Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Les Fantômes Peuvent Mourir


Par : BaliBalo
Genre : Polar, Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 10 : Réminiscences


Publié le 16/02/2013 à 18:33:17 par BaliBalo

Dans la précipitation ma capuche était tombée, laissant le flot humide de la pluie se déverser sur mes cheveux, les plaquant contre mon front. Mais je n’en avais rien à faire, trop inquiet pour me préoccuper de l’eau glacée qui coulait dans mon col. Je poussais la porte vitrée, entrant à toute berzingue dans le hall lumineux du poste de police. L’agent en service me reconnut immédiatement et secoua la tête, l’air désapprobateur. Je haussais les épaules, conscient du souci que je causais à ces braves représentants des forces de l’ordre. Je venais ici tous les soirs, ou presque, et comme toujours, le policier me mena en cellule de dégrisement. Elle était là, assise sur une chaise en plastique, la tête reposant dans ses mains. Elle sourit en m’apercevant et se leva, s’excusant platement auprès du policier à mes côtés. Evidemment elle avait oublié son manteau quelque part, je lui fis donc enfiler ma veste avant de quitter les lieux, l’agrippant au coude. A peine sortis, elle explosa de rire, l’air ravie de la façon dont elle avait berné le policier sur son état, elle riait, incessamment, telle une démone, ce qui me poussa à m’inquiéter d’avantage et à lui demander :

« Qu’est-ce que tu as pris ?

Seul son rire hystérique me répondit.

— Qu’est-ce que tu as pris ? répétai-je en risquant un regard vers elle.

Ses pupilles dilatées fixaient le ciel et reflétaient la lumière malade des réverbères, des mèches de cheveux humides venaient encadrer son visage et barrer son front d’un éclair brun, son maquillage n’était plus, s’étant réparti sur ses joues et son nez, les striant de traces noirâtres, ses paumes à plat, tournées vers le ciel, semblaient vouloir retenir la pluie et enfin sa bouche grande ouverte d’un air béat d’où s’échappait un rire maléfique et puissant donnait l’impression de vouloir avaler l’eau tombant du ciel. Véritablement inquiet cette fois, je m’arrêtai face à elle et la saisis par les épaules, criant presque cette fois.

— Qu’est-ce que tu as pris ?

Au contact de mes mains sur ses épaules, ses yeux réagirent et se tournèrent vers mon visage, se plongeant dans les miens, elle sembla apaisée un instant mais dès que ma voix tonna elle se raidit et ses yeux s’emplirent de haine. Elle hurla avant de me griffer au visage en crachant :

— Ne me touche pas !

Je ne réagis pas. J’avais l’habitude, le moindre de mes gestes lui ferait plus de mal que de bien. Elle répéta plusieurs fois ce qu’elle avait hurlé en se frottant les épaules, comme pour ôter toute trace de mon contact. Brusquement ses marmonnements cessèrent et elle se remit à parler sur un ton presque menaçant tant il semblait se moquer de mes tourments.

— Tu ne réagis pas, constata-t-elle, tu ne réagis jamais. C’est parce que tu as peur ? Peur de moi ?

Je sentais qu’elle s’approchait, lentement. Sa voix enflait entre les gouttes de pluie, se faisant plus effrayante encore. Mais je ne bougeai toujours pas, immobile face à la voix haletante se rapprochant inexorablement. Je fixais le sol, me sentant trop faible pour oser la regarder. Soudain elle fut devant moi, à quelques centimètres seulement, sa voix se fit plus faible, murmurant plus qu’elle ne parlait, me tourmentant d’autant plus :

— Non… Non, c’est parce que tu ne peux pas me faire de mal, ajouta-t-elle dans un sourire angoissant.

Sans prévenir elle m’enlaça, glissant ses doigts fins jusqu’à ma nuque, je luttai de toute mes forces pour ne rien faire, son petit doigt effleura ma peau, je frémis, elle le sentit et poursuivit :

– Oui, tu ne peux pas me résister.

Elle se mit sur la pointe des pieds pour atteindre mes lèvres des siennes. Malgré tous ses efforts pour me faire vibrer je ne bougeai pas, bien que dans ma tête tout soit sans dessus dessous. Elle se décolla rageusement de moi et cria :

— Mais putain tu vas réagir ? »

Elle leva le bras pour me frapper à nouveau mais cette fois je l’arrêtai d’une main. Le bras en l’air elle sourit et relâcha son membre, je le laissais tomber et reprit la marche vers la voiture. Les phares de la vieille Clio clignotèrent un instant tandis qu’elle gambadait jusqu’à la portière du siège passager. Je me faufilais dans l’habitacle. Ma canette de bière m’attendait. Je bu une gorgée avant de tourner la tête vers le siège passager, je soupirai :

— Met ta ceinture.

