Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 13


Publié le 01/12/2015 à 03:12:29 par Sheyne

Happé par un fantastique tourbillon, le Roi porta son regard sur des millions de points de lumière. Le vortex de couleur tournoyait en même temps que lui, l'embarquant dans une course immuable. Tout autour résonnait le bruit sourd des engrenages et des lourdes machineries cosmiques. Alors, presque soulagé, il se sut de retour dans ce lieu inconnu et irréel.
Parfois, le son d'un cor retentissait. Aigu, il faisait vibrer l'espace et trembler la tornade de lueurs. À son quatrième tintement, le seigneur déchu contempla l'autel d'une vieille église.

« C'est alors qu'Hélios tout puissant déversa sa colère pour engloutir le monde cupide de l'ancien temps. Il déchaîna les cataclysmes sur le monde impur, dominé par la colère et l'avidité des hommes ! »

Perdu, le roi détacha ses yeux de la table sainte pour les porter sur le prêtre. Nappé d'une grande toge blanche, celui-ci traçait de larges moulinets dans les airs, beuglant un sermon dont il n'avait rien à faire.
La première chose qui vint à son esprit fut l'odeur aigre et la sensation nouvelle de son corps plus lourd. Le goût de sang dans sa bouche avait totalement disparu. Mieux, quand il porta son regard sur ses mains il vit qu'elles étaient énormes. Son apparence avait changé. Mais plus que tout, il sut qu'il était devenu un véritable dieu. Il avait bien conscience d'en être un auparavant... Mais il pouvait toujours mourir... Tandis que là... il découvrait son immortalité récente et la sensation était grisante. Le Philosophe n'avait pas menti, rien ne pourrait jamais plus le tuer.

« Au soir de la 'Grande ruine' - l'autre poursuivait - Hélios mena ses suivants à l’assaut du royaume des humains. »

Absorbé par ses pensées, le seigneur n'écoutait que d'une oreille distraite. Il revoyait son torse percé d'une balle et en tremblait encore. Alors, sa colère remonta en repensant à ce traître de capitaine. Chaotique, il imaginait comment il traquerait cet abruti, comment il le torturerait sans qu'il ne comprenne jamais pourquoi un inconnu lui infligeait tout ça.
Puis, il se souvint l'avoir tué à son tour (du moins le croyait-il) et sa haine n'eut aucune échappatoire. Se répercutant contre les parois de son esprit, elle rebondissait, s'amplifiait sans pouvoir s'en aller. Bientôt, elle déborderait, il devait évacuer toute la pression accumulée durant ces deux derniers jours. Il se maudissait en se rappelant de sa crainte face à la mort et à comment il s'était rabaissé pour poursuivre sa quête. Qu'en était-il maintenant qu'il se savait éternel ? Il éclata brusquement de rire et, à travers le discours du clerc, les sons gras se réfléchirent en écho dans les voûtes ecclésiastiques :

« Surgissant du ciel déchiré par les cataclysmes qui secouent l'Univers, précédé et suivi d'un feu dévorant... Hélios est armé d'une épée ardente qui 'brille plus intensément que le soleil'... Mais enfin, James, pourquoi diable riez-vous ?! »

Il sut qu'on s'adressait à lui et il se leva, pulvérisant du regard l'imprudent. Tout autour de lui, des dizaines de pecnots le dévisageaient. Assis dans la nef centrale de l'église, ils ne comprirent pas et furent stupéfiés de le voir dégainer aussi brusquement l'épée qu'il avait sur son flanc.
Ce fut le déclencheur qu'il attendait. Pour toute réponse, gagné par l'adrénaline, le seigneur avança à grands pas vers l'autel, tout en clôturant le sermon sur l'apocalypse. Sa voix puissante et grave surgit des profondeurs infernales :

« Le soleil s'obscurcira et la terre sombrera dans la mer. Ce jour funeste les étoiles resplendissantes disparaîtront du ciel. La fumée tourbillonnera, le feu rugira... »

