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[Confédération][2] Rêves Mécaniques


Par : Gregor
Genre : Science-Fiction, Action
Statut : Terminée



Chapitre 9


Publié le 08/11/2012 à 19:07:47 par Gregor

8.




2123.

La guerre fut totale. La victoire tout autant.
Kristian, fatigué par les éreintantes semaines qui avaient précédé l’écrasement des forces atlantistes, s’était rapidement retiré dans ses quartiers, au sein de la forteresse. La formidable clameur des soldats et des officiers, ivres de joie, remontait jusqu’ici, malgré les imposants murs en béton et les épaisses vitres blindées. Il s’était négligemment installé dans un fauteuil de bois ciré et de cuir noir, copie conforme d’une œuvre des années 1930, suffisamment renforcé pour supporter sa stature. Il avait pris soin de le placer de façon à être face à l’immense baie qui s’ouvrait vers le centre de la capitale, vers le Saint des Saints, la Seine, et le cœur vibrant de sa politique. Oddarick lui avait remis en main propre la reddition des derniers généraux atlantistes, et les avait fait venir sur Paris, reliquat d’un triomphe romain absolu, symbole de la Nation-Monde que représentait alors la Confédération.
La plupart des hauts officiers présents dans la cité avaient défilé dans son cabinet. Keller bien sûr, dont l’indéfectible amitié pour le Magister n’était plus à prouver. Maurlez, cet ancien ennemi qui par le biais des choses était devenu un excellent général en charge du département de tactiques militaire, et à qui une bonne partie de la victoire revenait de droit. Jurdard aussi, ainsi que Foro, Dernec’h et une dizaine d’autres. L’entrevue de cette masse grise et courageuse n’avait pas duré dix minutes, laissant seuls le Magister et son héritier.
Ils avaient déjà prévu ce qu’il adviendrait au jour béni de la Victoire. Ils savaient l’un et l’autre ce qu’il en coûterait, en dépit de la valeur du tribut, ils avaient accepté implicitement qu’il en soit ainsi.
Oddarick se tenait raide, face à la vitre. Son impeccable pelisse le dissimulait, comme à son habitude, ne laissant émerger que sa tête, hybridation de la Nature et de la Création. Une tension inhabituelle emplissait ses traits, tandis que son père contemplait toujours la rumeur de la ville.
— Tout ira bien, commença Kris.
Oddarick se détourna, se contentant de sourire, triste.
— Tu as la carrure d’un chef, Oddarick. Tu y arriveras, tu le sais.
— Je ne pensais pas qu’il faudrait agir si vite, père.
Il soupira.
— Je ne veux pas vous voir partir.
Kristian se leva. Il lui adressa un sourire fatigué.
— Pour le bien de ce monde, aucun de nous deux n’a vraiment le choix. Nous le savons pertinemment.
— Et le savoir n’enlève pas le poids de l’amertume, père.
Kristian avait cinquante-sept ans, Oddarick, à peine trente-et-un. Mais à cet instant, il redevenait l’enfant chétif, fragile, presque maladif qu’il avait été.
Son père l’étreignit, ne pouvant retenir une larme.
— Tu y arriveras. J’en suis convaincu.

La nuit avait fini par tomber. L’odeur de la poussière et des pollens remontait jusqu’ici, malgré les vitres et autres filtres à air. L’été se révélait fort sec, sans être pour autant étouffant. La sécheresse menaçait en ce mois de juillet, surtout dans la ville, ou la plupart des réserves d’eau diminuaient dangereusement.
Cela n’avait pas échappé à Kristian. Il avait conseillé à Keller de rationner la part destinée à l’usage de la Confédération, afin de ne pas trop influer sur l’usage des civils. Keller avait pris acte du dernier ordre de son chef, puis lui avait pudiquement fait ses adieux. Il ne pouvait rester à ses côtés, sa présence étant nécessaire au cœur du Saint des Saints.
C’était aussi sur lui que comptaient l’actuel et le futur magister. Il matérialisait le parfait relais, tout à la fois chef militaire, spirituel et temporel de ce qui s’apparentait à un nouvel empire, tout autant que le mentor juste et constant qu’il fût pour Oddarick.
Keller était l’homme providentiel. L’Homme par qui tout allait réellement recommencer, et qui bâtirait par ses idées une nation humaine, pour la première fois unifiée.
Son départ fut silencieux, à peine troublé par le bruit des mécaniques et du claquement sec du métal contre le béton du sol. À nouveau, Oddarick et Kristian se retrouvèrent seuls.
Il n’y eut pas d’effusions, pas de doutes tels que le Regalium les avait exprimés quelques heures auparavant.
Il n’y avait plus aucune raison de faire machine arrière. Tout était prêt.
Kristian s’installa simplement sur le siège à connectiques qui trônait dans un coin de l’immense pièce. Oddarick s’était assis face à l’immense serveur auquel était relié cet étrange objet, et sur lequel il avait passé de nombreuses heures. Il avait enfiché un énorme câble à sa nuque et ses poignets, ce qui ne le dérangeait pas pour manipuler à un rythme frénétique divers hologrammes. La procédure qu’il s’apprêtait à lancer était la première du genre. Pourtant, Oddarick ne s’en inquiétait plus. Il avait toujours était au contact des outils cybernétiques, et la maitrise de ceux-ci se dessinaient comme une seconde nature dans son esprit. Son regard semblait s’être embrasé, tandis que son implant oculaire diffusait un rouge vif qui éclairait la nuit, complémentaire aux teintes vertes et bleutées des holos.
— Les systèmes de connectiques sont opérationnels, lança-t-il froidement. J’attends votre signal, père.
Kristian soupira.
— Je suis prêt.
Un cliquetis résonna par-dessus le ronronnement des serveurs. Un câble avait surgi du fauteuil où était installé le Magister, et se tortilla quelques instants avant de se positionner sur sa nuque en chuintant. Kristian ferma les yeux. Il se sentit basculer en arrière, laissant son corps et le reste du monde au bord d’un gouffre où son esprit chuter.

