Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Qui ose peindre les roses en rouge ?


Par : Loiseau
Genre : Fantastique, Réaliste
Statut : Terminée



Chapitre 1 : Wonderland


Publié le 12/04/2014 à 00:58:10 par Loiseau

Elle n’a plus quatorze ans la petite Alice, et ça se voit. Ses rondeurs enfantines se dissipent pour laisser place à des formes de femme : l’œil du mâle, auparavant indifférent à la présence de la bonniche dans la pièce, se traine maintenant avec langueur sur ses épaules pâles. Elle va devoir rembourser ses dettes à la Reine désormais. La rose blanche se teintera de rouge sang, car c’est la seule manière de payer son dû. Remarquez elle aurait pût tomber plus mal, ici, au Pays des Merveilles, pas de maladies honteuses, pas de clients sales et ivres morts et jamais un écrivain ne tuerait une fille pour une histoire de plume mal taillée. Tout est beau, propre et accueillant. Mais tout de même… Alice mérite-t-elle cela ? La pure Alice, ses grands yeux verts et ses cheveux sombres qui encadrent un visage fin et à la peau presque translucide tant elle manque de soleil. Mérite-t-elle, à l’instar de la France, de subir les invasions allemandes et les décadents libertinages de quelques bourgeois collabos ? Pas d’après moi, mais je ne puis hélas pas intervenir dans tout cela.
Pourtant voyez (ou imaginez très fort) comment la Reine s’approche d’elle et la toise de haut en bas et de bas en haut en s’attardant sur le milieu. Et comment elle se mordille la lèvre inférieure, se tâchant les dents de rouge à lèvres criard. Elle réfléchit, compte, manigance, calcule et songe au potentiel de la jeune Alice. Un regard dans la salle un peu enfumée du lupanar suffirait à convaincre le plus infâme Fagin qu’il faut éloigner l’enfant de ce lieu de débauche au plus vite. Mais la Reine est au contraire réconfortée lorsqu’elle distingue les yeux luisants de stupre des clients présents. Ils sont des loups affamés et voilà que la Grande Brebis décide de jeter son agnelet entre leurs crocs. Ils la déchireront sans nul doute, mes amis.


-Alice, mon enfant… Quelle est donc cette horreur que tu portes ?


La voix douce et courtoise de la Reine contraste avec son tempérament agressif et sa dégaine oscillant entre le baroque flamboyant, le bohémien coloré et la tavernière médiévale. Lourdes bagues en or, un empilement improbable de colliers et pendentifs aux couleurs criardes, des jupons rouges, un maquillage outrancier et un décolleté qui auraient pu abriter une nichée de perdreaux si les perdreaux avaient eu la mauvaise habitude de loger dans les décolletés trop larges. Quant à « l’horreur » que porte notre pauvre Alice, il s’agit d’une vieille robe trop large pour elle, déchirée au niveau des genoux et des coudes et aux couleurs défraichies. Quelque part cela la rend encore plus séduisante.


-C’est une robe dont vous m’avez fait cadeau, mère.


Quelle humilité dans la voix, quelle délicate soumission. Elle est une sorte de Justine des temps modernes : vertueuse et naïve. Mais comme Justine, il lui en coûtera. Notre monde ne tolère pas la bonté. C’est bien beau d’être bon, mais ça ne nourrit pas son homme. Et voilà que la Reine tire un éventail de son pigeonnant balcon, tente (en vain, je tiens à le préciser) de se rafraîchir le visage et prend un air affligé.


-Mais ma chérie, elle ne te va plus du tout. Monte donc et choisis la robe qui te plaira le plus dans mon armoire rose !


Il faut que vous sachiez que l’armoire rose de la Reine contient ce qui se fait de mieux en matière d’économie de tissu. Un mètre de soie suffit à faire un habit complet, bien que parfaitement indécent ailleurs qu’ici. Mais Alice décoche un large sourire qui rappelle un croissant de lune et grimpe quatre à quatre les marches en remerciant sa « mère ». Je la suis discrètement. Après tout, il faut bien que je vous narre ce qu’il se passe.

Elle pénètre avec un respect religieux dans la chambre de la Reine. La décoration y est lourde, les odeurs de parfum aussi. Un portrait hideux de la propriétaire des lieux pend tristement entre deux tentures pourpres. L’armoire rose est située juste à côté du lit à baldaquin (de très mauvais goût, surtout à notre époque) et Alice s’en approche en frémissant d’excitation. Le plaisir de pouvoir troquer ses presqu’haillons contre une robe neuve (ou si peu usée...) se lit dans ses yeux. Et lorsqu’elle ouvre en grand les deux battants de l’armoire et qu’une odeur de naphtaline vient s’ajouter aux autres, elle laisse même échapper un petit cri de joie. Elle contemple les vêtements pendant un instant puis, comme d’instinct, elle en choisit un d’un beau bleu mésange. Je détourne pudiquement le regard quand elle quitte ses oripeaux pour enfiler sa nouvelle vie. Et qu’elle est belle dedans. Elle a su choisir le seul vêtement de l’armoire qui ne soit pas vulgaire ou uniquement composé de cuir et cette robe, bien que courte, lui sied à la perfection. Elle ressort de la pièce sans me voir, après s’être longuement admirée dans la glace et descend les escaliers à toute allure. Sautillante et heureuse dans cet univers d’ombres et de fumée elle ne voit pas la grande silhouette qui se dresse subitement devant elle et lui rentre dedans. Une main aux doigts puissants la rattrape avant qu’elle ne chute et la remet doucement sur ses pieds. A la lueur tamisée d’une des lampes, on peut voir une croix de mauvais augure sur un brassard rouge orner le bras de la silhouette.


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