Alors, au niveau du prêtre terrorisé, il porta son sabre au-dessus de sa tête. Sa proie avait trébuché, elle glapissait en tendant une main suppliante. Un sourire carié déchira le visage de l'immortel qui acheva :

« Les hautes flammes danseront jusqu'aux cieux ! »

L'abomination s’abattit alors et l'épée souveraine trancha chair, os et ligaments. La force de son nouveau corps était époustouflante. Le bras fut sectionné en deux dans la longueur et le prêtre poussa un hurlement strident. Épouvanté, son beuglement ne cessa que lorsque la lame faucha une seconde fois par le côté.
Dans un craquement abject, elle se logea dans la nuque, répandant un geyser de sang. Fendant le cou, elle tua l'homme sur l'instant, mais resta bloquée dans les vertèbres. Alors, le roi arma son pied, et (pour la dégager) fracassa en trois temps la figure du mort qui finit par s'écrouler en arrière.

Un silence macabre avait envahi la salle. Lorsqu'il se retourna, il n'y vit que des visages livides marqués par l'incompréhension. Il marcha donc simplement deux pas vers les premiers rangs et d'un coup d'estoc enfonça l'acier dans le ventre mou d'une jeune femme.
Ce fut le moment que choisit l'inconscient collectif pour changer la donne ; tous hurlèrent d'un seul tenant, signant la débandade. En moins de vingt secondes, l'église fut vidée de ses occupants.

Le roi prenait son temps. Il savait que la garde viendrait bientôt, mais il s'en moquait pertinemment. Qu'ils se ramènent, puisqu'il ne pouvait pas mourir, qu'est-ce que cela pourrait bien faire ?! L'heure en était au défouloir et le sol fut avalé sous ses pas, jusqu'à ce qu'il cogne à la grande porte arrière, où ils étaient tous partis. Sûr de lui, il la tira de toutes ses forces, pour traquer les fuyards. Mais malgré ses efforts, il ne parvint pas à l'ouvrir. Par trois fois, il fit claquer les battants de bois et les énormes anneaux de métal... en vain. Alors, comme un loup qui hurle, son rugissement frustré déchira l'espace. Pendant qu'il s'occupait d'achever la femme, ces salopards l'avaient enfermé dans le bâtiment.

Il regagna l'avant de l’église et en profita pour frapper encore le curé. Une sortie devait bien se trouver quelque part. Il tournait en rond et déjà la colère commençait à le quitter, laissant place aux remords. Il se demandait s'il avait bien fait de tuer ces deux pauvres innocents... Après tout, si ce karma était véridique (de ce qu'il en avait compris) pour conserver son immortalité il devait respecter une certaine notion de justice divine. Ainsi la question qui se posait était simple : était-ce juste de les avoir massacrés sans raison ?
Bien sûr que oui, avec du recul cette interrogation était stupide. Satisfaire les pulsions d'un dieu était un motif bien plus que suffisant au massacre d'innocents, c'était les bases solides de toute religion. Et il lui faudrait tuer encore bien des gens avant d'oublier les deux derniers jours. Savoir qu'il serait bientôt calmé l’énervait au plus haut point et dans l'incapacité de se défouler, il aurait hurlé à nouveau s'il n'avait perçu un faible bruit émanant d'une trappe sous l'autel.

Curieux, il préféra s'enfoncer dans le sous-sol plutôt que d'attendre l'arrivée des militaires. Ses pieds robustes enchaînèrent les barreaux d'une vieille échelle tandis qu'il se laissait engloutir par les ténèbres.
Malgré la puissance jouissive de sa nouvelle enveloppe, le Roi sentait une raideur terrible dans chacun de ses gestes et son point de vue (bien plus haut qu'avant) le gênait cruellement dans ses déplacements. Cela ne l'empêcha cependant pas de poser la semelle sur un sol poussiéreux.

