Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Adenmu : "Et Yuukan tombera..."


Par : Pseudo supprimé
Genre : Action, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2 : Le Comptoir du Lutin


Publié le 19/08/2013 à 01:11:32 par Pseudo supprimé

Le vieil homme contemplait la vaste salle, éclairée d'un grand foyer, avec une mine satisfaite. Parmi les caisses de marchandises, dans ce petit entrepôt situé un peu en retrait des quais, on jouait aux cartes, discutait bruyamment, tapait du pied au rythme de la musique et, plus que tout, on buvait.

C'était une bonne soirée : la salle était bien remplie et les clients ne semblaient pas disposés à partir. Une chance, un soir comme celui-ci : c'était le jour du grand marché, le seul jour du mois où les marchands étrangers étaient autorisés à déballer à Ukabu. Cet événement était éreintant pour tout le monde, les rues devenant bruyantes et bondées du lever au coucher du Soleil. Habituellement, rares étaient ceux qui tardaient hors de leur chambre passé dix heures.

Les habitués étaient toujours au rendez-vous. Tout d'abord le grand Belk et sa bande, jouant à la « chasse au fou », comme chaque soir ou presque. Belk était un homme d'une cinquantaine d'années, à la carrure d'ours et au visage perdu entre son épaisse toison et sa longue barbe ; c'était un excellent joueur, fixant sans arrêt ses adversaires de derrière ses petites lunettes à verres jaunes. Ses amis, s'il n'atteignaient pas l'extravagance du grand Belk, étaient eux aussi de curieux personnages : Marlik, un jeune homme frêle aux cheveux courts et bruns, toujours enveloppé dans une cape de cuir ; Shilsia, une trentenaire d'origine chikarate, et dont seuls les longs cheveux blonds et les grandes lunettes rondes apparaissaient de sous l'impressionnante quantité de tissus et de bijoux qu'elle portait ; Remin, à l'inverse, paraissait sortir tout droit des bureaux d'Ukabu Nord : tailleur gris en vogue, cheveux épinglés et regard sévère, elle n'en restait pas moins une femme joyeuse et amicale qui s'intégrait parfaitement aux longues parties disputées près du grand feu.

Venait ensuite un autre groupe : des jeunes du Merigan, le quartier jouxtant le canal. Ils ne causaient jamais de soucis et venaient régulièrement depuis de nombreux mois déjà, aidant parfois le gérant contre rémunération. Leur nombre variait selon les jours, atteignant parfois la vingtaine. Ce soir-là, ils n'étaient que six, et parmi eux se trouvait le leader de la bande, Akem, un grand brun, fort mais calme et discret, bien que son autorité ne fasse aucun doute.

Les autres étaient des clients isolés, s'intégrant parfois à un groupe, parfois à un autre, leur présence était plus ponctuelle mais ils constituaient tout de même des piliers de l'établissement : Armon la gifle, Patrin Offelir, Arghat et Meria... La liste était longue et une bonne partie était encore constituée de drôles de gens.

Ce soir là, une bonne quinzaine de Chikarates venaient compléter l'effectif, se souciant peu de la longue route du lendemain, et faisant grimper le nombre de clients à près de quarante personnes. Pour couronner le tout, Faerdan Lovelyn et ses musiciens se chargeaient d'animer la soirée.

Le Lutin, comme on le surnommait, tira de ses étagères trois sakés supplémentaires commandés par Akem, et les tendit au garçon. Après quoi il attrapa sa canne à pommeau d'argent et clopina jusqu'à son grand fauteuil à moitié éventré. Il ne portait pas ce nom par hasard : avec sa veste verte à grand col parée de fils dorés, ses cheveux longs et broussailleux, et sa barbe grise surplombée d'un énorme nez, il avait vraiment l'air d'un lutin. Malgré le bruit environnant et la fougue des musiciens, le vieil homme ne tarda pas à s'assoupir, l'esprit tranquille. Les habitués veillaient au grain, son établissement ne risquait rien, pensait-il. Ses pensées filèrent d'un bout à l'autre de Yuukan pendant quelques minutes, il plana des montagnes glacées du Nord aux obscures forêts à l'Est de Mahou, puis ce fut le noir, un sommeil calme et sans rêve.

