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L'éveil du Léviathan


Par : Warser, Ardilla
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 2


Publié le 21/11/2013 à 20:53:53 par Ardilla

« En rang, s'il vous plaît ! Veuillez prendre un numéro avec l'officier de garde et vous diriger vers l'hôtesse de frontière qui vous appellera. »
Pierre s'avança vers l'officier. Un regard de l'homme, un échange froid de papier, une observation minutieuse desdits papiers et le jeune garçon reçut le précieux morceau de métal orné d'un « 98 ». Ce même 98 qui, aussitôt, retentit dans l'aurore sans soleil, amplifié par les micros des hôtesses de frontières à la coiffure parfaite et sage, derrière leurs bureaux tous semblables. Le numéro avait été appelé par une petite blonde à l'air pétillant, serrée dans son trench coat gris qui n'arrivait pas à ternir la joie de son visage.

-Madeleine, ma chère Madeleine, tu me rendras fou un jour, si tu continues à être aussi belle.
-Pierre ! C'est toi ! 

Les joues de l'hôtesse frontière prirent une jolie teinte rouge sous la poudre, et sa main esquissa un geste fébrile pour remettre une mèche de cheveux en place.

-Tu es en retard ce matin !
-En retard moi ? Donne moi un rendez-vous, tu verras que je ne suis jamais en retard quand la chose est importante...
-Flatteur ! - répondit la jeune femme, tandis que ses mains courrait sur le clavier de l'imprimante dans un tchic-tchic insistant qui s'en allait rejoindre la mélodie des autres bureaux-frontière -
-Pour d'autres, oui. Pour toi, seulement subjugué.

Le même jeu de séduction, la même répétition d'informations connues et reconnues qui recommençaient tous les mardis, et tous les samedis. Pierre leva ses yeux bleus vers Madeleine, dans un regard attendrissant qui ne laissait absolument pas trahir sa pensée en ce moment. Quel manque de charme. Quelle routine stupide et insipide.

-Quelle est le premier article de notre Constitution, Pierre ?
-Quiconque est pris à tuer sera lui-même tué. Le désir de tuer est le seul responsable de l'Ancienne Catastrophe et Live ne saurait le tolérer. Selon l'Article 2.A, alinéa a de notre Constitution, Live vivra en paix et cela pour le bien de tous.
-Quels sont les articles de la Loi d'Entente qui concernent ton commerce ?
-Les articles 15 et 16, relatifs à la vie paysanne et au passage entre villes indépendantes.
-Bien, signe ici et tu peux passer.
-Sans une promesse de ta part, sans une offrande, une miette de ton regard d'or ? -demanda le jeune homme en signant prestement la feuille-
-La prochaine fois ! 

En riant, Madeleine lui tendit le laissez-passer qu'il prit avec un sourire. Il fit demi-tour, alla chercher sa charrette dans la file bien ordonnée qui commençait à s'amasser à la porte de la ville.

Les gens s'endormaient sous le soleil qui commençait tout juste à se montrer, dans la froideur des matins de septembre. Un rapide regard apprit à Pierre que les habitants de Talan, la ville voisine, étaient venus en masse pour la foire. Les masques à gaz, que ces étranges personnages n'osaient plus quitter depuis l'Ancienne Catastrophe, se multipliaient dans la foule et les figures allongées et caoutchouteuses formaient un monstre à plusieurs têtes, douloureux souvenir du gazage en masse de Talan. Dans les bras de sa mère, un enfant se laissait bercer, enfant lui-même défiguré par un masque qui ne laissait apparaître que ses cheveux bruns.
Pierre frissonna, ajusta sa casquette sur ses cheveux coupés à la dernière mode militaire, enfonça ses mains dans ses poches et se dirigea vers la « frontière » de Live. Il tendit son laissez-passer à l'officier de garde, qui l'examina attentivement.