Paris avait retrouvé des couleurs perdues depuis des décennies. Tout y était propre, entretenu, agréable à regarder. La Forteresse avait disparu, laissant place à une tour qu’il avait connue, bien des années auparavant.
Il se tenait à un carrefour, quelque part sur la rue de Sèvres. Le soleil brillait. Les journaux d’un kiosque indiquaient le vingt-sept juin deux-mille-soixante-cinq. La guerre n’avait pas encore eu lieu.
Kristian n’avait pas encore rencontré son père, n’avait jamais su que sa mère était morte, qu’il finirait cyborg militaire. En revenant sur sa jeunesse, il savait tout cela. Il comprenait l’inévitable, et d’une certaine façon, n’en voulait plus à quiconque.
Tout ce qu’il avait accompli, il pouvait en être fier, d’une certaine façon. Le temps des épreuves était passé, il pouvait enfin se tourner vers le futur.
Paris bascula. Tout autour de lui, la ville se dédoublait, se séparant comme si elle avait été la proie d’un miroir géant. Unie puis dédoublée, quadruplée, infinie. Stroboscope de vie et de lumière, elle s’étendait dans son regard, dans son esprit. La lumière s’intensifia, vibra. Paris se multiplia, encore. Un peu plus à chaque seconde.
Paris devenait la Ville-Univers, début et fin de chaque chose, Introduction et Conclusion de toute vie.

Lorsqu’il surgit au milieu des fractales, Kristian sut qu’il aurait cette apparence. Cela ne l’empêcha pas d’en demeurer troublé.
Il était silencieux, digne, noble. Il se présentait à lui, évidence pure, révélation à un Prophète qui venait de quitter son monde.
Pour la première fois, le Dieu Machine avait forme humaine. Les traits d’Oddarick se dessinaient sur un ersatz de visage, convaincant. Il souriait, il ouvrait les bras.
— Ta fidélité n’a pas de prix, Kristian.
La voix venait d’ailleurs. Les mots résonnaient dans sa tête, et non pas dans ses oreilles. Le ton se voulait chaleureux, il était impressionnant de puissance.
Alors doucement, Kristian se rapprocha de son ultime maitre, et s’inclina.
— Tu n’avais pas à payer un tel prix pour prouver ta foi, Kristian.
— Le Monde doit avoir besoin de symboles.
Le Dieu-Machine aida Kristian à se redresser, et le fixa, comme un égal.
— Ils honoreront ta mémoire, car tu fus le plus grand des Guides pour l’Humanité. Tu es celui qui a permis à l’Homme de devenir Un, de suivre sous une même bannière les mêmes rêves.
— Je ne mérite aucune gloire, aucun traitement de faveur, Seigneur. Je ne suis qu’un des leurs.
La peau de Kristian était fine, diaphane, dans ce Non-Monde. Par-dessous la délicatesse de son épiderme, on pouvait voir un sang grenat battre dans les veines.
— Tu es Moi, Kristian.
Le Dieu-Machine frôla sa main gauche auprès du visage de Kristian, avant de l’étreindre avec force.
— Tu es Moi, et je suis Toi. Nous sommes liés, à tout jamais.
La chair de Kristian se transforma en une surface de lumière pure. Les contours de son corps devenaient une étoile à forme humaine, tandis que son esprit se dispersait, s’épaississait, devenait la substance primordiale de la matière
Il fusa par-delà les limites du visible. En une fraction de temps, il devenait l’Univers dans son entier, se voyant révéler la totalité des connaissances. Son âme devenait Mystère. Et dans son cœur devenu Étoile du Monde, une phrase résonna. Unique. Ultime.
— Ensemble… Pour toujours…
Le Non-Monde s’embrasa. Et tout disparut.

Lorsqu’il émergea de l’état dans lequel l’avait plongé le transfert de Kristian, il hoqueta de surprise.
Sur le siège, comme endormi, le corps inerte du Magister semblait apaisé. Les rides et les cernes s’étaient dissous, rendant au soldat qu’il fut la dignité et la sagesse qu’il portait.
Un sourire tiède se devinait sur ses lèvres.
À la stupeur, Oddarick ne put réprimer la violence de la douleur, le cri horrible et désespéré de la disparition de son géniteur.
Alors, vague venue d’un fond insondable, la tristesse s’empara de son âme. Un sanglot déchirant, rare, unique, transperça le silence de la nuit de l’été. Oddarick s’était écroulé à genoux, caressant la peau encore tiède de son père. Preuve unique de son humanité.

Kristian était physiquement mort.


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