Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 9


Publié le 29/11/2015 à 03:36:10 par Sheyne

D'un seul coup, l'écartèlement semblait bien plus attrayant...

Alors que le capitaine n'imaginait laisser aucun choix, considérant la réponse comme évidente, il vit le Roi hésiter et ne comprit pas. Lui qui voulait simplement couvrir une femme ravissante de cadeaux, lui offrir un mode de vie confortable et saine... il restait sur la balance et l'on attendait de vérifier si elle avait bien penché du bon côté... On soupesait à nouveau son offre, encore et encore. Avait-il si peu de valeur ? Son épouse l'avait trompé et maintenant une inconnue, pourtant miséreuse, rejetait son présent... La richesse ne lui manquait pas, il n'était pas laid... alors pourquoi ? Ne parlait-on pas d'un choix entre la mort et un avenir radieux ?

Seulement, la question était réelle et les deux possibilités aussi abjecte qu'aberrante. Accepter la première consistait à se laisser démembrer devant des centaines de personnes (Destin certes peu recommandable, mais rapide), la seconde rester en cage et se faire violer tous les soirs par un homme jusqu'à la fin de ses jours. Évidemment, le suicide était toujours une option (tirer à l'arme à feu dans la maison du chef de la garde en étant un), mais cela revenait à abandonner tout espoir.

N'ayant pas le temps d'échafauder de plan de secours, le Seigneur se leva et son murmure porta jusqu'au bout de la salle :

«J'accepte...»

Son minois s'inventa un sourire radieux (Il fallait à tout prit masquer son dégoût, cacher ses intentions.) et le capitaine marcha vers sa future épouse. Chevaleresque, il s'agenouilla en lui saisissant la main. Un baiser vint frôler les doigts fins avant que sa réplique ne fuse :

«Vous ne manquerez de rien, je n'ai qu'une parole.»

Malgré sa carrure imposante, sa mâchoire carrée et ses cheveux blonds coupés à la militaire, c'était un sentimental. Sa voix était toujours douloureuse et il devrait faire son deuil avant d'aller plus loin. Dans l'aristocratie, un délai de deux mois devait être respecté à la mort d'un des partis avant un nouveau mariage. Cela pourrait bien le sauver. Mais le capitaine brisa trop vite ses espoirs.

«Je ne peux pas vous prendre pour femme tout de suite. Cependant, voyons-nous ce soir pour apprendre à nous connaître. Je vais avoir besoin de temps pour faire le point aujourd'hui. Edward, mon second vous expliquera les détails et vous préparera.»

Il se tourna alors vers celui-ci. La main sur son épaule, il poursuivit :

«Lorsqu'elle aura dit en revoir à son ami, installez-la dans ma chambre. Surtout, surveillez-la, afin qu'elle ne manque de rien.
— Bon et du coup, concernant mon paiement ? L'ours grogna.
— J'ai failli oublier. Il est certain que vous méritez une honnête récompense. Attendez-moi là une seconde, je vais chercher un coffret à la trésorerie.»

Le colosse souffla finalement. Tout ce bordel lui avait donné mal au crâne, il avait cru ne jamais recevoir l'argent. Cependant, lorsque le maître de maison avait quitté la salle il sut que tout était pour le mieux. Le plan de base avait un peu foiré, mais ça s'était bien arrangé. Hel avait même réussi à trouver un mari charmant qui pourrait l'entretenir. Quant à lui, il était désormais un homme riche. Et ce seul fait suffisait amplement à faire disparaître toute trace de jalousie.

Le Roi, quant à lui, songeait à une issue de secours. Genoux repliés contre la poitrine, assis sur le fauteuil, il fixait désespérément le vide. Il se moquait bien de ce qui pourrait penser les autres en le voyant : ils mettraient sans doute sa réaction sur le coup de l'émotion. Alors il se concentrait sur un moyen de fuir. S'il voulait quitter la maison de force, c'était maintenant qu'il n'y avait plus le capitaine. Cependant, il laissa le moment filer et bientôt ce dernier fit une nouvelle entrée, les bras chargés de trésors. Il croisa le regard vide de sa future épouse et la rassura d'une mimique stimulante. Puis, tendant les cadeaux à l'Ours :

«Tenez. J'ai ajouté un supplément. Sachez que je n'oublie jamais mes amis, j'espère pouvoir compter sur vous à l'avenir.
— Assurément, monseigneur ! Soyez sans crainte. Vous n'avez qu'à utiliser le même réseau que pour cette affaire.»

