu'il brassait. Je sentais ruisseler le liquide tiède depuis mon front, mon nez et ma bouche, dessinant des arabesques vermillon sur ma face, avant de s'écouler, petite goutte par petite goutte, dans un bruit de robinet incontinent, sur l'orgueil de la nation allemande. Je pouvais le sentir sécher sur mon visage, encroutant mes lèvres et engluant mes paupières. L'âge avait rendu ma perception sonore plus ou moins déficiente. Qui plus est, j'étais désormais incapable d'émettre le moindre mot. A cela s'ajoutait le sang coagulé qui perlait le long de mes cil et réduisait mon acuité visuelle à pas grand-chose. Aveugle-sourd-muet. Moi qui rêvais de quitter ce monde en pleine possession de mes moyens, c'était plutôt raté.

-Marie, Marion, François premier et deuxième du nom, tu veux le nom des autres qui t'ont précédé ?

Si le colosse avait voulu citer un par un les quelques cinq cents frères et sœurs qui avaient trouvé la mort à la suite d'une rencontre avec des mecs de son genre, il aurait pu monologuer jusqu'au petit matin. Or le temps imparti pour assassiner un homme dans un lieu public ne dépasse jamais, au grand jamais, la minute. Non, le colosse souhaitait tout sauf s'étendre sur ses anciennes proies qui furent aussi mes amis. Du moins ce qui s'en rapproche le plus.

-Avant que le champ de tes possibilités ne se réduise à te rouler par terre en bavant partout, j'aimerais te poser une question. Si tu ne peux plus répondre, contente toi de sourire ou de tirer la gueule. Je prendrai ça pour un « bien » ou un « pas bien ».

Avec toute la haine qu'il avait du nourrir à l'égard des élus, sa frustration d'esclave et la souffrance d'une vie de servitude, je le vis déployer son plus beau sourire sadique. Le colosse me dit alors :

-Ça fait quoi d'être « une élite » ? De savoir qu'on doit ses privilèges au fait que sa gueule revenait mieux aux ainés que celles du reste de la colonie ? De pouvoir choisir comment on va mener sa vie ? Enfin ça fait quoi de se dire qu'on va crever comme un rat dans les WC merdiques d'un fast-food dégueulasse malgré tout ?

Le colosse était au bord des larmes lorsqu'il termina sa phrase. Le ton triste qui avait accompagné ses mots contrastait avec la violence de l'expression que son visage arborait. Au fond sa question était plutôt pertinente. S'il n'avait pas réduit ma mandibule et mon malaire en miettes, j'aurais pu lui répondre en détail. J'aurais pu lui dire ce que ça fait de naître parmi une bande d'allumés dans les montagnes, tout ça parce que mes hippies de parents avaient trouvé ça « cool » d'aller vivre en autarcie. Ce que ça fait de subir un entrainement sportif et culturel intensif. D'être séparé de ses amis. De se retrouver exilé dans une faculté minable d'une ville minable, où l'on est sensé faire des étincelles. De rencontrer un mec, du genre prophète, mais pas complètement, si tu vois ce que je veux dire. De tomber plus ou moins sciemment amoureux d'une fille. Avant de la perdre. Puis je lui aurais décrit ce que ça fait de mettre fin à un millier de vies. De revivre l'apocalypse. De réécrire l'exode ainsi que chacun des grands passages des Livres Saints. De parcourir le monde. De suivre les traces du Che et des médecins nazis à travers l'Amérique latine. De fuir, de se cacher, pour enfin rédiger la conclusion de ce grand voyage ici, en Allemagne, dans les WC super-clean mais néanmoins merdiques d'un fast-food encore plus merdique.

Oui je lui aurais dit tout ça, j'aurais précisé à quel point ça avait été bandant, et combien je priais le Seigneur Tout Puissant de lui pardonner ses péchés et de daigner lui offrir une seconde existence où ses désirs frustrés pourraient être pleinement assouvis.

Au lieu de ça je le fis bénéficier d'un séduisant sourire « dents pétées et caillots noirâtres» et avec le peu de force qui imprégnaient encore mes muscles, je levai mon pouce vers le haut, pour bien lui faire comprendre à quel point j'avais, malgré tout, apprécier mon existence pourrie.

-Bien, on va dire que t'as répondu. Félicitations au passage, tu es le dernier sur la liste.

Le colosse sortit avec précaution de sa veste un objet emmailloté par plusieurs couches de papier crépon. Il en dégagea un « y » en aluminium que je connaissais maintenant sous toutes les coutures. Mes paupières étaient désormais totalement soudées. Mais malgré tout je savais que si j''étais parvenu à poser mon regard sur le manche de l'objet en question, j'aurais pu y discerner, gravé à même le métal, mon nom, ma date de naissance et le code à trois plus un chiffre qui m'avait été attribué dès mon plus jeune âge. Tous ces petits détails n'évoquaient qu'une chose pour moi.

Ma mort.
La fin de mon voyage. Mais aussi de ma peur, de ma fuite et de ma honte. Je n'appréhendai plus rien. Au fond, je n'en avais plus rien à faire.

Si j'avais du murmurer quelque chose, ça aurait été « bourreau, fais ton office ».

Le colosse s?approcha de moi. Toute haine avait disparu de son regard, il paraissait un homme studieux, s'apprêtant à réaliser une tâche particulièrement difficile. Une expression de chirurgien. La mimique d'un bâtisseur de châteaux de cartes.
Il frappa alors faiblement l'objet contre le mur.
Et ma vie terrestre prit fin.


Commentaires