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[Confédération][2] Rêves Mécaniques


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : Terminée



Chapitre 6


Publié le 08/11/2012 à 18:50:38 par Gregor

5.



2098.


Le Palais se composait d'un ensemble gracieux de bâtiments, la plupart entièrement vitrés, qui luisaient dans la lumière crépusculaire de l’automne. Alors qu’une grande partie du quartier du Montparnasse demeurait un vaste désert de constructions, les lignes délicates du siège de la Confédération se déployaient majestueusement sur une bonne partie du boulevard éponyme. L’architecture mêlait astucieusement les différents organes de ce lieu de pouvoir, reliant au travers d'improbables passerelles de verre et de fer ce qui s’apparentait à des pavillons hauts d’une vingtaine de mètres. Seule une profonde trouée au milieu de cet enchaînement venait interrompre le rythme de ses façades.
Une chape de mystère plombait l’édifice, que l’état-major se gardait bien de conserver.
De sordides rumeurs circulaient sur les activités qui animaient son cœur : tortures, expériences douteuses, conservation de documents accablants la Confédération, sans parler d’orgies cybernétiques connues sous le nom de Rêves des Mécaniques.
Le Magister ne tentait même pas d’y prêter une oreille, aussi peu attentive fût-elle.
Thelma se tenait à côté de lui tandis qu’il examinait une série de notes diffusée dans la substance vaporeuse d’un hologramme gigantesque. Enfermés dans un bureau à la dimension des engins qui y étaient disposés, les deux êtres ne s’adressaient guère la parole. Kristian entretenait un silence inquiétant, ne jetant pas même un regard vers la mère de ses deux enfants. Il savait bien la peur qu’il produisait chez elle, involontairement.
Contrairement aux hommes qui vivaient ici à l’épicentre de la Confédération, on l’avait autorisé à garder son corps organique, n’y intégrant aucune substance ou élément artificiels. Elle résistait sans brutalité à cette mécanisation outrancière, malgré les remarques blessantes de son maitre et mari. Ce faisant, Kristian avait cédé, aussi calmement qu’il en avait été capable. Après tout, elle ne constituait aucune menace pour lui et ses proches, se tenant dans son ombre sans jamais chercher à en sortir.
Hormis les plus fidèles officiers, personne ne la connaissait, sinon de loin. Seuls le Commandus Magnus et le Colonel Jurdard savaient le rôle qu’elle jouait. Sans vraiment l’approuver, ils avaient dû accepter cette condition, cette femme presque muette qui hantait les longs couloirs et les hautes salles du Palais depuis sept ans déjà.
Elle contemplait distraitement les cartes sur lesquelles Kristian réfléchissait. Elle esquissa un pas vers la sortie, sa robe blanche et ample s’ajustant au rythme des ondulations de ses longs cheveux cuivrées.
— Thelma ?
— Oui, Magister.
Elle savait se faire oublier et chuchotait à peine, apprenant difficilement à contrôler la conscience double de celui auquel elle avait donné des jumeaux.
— Thelma, revenez, je vous prie.
Elle se retourna, contenant sa déception lasse sous un sourire attiédi. Elle ne servait à rien, n’avait aucune utilité, si ce n’était de rassurer le Magister en qui restait une part d’humanité, coincée sous les assemblages glacés et mécaniques de son corps.
Elle s’approcha de Kris et se pencha sur son bras gauche. Son œil cybernétique brillait d’olivine, signe extérieur du calme absolu qui l'habitait à ce moment-là.
— Thelma, vous resterez dans votre chambre ce soir. Oddarick ne viendra pas vous voir, je dois lui parler.
— Bien, Magister.
— À présent, disposez. Le Commandus Magnus m’a fait savoir qu’il serait là sous peu.
Bruit mat de ses pas sur le béton froid. Elle quitta la pièce, laissant la porte lourde se refermer dans un chuintement sinistre.
Kristian resta seul de longues minutes. Le silence accablant qui plombait la pièce alors que Thelma s’y tenait quelques instants plus tôt devenait obsédant. Hormis les chuintements mécaniques de son corps, rien ne venait le troubler. Seul, avec ses idées, il faisait défiler à grande vitesse une série de cartes tout en repensant à l’étrangeté de cette journée.