Après toute cette attente, le colosse y croyait à peine. Il empocha de quoi vivre dans le luxe une année entière au quatrième niveau, trois mois au cinquième palier ou une semaine au sixième. Peu lui importait tant qu'il pouvait dépenser sans compter.
Sur ces pensées, il quitta simplement la pièce (jugeant les adieux inutiles) et le roi se sentit lâchement abandonné, prisonnier. Cependant, bien qu'il en veuille à Max, quelque chose lui soufflait que sa souffrance ne résultait que de ses propres actes. La preuve en était les questions auxquelles il n'osait pas répondre : est-ce que tout se serait passé de la même manière s'il n'avait pas tué la femme de cet homme ? Comment les choses auraient tourné si le collier avait été simplement volé, sans un seul mort ? On ne pouvait pas en être sur, mais il était certain qu'il ne serait pas fait prisonnier par un malade. En vérité, il serait déjà en route pour son palais. C'était une évidence et ça lui faisait mal. Ce qui était le plus dur c'était de songer à cette notion de Karma et se souvenir du Philosophe. Était-ce à cause de ses actions que le destin s'était montré si cruel ? Non ! Il ne fallait pas pousser non plus. On n’allait pas attribuer à un affreux concours de circonstances une dose supplémentaire de croyance farfelue. Le seigneur n'était pas superstitieux, car cela portait malheur. Même si l'assassinat l'avait mis dans ce pétrin, c'était une coïncidence si sa cible était avec la mauvaise personne.

Bientôt, le capitaine s'approcha pour complimenter la jeune femme. Sa main lissa doucement ses longs cheveux bruns, tandis qu'il murmurait simplement :

«À ce soir.»

Le Roi voulut hurler. Un frisson de dégout sillonna sa peau, tandis qu'Edward avança pour le conduire dans sa future geôle. Tout le chemin il tint un port altier, les dents serrées. Le temps de monter un énorme escalier à double révolution, on le cloitra dans une vaste chambre. La serrure s'ébroua avant de claquer bruyamment et ses jambes lâchèrent. Le seigneur resta donc seul, assis par terre, dos à la porte et la tête branlante. Il n'y croyait toujours pas.

La situation aurait pu être pire, car au lieu d'une cellule il avait une belle pièce. A la place d'une unique fenêtre, trois larges menaient à l'extérieur. Même si aucune n'avait de barreaux il ne prit pas la peine de regarder, jugeant la fuite au deuxième étage inutile. (D'autant plus sous le nez des gardes.) En cage dans ce manoir, il n'en sortirait qu'avec l'accord du Capitaine, ou mort.

La matinée passa trop rapidement. Tourmenté, il n'eut pas le temps de décider de la conduite à adopter. Heureusement, lorsqu'on demanda à entrer, ce fut le majordome qui vint chargé d'un plateau de victuailles. Il se contenta de déposer le copieux repas, un poulet rôti sur lit de marrons chaud. Son hôte ne semblait pas lésiner sur les dépenses. La seule présence des fruits d'automne en plein été en était une démonstration remarquable et malgré sa répugnance pour l'actuelle situation, la jeune femme affamée fit honneur aux mets.
Du moins, elle en mangea la moitié avant de s'étonner de ne déjà plus rien pouvoir avaler, là où son corps précédent aurait consommé le double.

Après ce repas, une douce somnolence l'emporta. Ses craintes ne suffirent pas à l'empêcher de fondre dans le lit. Elle y trouva un sommeil sans rêve qui parut durer une seconde.
Lorsqu'elle s'éveilla, les victuailles avaient disparu, des pantoufles avaient été posées au pied de la couchette et la panique la gagna. L'après-midi était déjà bien entamée. De plus, le crépuscule s'installant ne laissait rien présager de bon.

Presque aussitôt, l'on toqua à la porte de la chambre elle su qu'il lui faudrait improviser. Par chance, l'autre avait annoncé sa venue. Elle put donc se préparer mentalement en s'asseyant au bord du lit. Dormir avait froissé sa robe et le coussin s'était débrouillé pour marquer son visage. Néanmoins, lorsqu'elle comprit que c'était le capitaine qui pénétrait dans sa geôle, elle l'aborda avec le tont le plus sérieux du monde sans paraître ridicule une seule seconde :

«Bonjour.»

Lui semblait surpris et attristé de voir la belle crisper ses traits, dans une attitude aussi mauvaise. Alors il ne s'approcha pas. Se contentant de rester debout face à elle, il tenta de l'égayer un peu en ajoutant une touche de bonne humeur :

«Mal dormis ? Edward est passé vous voir pour vous proposer un bon bain chaud. Mais puisque vous dormiez, il n'a pas osé vous réveiller, peut-être aurait-il dû ? Vous laver vous ferait plaisir ? Peut-être que ça nettoiera les mauvaises pensées.
— Capitaine...
— Allons, appelez-moi Yves ! Et vous alors, à quel doux nom répondez-vous ?
— Hel...»

