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L'éveil du Léviathan


Par : Warser, Ardilla
Genre : Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 5


Publié le 21/11/2013 à 21:04:14 par Warser

La voiture s'arrêta. Les phares éclairaient les hautes herbes du bord de la route, de taille presque humaine. Un mélange d'herbes folles et de lavande sauvage, à en juger par l'odeur. Au bout du chemin, le poste frontière se dressait. C'était un bunker réaménagé, et sa silhouette râblée dépassait à peine la tête de certaines plantes sauvages. De l'autre côté du chemin, un mirador dominait la plaine, figé sur ses pattes fines et solides, tel un faucheux de bois et d'acier.

- Allez, on s'dépèche, grogna le conducteur.
- Merci pour la promenade, répondit Clay en souriant.
Alors qu'il s'éloignait vers le bunker, ses bruits de bas crissant sur le sable du chemin, il entendait des bribes de la conversation des douaniers derrière lui.
- Pas causant, ce client. Et il m'a foutu les jetons, avec son satané fantôme.
- Laisse, y'a plein d'gens bizarres à Talmera. C'pas l'premier que j'vois en tout cas.
Clay ferma les yeux, toujours le sourire aux lèvres. Shcro avait disparu à nouveau, sans doute satisfait de son petit effet.

La porte du bunker s'ouvrit sur un homme grand et dégingandé, portant un uniforme impeccable orné de deux insignes à la poitrine. À la vue de Clay, son visage anguleux s'éclaira d'un sourire.

- Vieux frère, ça faisait longtemps !
- Un an, Jared. Je ne reviens plus très souvent à Live.
Clay tendit sa main, et Jared la serra vigoureusement.
- Entre. On va te régulariser, et tu vas prendre un porto avec moi. J'en ai un de très bonne cuvée, tu m'en diras des nouvelles.
Le voyageur et le douanier traversèrent le poste de douane. La salle principale était plongée dans l'obscurité, presque inoccupée. Seules deux secrétaires s'affairaient derrière des machines à écrire cliquetantes, à la lumière agressive de leurs lampes de bureau.
- C'est calme, ce coin, non ? Demanda Clay.
- Ouais. Y a que les tarés et les clandestins désespérés qui empruntent le chemin des âmes, habituellement. Et de nuit, je t'en parle même pas.
- Les tarés, les clandestins, et les imagés.
- Les imagés tarés, précisa Jared.
Clay laissa échapper un rire bref.
- C'est à ce point ? Allez, c'était quand la dernière fois que t'as vu une Abomination ?
- Hier soir.
Clay haussa les sourcils.
- Tu plaisantes ?
- Je suis très sérieux. Une vraie saloperie qui rôdait près du bunker. Un de ces chanteurs lugubres. Je me rappelle plus des paroles, mais ça donnait la chair de poule. Avec la voix qui va avec, sinon c'est pas drôle. Pas dormi de la nuit.
Clay remercia intérieurement les douaniers qui l'avaient raccompagné. Il avait déjà croisé une abomination, une fois. Ce n'était pas une expérience qu'il aurait voulu répéter.
- ça te dérange si je reste là pour la nuit ?
Jared posa une main sur l'épaule de Clay.
- Habituellement ouais, mais je peux faire une exception. Pas si brave en fait, hein ?
Clay se renfrogna.
- On ne plaisante pas avec les abominations. Je pensais que sur le chemin des âmes, c'était plus qu'une superstition.
Les deux hommes arrivèrent devant une porte en bois, fermée à clé. Jared l'ouvrit sur un petit bureau couverts de fiches en désordre, sobrement équipé de deux chaises et d'une machine à écrire. Pour un fonctionnaire des douanes, avoir son espace privé au travail était déjà un privilège. D'énormes volumes reliés trônaient sur une petite bibliothèque accrochée au mur. En sifflotant, Jared en choisit un et le retira du rayonnage.
- On va se prendre un petit verre, ça va te faire du bien, dit-il en ouvrant le faux-livre dans lequel était dissimulée une bouteille de porto.
- Ouais, ça va m'aider à dormir aussi en cas de chanteur impromptu, répondit Clay avec un sourire.
Une voix moqueuse et fluette retentit dans son dos.
- Trouillard-euh !
Clay jeta un regard assassin à Schro, qui reniflait avec intérêt le verre de porto que servait Jared.
- Tu te promènes toujours avec ça, remarqua-t-il.
- Il te gêne ?
Jared haussa les épaules.
- Je peux pas dire que j'apprécie la présence.
En un instant, Schro traversa le visage de Jared, qui frissonna à son contact. Le félin éthéré, visiblement excédé par les affronts successifs qu'il avait subis pendant la soirée, disparut dans un feulement indigné.
- Tu l'as vexé.
- ça m'est égal. Je comprends pas pourquoi tu le fais pas enchaîner par un imagé. J'en connais un, très bon, qui...
L'éclat de rire de Clay interrompit son ami.
- Schro est inoffensif.
Jared fronça les sourcils.
- C'est sérieux, Clay. Les images qu'on peut contrôler, il faut les contrôler...
- Refuser nos propres démons ne nous mènera pas loin, répondit Clay d'une voix douce.
Jared soupira.
- Tu reviendras à la raison un jour, vieux drogué, répondit-il avec un brin de tendresse dans sa voix d'ex-sergent tout en servant son propre verre.
- A la tienne, l'ami.
Clay et Jared trinquèrent.
- On se chargera de te régulariser demain. Qu'est-ce qui t'amène à Live ?
Clay but une gorgée de porto. Sans doute une bouteille au rabais, cachée dans un conteneur sans doute peu adapté à la conservation d'alcool. Un trésor, pendant la guerre, un rappel de ce qu'était la vie joyeuse des villes. Aujourd'hui, juste un liquide râpeux au goût d'interdit désuet, sans cette saveur unique de rareté. Tout de même, il amenait une chaleur bienvenue.

- Peter. Il est convaincu d'avoir conçu une machine révolutionnaire et il veut absolument que je la voie.
- Je vois. Encore une machine qui finira au fond de sa cave. En ferraille, y a de quoi reconstruire une division blindée entière là dedans.
Clay acquiesça en silence.
- Bon, tu dois être crevé. Les trucs administratifs, on les fait demain. Le bureau en face est inoccupé, et y a une couchette, tu peux y aller.
Clay se leva, salua son ami, et se dirigea en titubant légèrement vers sa chambre improvisée. Il ouvrit la porte sur un bureau semblable à celui de Jared, avec une vieille couchette au matelas gondolé. Ça suffirait bien. Prenant à peine le temps de retirer ses chaussures, il s'effondra sur le lit. Il était assommé de fatigue, et l'alcool de mauvaise qualité n'aidait pas. La tête sur l'oreiller. Il laissa ses pensées vagabonder. Une abomination ? Ici, sur le chemin des âmes perdues ? Les choses avaient changé depuis son dernier voyage. Un chanteur... Mauvaise idée d'y penser avant de dormir, se dit-il. La plainte du soldat qu'il avait croisé sur une route, quatre ans auparavant, résonnait encore dans sa mémoire. Clay se retourna sur le matelas, comme pour révoquer ce souvenir désagréable.
- Peur du noir ?
C'était une voix grave et rauque, toute proche de l'oreille de Clay. Il soupira.
- ça marchera pas, Schro, on te voit briller d'ici. Bel effort pour la voix, par contre.
- Pff. Tu pourrais au moins faire semblant, rétorqua le chat bleuté qui s'était lové sous le lit.
- Laisse moi dormir.


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