Elle s’exécuta et, alors que je prenais une deuxième gorgée de ma Guinness, elle se tourna vers moi ramenant ses genoux contre sa poitrine. L’air innocent, elle me demanda :

— Est-ce que tu m’aimes ?

— Si je te le disais maintenant tu ne t’en souviendrais pas à ton réveil.

— S’il te plait… souffla-t-elle

— Je te le dirais demain, quand tu seras sobre. »

Le silence me répondit, rythmé par sa respiration légère et profonde : elle s’était endormie. Je pris une dernière gorgée de bière, songeant qu’elle était insaisissable tant elle était imprévisible. J’étais épuisé : elle me fatiguait. Dans un élan de désespoir je m’effondrais sur le volant.

Barrais se réveilla en sursaut et se frotta le front, craignant que le volant lui ai laissé une marque. Il ne comprit que le volant n’était qu’un élément de rêve que lorsqu’il remarqua qu’il se trouvait dans son lit. Allongé dans le noir, il écouta le vrombissement des moteurs dans la rue, tentant péniblement de restreindre l’angoisse qui le tenaillait suite à ce rêve criant de vérité. Il se frotta les yeux. Combien de fois avait-il vécu cette situation ? L’inquiétude, la police, la cellule de dégrisement, la folie et puis d’un coup, le silence. Combien de fois s’était-il retrouvé dans la vieille Clio, avec pour seule musique de fond la pluie battant les vitres et la respiration de la jeune épave dormant profondément à ses côtés ? Combien de fois s’était-il demandé s’il parviendrait à la rendre heureuse, s’il pourrait l’aider à s’en sortir ? Combien de fois avait-il désespéré sur sa condition, songeant à la quitter, à la laisser s’embourber dans sa merde où il glissait peu à peu lui aussi ? Incapable de se rendormir, le lieutenant se leva, trébuchant jusqu’au lavabo. Il alluma la petite lampe au-dessus du miroir et, après s’être abondamment rincé le visage, s’examina longuement. Il se demanda où était passé le vieux Arthur Barrais, cet homme un peu fou mais trop passionné pour s’en rendre compte. Pourquoi l’avait-il laissé ? Il se souvenait encore du jour où il avait pris sa décision. En homme raisonné, il avait choisi d’aller se faire dresser à l’armée et il avait enfoui sa propre personnalité. Cet être qu’il était, il l’avait enterré dans un carton, emplissant de souvenirs et d’écrits une boîte qui se devait de demeurer close. Aujourd’hui le lieutenant était un autre homme. Il avait muri et désormais le contenu de cette boîte l’intriguait plus qu’il ne l’effrayait. Ainsi, poussé par la curiosité, il alla déterrer ses souvenirs, croupissant dans le fond du placard de la cuisine. A la lumière de la petite lampe de table, il se mit à éplucher ce que lui offrait le contenu des cartons. Le lieutenant s’immergea totalement dans son passé, cherchant à retrouver les sentiments qui l’animaient à l’époque. Il voulait comprendre car il pressentait qu’il en aurait besoin lorsqu’il se trouverait à nouveau face à elle. C’était là, et il en était persuadé, que la plus grande faiblesse du lieutenant résidait : en Line Bertau.

Voulant à tout prix être en mesure de lutter contre ces anciens sentiments, Barrais se laissa envoûter par ses propres écrits, si bien qu’il failli en oublier d’aller au boulot. Alors qu’il lisait le récit de son voyage en Indes, il se rendit compte qu’il était déjà neuf heures passé et donc qu’il était en retard. Néanmoins captivé, le lieutenant s’accorda d’achever la lecture de ses notes sur la journée du 8 juin 2015 contentieusement rédigées dans un calepin faisant office de journal de bord.