Le Roi secoua vivement la tête, se demandant ce qu'il était en train de fabriquer. Il fallait renverser la situation et immédiatement. Alors il prit le ton le plus grave qu'il put et fixa son hôte dans les yeux en arborant une mine austère. Il trancha :

«Non ! Capitaine...
— Yves.
— Capitaine ! Triompha-t-il. Cessons cette mascarade. Où était vous il y a treize jours ?
— Mais enfin, qu'est-ce que cela peut faire ?
— S'il vous plait, répondez.»

La voix se fit implorante et l'autre fronça les sourcils, ne comprenant pas où sa future épouse voulait en venir.

«Et bien, j'étais au palais, comme le quinze de chaque mois.
— Bien sûr que vous y étiez, vous êtes le capitaine du cinquième palier. Maintenant, parvenez-vous à vous rappeler de la gigantesque fresque murale au mur de la grand-salle de débat ?»

Yves pencha la tête sur le côté et son regard se fit vague. Brusquement, il éclata :

«Bon sang, pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a cette fresque ?
— Peu de choses si ce n'est que le sixième seigneur l'a magnifiquement choisie. Elle représente le Ragnarök, la grande ruine. Elle ne montre la puissance d'Hélios comme aucune autre oeuvre d'art. C'est un point de l'histoire à ne jamais oublier pour avancer, vous ne trouvez pas ?
— Je... J'imagine, oui, mais...
— Il y a bien d'autres représentations dans le palais, mais personne hormis les plus puissants n'a accès à la salle du trône. Bien que le Roi n'y aille presque jamais non plus, vous avez sans doute déjà aperçu les deux énormes pierres servant d'accoudoir. Elles se nomment Niflheim et Muspellheim. Le premier seigneur les a nommés ainsi, dit-on, car ils représentent les deux royaumes originaires qui comblèrent le chaos. À présent, les gemmes s'élèvent au nombre de neuf, car chaque seigneur en rajoute une au début de son règne. La dernière en date est un grenat de la taille du poing... Pas de mon poing actuel, mais du vôtre, par exemple.»

Le visage torturé de la jeune femme semblait empli d'une terrible mélancolie et l'homme en face d'elle fut perdu. Sa mâchoire carrée rasée de près se contractait nerveusement. Où voulait-elle en venir à la fin ? Était-elle une espionne ?

«Vous vous demandez sans doute pourquoi je vous dis ça... Mais intéressez-vous au comment. C'est vrai... Comment puis-je en savoir tant alors que je suis une mange-merde du troisième palier, si fragile et si naive... Comment pourrais-je connaître les détails les plus infimes des recoins du palais et de l'histoire de notre monde, sans être une personne d'importance ? Alors maintenant je vais vous reposer la question, comment se porte mon royaume, chers Yves ?
— Je savais que vous n'étiez pas commune ! C'est une sorte de jeu, c'est ça ? Le capitaine tenta. On incarne des personnages différents pour apprendre à se connaître ?
— Vous n'y êtes pas, capitaine Yves Ménalt, je vous pensais plus réactif. Si votre prédécesseur a été exécuté, c'est par ce qu'il n'a pas eu votre cran, cette journée sanglante de rébellion où vous avez pris de force le commandement afin de réprimer l'émeute. Lorsque vous avez arrêté la folie des bas quartiers il y a vingt ans, vous en aviez à peine vingt-sept, mais je voyais déjà en vous un homme de confiance capable de grandes choses. J'ai assisté à tout et pourtant je n'ai aujourd'hui qu'une vingtaine d'années moi même. Selon vous, comment est-ce possible ?»

Un silence de marbre, et la torture mentale s'amplifia. Le capitaine voyait une folle déblatérer des propos intolérables. Mais était-ce vraiment une cinglée ? Tous ces points étaient véridiques...
Elle ne lui laissa pas le temps de répondre. S'étant levée jusqu'à une table basse, elle y récupéra son sac à main avant de se camper à bonne distance de lui. Alors son regard plongea dans le sien. Aussitôt, une puissance inouïe sembla naître de ses yeux. Il en fut transpercé, comme électrisé, et ses jambes se mirent à trembler. Se dévoilant au grand jour, l'âme vagabonde retrouvait sa grandeur d'antan, tandis qu'elle emplissait l'air de ses paroles

«Je suis le seigneur Roi, fils d'hélios tout puissant, descendant direct des premiers hommes et souverain incontesté d'Yggdrasil. Aujourd'hui, vous êtes capitaine, demain vous serez général. Aidez-moi à débarrasser mon trône de l'usurpateur et je vous ferais commandant suprême des armées, maître incontesté du neuvième niveau !»


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