-François, vous me connaissez....
-L'apparence est une illusion, Pierre. Un militaire ne devrait jamais se laisser avoir par l'apparence.
-Même si l'apparence consiste en un laissez-passer en bonne et due forme ? -tenta le jeune paysan avec un sourire-
-Pierre, si on m'a placé à ce poste, c'est justement parce qu'un laissez-passer ne suffit pas. Vois-tu, il faut aussi analyser la personne, il faut un personnage capable de cerner les autres, il me fallait moi !  -répondit avec suffisance, en lissant sa moustache, le militaire- 

A ce stade de la conversation, Pierre n'écoutait plus. Il se concentra sur les murmures qui lui parvenaient depuis Live, sur le bruit du mors ruminé par le cheval, il regarda ailleurs jusqu'à ce que le militaire semble daigner lui rendre son laissez-passer et entrer. Foutus militaires ! Live en était pleine à craquer. C'était le paradis des officiers, c'était le repos mérité des combattants. Pas des gueules cassées ! Des généraux Boom-Boom, des vieux stratèges reconnus, des Tigres de la guerre.
Il maugréait tandis qu'il s'avançait entre les grandes constructions, peu touchées par l'Ancienne Catastrophe et de toutes manières immédiatement reconstruites. Il maugréait tandis que son cheval semblait aller seul vers la place Nord de la Ville, la plus grande et la plus belle, ses fontaines et ses arbres, ses cafés « so Live ». Live, belle ville. Mais ville morte, sans âme et sans nouveauté, sans couleurs et sans débordements. La Constitution de Live interdisait les trop grands débordements et les seuls bals organisés étaient remplis d'uniformes rasoir et de moustaches imposantes.

Tandis qu'il s'installait, il remarqua cet étrange personnage assis au pied de la fontaine. Pas d'uniforme, pas de casquette de paysan, cela suffisait à le rendre étrange aux yeux de Live. Pas de masque, pas d'éléments reconnaissables des villes voisines. Une aura bleutée autour de lui qui ne laissait aucun doute sur son immatriculation : un Imagé . La foule commençait à s'amasser sur la place. Un premier chien surgit, dans une traînée bleue et douce, puis disparut. Suivit un ours, beuglant de colère, attaché à ses chaînes pires que celles réelles, les chaînes de l'imagination et de la pensée. Lui aussi disparut.. Les créations s’enchaînaient maintenant ; elles galopaient, couraient, puis disparaissaient sans dire adieu à leur créateur ou aux spectateurs. L'étrange personnage tirait la langue, souffrait pour imaginer sans cesse, pour éviter d'enfreindre les dures lois des Images de Live. Soudain tout s'arrêta et ce fut bientôt un militaire outrageusement couvert de médailles qui s'avança, au milieu de la foule qui riait et applaudissait . Les couples de militaires qui se promenaient en ce mardi matin ne purent que se flatter d'une telle apparition qui faisait tant honneur à leur profession. Quels officiers lissèrent leur moustache, quelques uns rigolèrent ou clignèrent de l’œil à la ménagère la plus proche. L'apparition fit quelques gestes, salua de son épée, puis revint vers son créateur, dans une démarche pleine de panache. Elle s’effaça et avec elle, l'image glorieuse d'une Ancienne Catastrophe qui avait détruit tant de vies mais qui se pavanait dans un délire de luxe et d'honneurs militaires à Live. Le créateur salua, sous les applaudissements des généraux charmés, des femmes gloussantes. Celui-ci n'était pas bon mais il savait manier son public, sans aucun doute. Il passa récolter les fruits de son labeur, s'autorisant même la fantaisie d'offrir un perroquet à une jeune fille rougissante.
Pierre le regardait avec envie. Les Imagés avaient sans aucun doute le plus beau talent qui soit selon lui. Et une quantité infinie de voyages, de découvertes. Ici à Live, évidemment, ils devaient se contenter de peu, les restrictions imposées par les militaires sur la beauté des images, sur la gloire qu'elles devaient évoquer, ce genre de choses administratives, pesaient énormément sur les possibilités des créateurs mais à Veule, plus loin Litane, ou encore Venisa, la ville des Images, tout était permis. Pierre n'était jamais allé plus loin que Talan, il devait se contenter des récits que lui offraient les Imagés ou quelques militaires qui désiraient critiquer les autres villes.


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