« … je me suis rendu au marché. Il y avait foule et ce n’était pas étonnant vu la variété et les prix des marchandises. J’ai fait une razzia sur la bouffe. J’ai même trouvé un cadeau pour Line, d’ailleurs j’espère qu’elle se porte bien. Elle était calme quand je suis parti mais si elle recommence à boire et que je ne suis pas là… »

Ce genre d’épanchement sur Line revenait souvent dans les notes de Barrais, il s’en était bien rendu compte. Il considérait qu’à l’époque il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter pour elle. Après tout, Line était capable du pire lorsqu’elle buvait. Le lieutenant revint à ses notes et les parcouru, pressé :

« … c’est un beau bijou en toc, ça lui fera plaisir de voir que j’ai pensé à elle. Elle me pardonnera de l’avoir abandonnée. »

Les notes du jour s’arrêtaient là, marquant la fin des investigations du lieutenant dans son propre passé. Sans s’attarder tant il était repu de souvenirs, il passa une chemise et échangea son jogging contre un pantalon noir lâche, le rendant plus présentable. Puis il enfila son blouson et empocha ses clefs d’un même mouvement ample avant de filer à la Brigade.

Au cours de la journée, Barrais n’eut pas eu le loisir de s’ennuyer, ni même de réfléchir posément aux avancées de l’enquête. Arrivé bon dernier à la Brigade, il avait retardé la réunion concernant l’affaire Bertau-Jeannet et s’était fait passer un savon par Planchet. D’ailleurs Barrais avait remarqué que sa relation avec le commissaire allait en se dégradant car, depuis qu’il avait osé proposer d’interroger seul Line Bertau, Planchet semblait persuadé qu’il avait pris la grosse tête et l’affectait à des missions de secrétariat. Ainsi, le lieutenant avait passé la journée pendu au téléphone notamment pour joindre le personnel du restaurant créole, situé à l’angle de la rue Léopold Robert et appartenant à Mme Bertau-Jeannet. En effet jusqu’ici les serveurs avaient été injoignables et le restaurant demeurait fermé créant ainsi quelques difficultés à la police pour déterminer l’identité des serveurs. Visiblement, les employés avaient fuis, ce qui suggérait que les affaires du restaurant n’étaient pas très nettes. Mais aujourd’hui, Barrais était parvenu à contacter un des serveurs et le barman. Il les avait invités à se rendre au plus vite à la Brigade mais les deux hommes se trouvaient actuellement dans le sud du pays et ne pouvaient rejoindre la capitale que le lendemain.

Lorsqu’il raccrocha, le lieutenant rédigea rapidement un rapport quant à ses soupçons sur le restaurant créole avant d’étendre ses jambes sur l’accoudoir du fauteuil en plastique en face de lui et de se plonger dans ses pensées. Maintenant qu’il était au poste, il ne pensait plus qu’à l’affaire Bertau-Jeannet et il restait persuadé qu’il avait merdé quelque part, par conséquent, il reprit tous les éléments un à un. Le meurtre avait eu lieu le soir, dans l’appartement même de la victime, sans trace d’effraction, ce qui indiquait que le meurtrier avait été librement invité à entrer chez la victime. Partant de là, les deux protagonistes devaient se connaître, d’où la suspicion de la fratrie Bertau. Cependant, ceux-ci étaient présumés innocents puisque leurs quatre témoignages concordaient en tout point. De ce fait, ils n’avaient plus rien à voir avec l’affaire, excepté leur lien de parenté avec la victime. Néanmoins, Barrais ne pouvait s’empêcher de ressentir un certain malaise. Il reprit sa réflexion d’un autre point de départ : sa propre visite des lieux. Au cours de l’inspection de la scène du crime il avait remarqué la présence de deux assiettes contenant les mêmes restes dans la cuisine, ce qui l’avait conforté dans l’idée que le meurtrier était l’invité de la victime et l’avait à nouveau amené à suspecter les Bertau. D’autre part, il avait ensuite ramassé un bijou qu’il avait dissimulé au commissaire car il avait pressenti que l’objet pourrait être une preuve déterminante. Une fois de plus, il glissa sa main dans la poche et en sortit le collier trouvé sur les lieux du crime. Le métal oxydé du bijou réfléchit la lumière du soleil, agressant l’œil de Barrais. Brusquement, ses jambes glissèrent du fauteuil et le lieutenant se redressa, effaré par ce qu’il venait de réaliser. Il fit tourner l’objet entre ses doigts, l’observant sous toutes ses coutures avant de conclure : il connaissait ce bijou, il l’avait lui-même acheté il y a des années sur un marché indien, c’était le cadeau de Line, celui dont le journal de bord parlait.


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