Le noir. Il entourait la joyeuse assemblée qui s'amusait autour du feu. Avec lui semblait s'arrêter toute amertume, tout malheur. La douce chaleur des flammes paraissait être un solide rempart contre la difficulté et les dangers de la vie à Ukabu. Paraissait seulement, car, tapie derrière les empilements de cageots et de caisses, une ombre attendait, patiente, immobile, et ce n'était certainement pas la lumière d'un grand feu qui allait l'arrêter...

Sous les applaudissements des clients, un des musiciens quitta la scène pour prendre une pause. Un joueur de Yern, cette longue flûte traditionnelle ikarienne. Invité par un petit groupe de Chikarates, il s'assit parmi eux. De taille moyenne et assez bien bâti, il portait une tunique bouffante beige et un pantalon brun rentrant dans des bottes de cuir. L'ensemble était de très bonne qualité et avait dû coûter une fortune. Le style se prêtait plus à un habitant d'Ukabu Nord qu'à un riche marchand du côté Sud, et quelques uns étaient naturellement curieux de voir cet homme jouer dans ce bar isolé et relativement peu côté. Il répondait amicalement aux incessantes questions des marchands de l'Ouest, son visage fin étiré d'un grand sourire et ses yeux bleus jonglant entre ses interlocuteurs. Il avait attaché ses longs cheveux blonds en quittant la scène.

Adeim Neki. C'était son nom. Le groupe de Lovelyn le savait bien sûr depuis longtemps ; certains l'avaient vu sur l'annonce de la soirée et l'avaient retenu ; les marchands chikarates l'apprirent de sa bouche même ; le Lutin endormi le connaissait du jour où ils avaient signé le contrat. Une autre personne dans la salle savait comment le flûtiste s'appelait. Il ne le connaissait pas, ne le lui avait pas demandé, ne l'avait pas vu sur l'affiche, mais il était comme le Lutin lié à lui par un contrat. Un contrat d'un genre tout autre que celui signé avec le vieux tavernier, un document à cette heure détruit car compromettant. Cachée derrière les piles de caisses de marchandises, l'ombre avait reconnu sa cible. Adeim Neki venait de jouer sa dernière ballade.

Combien remarquèrent la silhouette meurtrière bondissant de sa cachette, je ne saurais le dire, mais aucun ne réagit assez vite pour empêcher la lame acérée d'un poignard de s'enfoncer dans la gorge du joueur de Yern. La panique s'empara de la salle, certains hurlaient, d'autres restaient silencieux et s'affairaient à sauver leur peau.

Le vacarme soudain tira le lutin de son sommeil, il ouvrit péniblement les yeux et vit cet homme tout vêtu de noir et le visage dissimulé par une cagoule, il vit l'homme qui gisait à ses pieds, baignant dans une marre de sang, les gestes affolés de ses clients, et il se mit à trembler dans son fauteuil. Ukabu Sud était un terrain de choix pour tout malfaiteur, du voleur de fruits au chef trafiquant, et le vieil homme avait vu dans ces rues des choses qu'il n'aurait jamais voulu voir. Son établissement avait été témoin de biens des événements durant ses vingts années d'ouverture mais ça, c'était très mauvais. Ces gestes froids et calculés, ce regard vide qui se posait sur lui... même les plus grands tueurs en séries des rues de la ville du Nord ne semblaient pas aussi froids et machinaux. Il n'avait pas devant lui un sadique assassin tuant par plaisir ou pour l'argent. Il était face à une arme vivante, une machine à tuer.

Durant la maigre seconde que dura cette réflexion, un petit objet métallique heurta le sol. Aussitôt, une épaisse fumée rouge s'en dégagea et envahit l'entrepôt. L'assassin bondit vers la sortie mais fût arrêté dans sa course par une silhouette massive. Certains hommes dans la salle ne comptaient pas laisser le meurtrier s'échapper, et le grand Belk était de ceux-là. Il ceintura tant bien que mal le fugitif tandis que ce qui n'était qu'une vague silhouette sombre dans la fumée opaque se précipitait vers eux, levant une chaise au-dessus de sa tête. L'arme de fortune n'atteignit pas son but puisqu'un puissant coup de pied s'abattit sur le poignet du courageux client. Il lâcha son arme sous la douleur de ses os brisés tandis que le grand Belk était projeté sur une table voisine.

A partir de ce moment personne ne distingua plus l'assassin parmi la foule effrayée et nul ne sût comment il quitta l'entrepôt...


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