D’abord, les nouvelles quotidiennes que lui communiquait le précepteur d’Aïda à Nice demeuraient préoccupantes. La fillette ne répondait pas aux traitements par neurostimulants. Pire encore, on l’avait retrouvé dans sa chambre, un lacet noué à son cou, alors qu’elle s’apprêtait à se pendre au pied de son lit. Son précepteur avait timidement suggéré son rapatriement, avant de se voir intimer l’ordre de la surveiller plus sévèrement. Bien que la situation le préoccupât, il s’interdisait de montrer la moindre preuve d’affection envers sa fille. Elle devait s’adapter, même si le prix à payer dans son rôle de père était exorbitant.
Ensuite, les rapports détaillés du front ouvert sur la péninsule arabique. La situation stratégique de la région ne devait pas le transformer en bourbier pour la Confédération. Certes le pétrole qu’elle avait produit par le passé avait engagé plusieurs conflits, au point de faire s’effondrer la puissante monarchie saoudienne. Mais ce même liquide était devenu obsolète à cause de l’incroyable développement de la fusion nucléaire, puis par sa miniaturisation. À présent, seule la construction de poste avancé pour le contrôle de l’Océan Indien intéressait les belligérants, la Confédération et ses alliés d’une part, la Chine et l’Inde de l’autre. Il faudrait prendre très rapidement des mesures décisives pour relancer la marche implacable des corps armés, sans toutefois menacer les arrières bases qu’étaient devenus Jérusalem, Damas et Bagdad.
Enfin, de mystérieuses missives lui étaient parvenues. Une dizaine d’actions terroristes revendiquées par des forces hostiles à la Confédération y étaient notifiées, tout en menaçant d’un « acte de grande ampleur » dans les jours à venir, à Reykjavik. Plusieurs confédérés fanatisés par le culte de l'Esprit Mécanique l’avaient rencontré, mais il avait souhaitait attendre la soirée pour les recontacter, avant de les envoyer vers l’ancienne capitale islandaise.

Taraudé par ses questions, Kristian ne remarqua pas l’arrivée discrète du Commandus Magnus et de son fils, qui se tenaient debout, dans l’embrasure de la gigantesque porte.
Une mécanique claqua fortement, dans le corps de Javier, et tira le Magister de ses interrogations. Il leva la tête, sourit, et s’avança à leur rencontre.
— Je ne vous attendais pas si tôt, Commandus Magnus, lança Kristian dont la voix rauque résonna sur les parois en verres de la pièce.
Javier s’immobilisa en parfait salut militaire.
— Repos, Javier.
Le cyborg s’exécuta.
Oddarick, qui l’avait suivi, continuait de le fixer d’un regard émerveillé, ne pipant mot.
— Notre jeune Regalium ne souhaitait pas prolonger cette promenade, commença Javier. Voilà la raison de notre venue si rapide.
— C’est parfait. Oddarick, tu resteras avec nous quelques minutes. Quand je te l’indiquerai, tu iras t’asseoir dans le siège à connectiques. Je t’ai préparé une belle surprise.
— Oui, père.
Le groupe s’avança, Kristian et Keller devant, Oddarick derrière, afin de se placer autour de la projection holographique qui changea instantanément.
— Javier, je connais le travail formidable qui vous fournissez pour les missions d’infiltration en Arabie.
Son ton se fit plus franc.
— Mais j’aimerais votre avis concernant la situation générale sur la ligne de front. Qu’avez-vous vu là-bas, Javier ?
Impassible, le haut officier laissa passer un long silence, avant de se lancer.
— Les ordres du commandement général sont respectés dans leur ensemble, Magister… Mais les hommes sont fatigués. Certains soldats y sont stationnés depuis des mois sans que nos armées n’aient connues de véritable avancée. Pour être honnête, leur sort me préoccupe quelque peu, bien que la situation ne soit pas catastrophique.
— Selon vous, Javier, est-ce de l'épuisement physique, ou bien de la lassitude ?
— Sans doute un peu des deux. Hélas, sans action convaincante de notre part, je ne vois pas comment remotiver les moins convaincus de nos guerriers.
Cette fois, Kristian laissa passer un temps.
— Restent-ils en parfait accord avec nos Lois, Commandus Magnus ?
— À ma connaissance directe, aucun acte de désobéissance ne s’est produit. Peut-être devriez-vous vous rendre sur le front, Magister. Cela pourrait grandement rétablir la ferveur dans le cœur de chacun.
Kristian sourit doucement.
— Vous êtes si prévisibles dans vos attentions, Javier. C’est une qualité bien rare que de voir un chef s’occuper avec tant de sérieux de ses troupes.
— Je ne fais qu’appliquer nos Lois, Magister.
— Et vous le faites bien.
— C’est trop d’honneur que de pareils propos en votre bouche, Magister.