D'ici, on ne voyait rien, mais des cliquetis métalliques se précipitaient sur les murs. De faibles gémissements accompagnaient le bruit effrayant. Quelques heures plus tôt, il aurait été terrifié de ce qu'il allait trouver dans ce qui semblait être des catacombes. Mais même si la peur le prenait aux tripes, c'était une réaction purement viscérale et son esprit restait serein. Après tout, il n'en avait rien a faire de mourir. Il espérait juste que cela serait rapide, si possible sans douleur et seulement après qu'il ait pu assouvir sa curiosité.

Par trois fois, il abattit violemment son épée sur la rampe métallique. Une volée d'étincelle en jaillit à chaque coup, éclairant brièvement l'endroit. Au dernier choc, il localisa ce qui semblait être un interrupteur sur un des murs. Ses doigts furetèrent le long de la paroi grumeleuse et parvinrent à l'enclencher sans encombre. Des bouts de roches avaient cédé durant son enquête grossière. Lorsqu'il vit la porosité de la pierre, il comprit pourquoi. La surface friable était rongée par l’humidité et paraissait pourrie depuis un long moment. Il n'y fit pas plus attention et s'avança sur le sol poudreux. Au loin, il crut discerner une forme mouvante. Mais là encore, il ne sut en dire plus. Malgré l'éclairage grossier des néons, ses yeux, sans doute fatigués par l'âge, ne portaient pas très loin. Il eut le temps de les maudire dix fois avant de déboucher sur une pièce haute et affreusement habitée.

Ce qu'il y vit alors le révulsa. Lui qui venait d'assassiner froidement deux personnes, lui qui dans sa première vie massacrait son peuple en masse fut bouleversé par la scène odieuse qui s'étalait dans son champ de vision.

Attachés aux murs par de lourdes courroies de fer, plusieurs enfants dénudés et trempés se recroquevillaient dans un coin de la salle. Leurs chevilles étaient prises dans de larges anneaux trop serrés qui tendaient mélodieusement les chaînes à chaque mouvement apeurées. L'espace d'un instant, le Roi hésita à les tuer pour abréger leurs souffrances. Mais finalement, il rengaina son épée en se disant qu'ils seraient bien découverts assez tôt.

Les pauvres gosses gémissaient, en voyant ce vieil homme colossal. Leurs glapissements redoublèrent lorsqu'il leur tourna le dos pour retourner dans le tunnel. Sa curiosité était satisfaite et il n'y avait aucune sortie notable dans la petite salle. Il éteignit donc la lumière et regagna aussitôt la surface. Délaissant le spectacle lugubre au prochain venu.

Au fond de lui, il riait du sort. Alors qu'il imaginait massacrer un pauvre curé innocent, il tuait enfaîte un homme terrible qui séquestrait des petits dans sa cave. C’en était presque ridicule comme le clerc avait été puni seulement par ce qu'il était apparu devant lui. S'il n'avait pas été gagné par une rage subite, le type serait encore à faire son sermon, à expliquer aux gens comment bien se comporter, tandis qu'il profitait d'enfants dans sa chambre de plaisir personnelle. Quel faux cul !

« Là ! C'est lui ! 
— Choppez le ! »

Le cri avait fusé à travers l'écho de la grande nef. Probablement l'un des types assis tout à l'heure. Il le pointait du doigt tandis que ce qui semblait être des soldats armés de lances et de larges boucliers se précipitaient dans sa direction.
Le Roi s'indigna mentalement. Pourquoi des lances ?! Depuis quand la garde royale a des lances et des boucliers, puisque c'est évidemment inutile contre des armes à feu. Il laissa la question de côté, jugeant qu'il voyait mal de loin et que ces hommes possédaient peut-être quelques pistolets à la ceinture. Bientôt, ils furent assez proches et il put constater que ce n'était pas le cas. Mais aussi rapidement, le bruit des bottes d'aciers passa de la course au pas lent et mesuré, ils l'encerclaient.
Contre toute attente, le Seigneur se contenta de lever les mains en l'air en souriant dans une mimique comique :

« Vous en avez mis du temps... Maintenant, arrêtez de jouer aux petits soldats et aidez-moi à trouver la clé pour libérer les gosses ! »


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