Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

©opy®ight


Par : Loiseau
Genre : Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 3


Publié le 06/10/2015 à 21:26:31 par Loiseau

Pendant les premiers jours de ma « retraite », je n’ai pas su quoi faire. J’errais dans des pièces aussi vides que mon cœur, marmonnant parfois quelques règles essentielles. L’initiative mène à la mort. La mort est à éviter. Vous devez produire. L’improductivité mène à la mort.

« Mène à la mort ». Je me rends compte à quel point cette phrase est vide de sens. Bien sûr, « mène à la mort » est beaucoup plus efficace que « mène au chaos ». Certains pourraient désirer le chaos, alors que personne ne désire la mort. Surtout la mort froide et vide de sens qui attend toute personne ne s’adaptant pas à la perfection au système. Une mort qui n’est ni ritualisée, ni accompagnée… Elle représente la fin, pas le renouvèlement. Sous cet angle, tout le monde choisit l’esclavage plutôt que la mort, à plus forte raison si personne ne connait le concept d’esclavagisme.

Si j’avais pu, j’aurais continué à travailler. M’asseoir derrière un bureau, aboyer des ordres déjà tout prêts et trier des humains comme on trie des marchandises m’apparaissait comme la seule chose à faire. J’étais incapable d’envisager autre chose. Lire ? Je ne savais même pas que les livres existaient, je ne connaissais que les fiches distribuées au travail. Écrire ? Je n’en avais pas le Droit. Et puis, il est difficile d’écrire quand toute imagination a été tuée en soi. Faire du sport ? Impossible, seuls les « employés » d’Arès Security étaient autorisés à pratiquer une activité physique hors des séances d’entrainement.

En bref, j’étais lamentable. Ceux qui régissaient l’attribution de maisons aux meilleurs employés avaient eu la présence d’esprit de remplir les placards de nourriture toute prête, qu’il suffisait de passer au micro-onde. Je pouvais au moins me nourrir. Si j’avais eu à cuisiner et bien… je serais tout bonnement mort de faim.


Comment raconter deux mois de néant absolu ? Je réalise maintenant que si j’avais fait partie d’une autre corporation, comme la SI par exemple, je n’aurais sûrement pas survécu si longtemps. Confronté à la solitude absolue, j’avais réussi quelque chose de grand. J’avais, au bout de trois semaines, réussi à formuler une pensée à moi. Je ne sais plus si c’était la toute première, mais j’imagine que oui, même s’il est possible que dans ma petite enfance, j’ai pu penser un tout petit peu par moi-même. Ce n’était qu’un embryon de pensée, quelque chose de fragile, de faible, à peine formé, mais vivant pourtant. Elle m’est venue alors que j’étais allongé dans mon lit étroit, n’arrivant pas à dormir. Je n’avais pas mangé de la journée car mes réserves s’étaient épuisées, mais je savais que le lendemain mes placards seraient à nouveau pleins, comme par magie. C’est là que je me demandais, de manière totalement imprévue.

Qui m’apporte à manger ?

Ceux qui ont la chance de pouvoir utiliser leur cerveau de manière normale ne peuvent pas comprendre la sensation qui me traversa l’échine à ce moment-là. De la panique pure et l’impression d’une balle traversant mon crane. Je m’arrêtais même de respirer, croyant être mort. C’était douloureux. Comme si j’avais, sans le faire exprès, sauté par-dessus une barrière électrique sans même savoir que cette barrière existait ; j’étais désorienté, hagard. J’essayais instinctivement de me réciter sans arrêt les règles de la PC, pour laver mon esprit de cette pensée inopportune. J’y parvins ce soir-là et sombrait finalement dans un sommeil aussi vide de rêves que d’habitude, le cœur encore tremblant et les tempes brûlantes.


Le lendemain matin tout se passa normalement. En me levant, à 6 heures du matin, j’allais me doucher pendant dix minutes ; puis je me brossais les dents, me rasais de près (un privilège non négligeable de la PC, le Droit de se raser soi-même. La plupart des autres entreprises déléguaient à une poignée de leurs employés le Droit de tondre tous les autres une fois par mois) puis je descendais dans la cuisine. Les placards et le réfrigérateur étaient à nouveaux remplis, comme prévu, et je me saisis automatiquement d’un plat à réchauffer. Il était écrit dessus « Repas 1 ». Je le mis au micro-onde et m’assis à la table, attendant. Ce n’est qu’alors que je sortais le plat du four que la douleur recommença.

Qui m’apporte à manger ?


Je lâchais l’assiette en carton qui répandit son contenu sur le sol. Quelque chose derrière mes yeux semblait me commander de fixer cette substance brunâtre répandue par terre, brûlante et malodorante.

Qu’est-ce que je mange ?

Mes jambes ne me portaient plus. Mon crane hurlait sa souffrance à travers ma bouche. Je ne comprenais pas ce qui m’arrivait, la nausée m’envahissait pour la première fois. Dans ma tête, tout n’était que fracas et ces deux questions rebondissaient contre les parois de mon cerveau, voletant comme autant de chauve-souris, émettant des ultrasons qui griffaient mon âme.
Je m’évanouis là, dans les restes de mon repas non consommé. Sachant que bientôt, très bientôt, je serais recyclé. J’étais dysfonctionnel, ma date de péremption était bel et bien dépassée. Il fallait que je sois jeté, détruit, brûlé. J’étais obsolète.


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