Keller s’était figé en une attitude profondément respectueuse et noble. Un sourire à peine perceptible mais sincère rendait son visage méconnaissable. Comment un militaire si dur, si implacable sur les champs de bataille, pouvait-il devenir si courtois et chaleureux ? Seule l’impeccable dévotion qu’il vouait au Magister de la Confédération pouvait expliquer ce geste.
Lui qui, huit années auparavant, avait confié sa dépouille mortelle aux soins de la technologie, et qui était devenu un cyborg redoutable d’efficacité. Simple capitaine lorsque Kristian avait pris le commandement de l’Ordo Humanis devenu Confédération, empire technologique craint par toute la planète, sa progression hiérarchique militaire fut fulgurante. Commandus d’un bataillon d’infanterie parfaitement mené, la justesse de ses décisions l’avait mené à ce statut spécial de Commandus Magnus, maître de l’Ordo Magister, cette armée aux codes et aux rites constitués par la dévotion totale de ses soldats à la technologie et à la conviction de la nécessité pour l’Homme de fusionner avec la machine.
Sa place prestigieuse n’était en aucun cas remise en cause, son génie de commandement la justifiant pleinement.
La confiance du Magister s’était trouvée scellée au jour de la naissance des jumeaux, Oddarick et Aïda, lorsqu’il se vit confié l’éducation du jeune fils. Javier s’était totalement dévoué à cette mission qui l’honorait profondément, guidant le Regalium, promis à la succession de son père, le jour venu, dans les lois implacables mais protectrices de la technologie.

Oddarick détourna son regard vers les projections, ne soufflant mot. Il observait avec attention les points signalant les forces alliées et ennemies en présence, les annotations détaillées de son père et le mouvement perpétuel qui animait l’ensemble des cartes.
Kristian le remarqua, et s’agenouilla à son niveau.
— Il est temps pour toi de découvrir cette surprise, Oddarick.
Le jeune garçon le regarda sans crainte ni défiance, comprenant sans mal l’attention que son père lui portait.
— Oui, père.
Il se dirigea calmement vers un lourd siège métallique disposé dans un des angles de la pièce, et où divers câbles semblaient échouer. Il s’y installa, ne gémissant qu’à peine lorsque de lourdes trodes immobilisèrent ses frêles bras et son coup immaculé, dévoilant un minuscule port métallique.
Malgré la décision de Kristian de cybernétiser Oddarick au jour de ses seize ans, il avait jugé utile de lui permettre d’intégrer et de comprendre le lien étrange qui unissait tout les cyborgs. Cet acte ne demeurait possible que par la fusion totale de l’esprit de son père avec une intelligence artificielle avant sa naissance, et qui avait rejailli en lui comme une caractéristique héréditaire. Oui, cette conscience artificielle, nommée Diogène, constituait une part non négligeable de son intellect et interagissait de manière discrète avec sa perception du monde. Pour Oddarick, la complexité de cet état de fait n’existait pas, Diogène était une partie de lui.

Lorsque la dernière pointe métallique s’enfonça dans son corps, il ferma les yeux, silencieux, et s’en alla vers des contrées inaccessibles.
Kristian se retourna vers Javier, le visage impassible, le regard à peine perturbé par un semblant d’émotions ou se mêlait embarras et doutes.
— Commandus Magnus, vous n'ignorez pas que Marcus Standberg reste sous surveillance.
— Tout à fait, Magister.
— Il se pourrait que nous n’ayons pas toutes les informations le concernant. Des informations capitales à notre survie qu’il maintiendrait secrète à nos dépens.
Le regard de Javier s’assombrit, l’éclat de son œil bionique vira au violet.
— Souhaitez-vous qu’elles soient identifiées, Magister.
— Commandus Magnus, je vois que vous avez compris toute la portée de mes propos, et que vous mettrez tout en œuvre pour y parvenir. Il n’y a qu’une seule condition à cela.
— Laquelle, Magister ?
— Marcus ne doit jamais que nous avons identifié son projet de descendance. Il doit rester persuadé d'avoir une longueur d'avance sure nous.
Il y eut un cours silence, et Javier reprit la parole.
— Je ne vous décevrai pas, Magister.
Kristian s’approcha davantage de lui, et murmura.
— Vous ne m’avez jamais déçu, Javier. Vous avez ma totale confiance.
Le Commandus Magnus s’immobilisa, effectua un impeccable garde-à-vous, et sortit de la pièce en silence, imperturbable.


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