Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Entropy


Par : Cuse
Genre : Action, Science-Fiction
Statut : C'est compliqué



Chapitre 11 : Mourir un peu.


Publié le 29/11/2015 à 18:40:27 par Cuse

Salut tout le monde. :hap:

Bon, quand en septembre 2014 je disais vouloir "continuer Entropy d'ici peu", c'était légèrement optimiste, j'avoue. Mais j'avais également dit que je ne comptais pas abandonner cette histoire, et que j'allais la finir, peu importe le temps que ça allait prendre. Pour joindre l'acte à la parole, voilà donc le chapitre 11. La reprise est assez laborieuse, je me sens pas incroyablement inspiré (vous me direz si ça se ressent à la lecture), je mets du temps à écrire (pas loin d'un mois pour pondre ce chapitre), mais au moins la machine est relancée. Comme toujours, n'hésitez pas à laisser vos critiques en commentaires, n'attendez pas la suite trop vite (particulièrement avec les vacances de Noel qui approchent), et... enjoy ! :)

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Chapitre 11.

J’aurais aimé pouvoir dire que je m’en souvenais comme si c’était hier. Hélas, jusqu’à sa tournure tragique, aussi inattendue qu’imprévisible, c’était une journée comme beaucoup d’autres à New Haven. L’une de celles que l’on survole, à moitié absent. Mes souvenirs devenaient bien plus clairs à partir de ces trois coups frappés à la porte d’entrée de mon appartement. Je revoyais chaque trait du visage de cet homme que j’avais découvert là, sur le palier, visiblement mal à l’aise et empreint d’une gravité non feinte.
Je percevais encore chaque nuance, chaque tremolo dans sa voix qui m’expliquait à mots mal assurés ce qui venait de survenir. Comment un improbable bug s’était glissé dans le Système, malgré les milliers de sécurités existantes. Une destination mal interprétée par le GPS intelligent d’une voiture, incompatible avec les calculs de trajectoire déjà effectués par la machine. Un effet papillon, boule de neige, et autres métaphores mignonnes pour désigner le fait qu’un minuscule évènement venait de causer deux décès. Les premiers de cause non-naturelle à New Haven depuis alors presque quatre ans. La Primus s’était emballée et était allée se jeter dans l’océan, au bout de la digue. Les opérations de repêchage auraient lieu pendant la nuit suivante, avait expliqué l’homme. Il fallait limiter le nombre de témoins de tout évènement inhabituel. Question d’entropie. D’après les données du Système, personne n’avait directement vu la voiture effectuer son plongeon mortel. Une chance, avait-il dit, avant de ravaler ses mots, réalisant à quel point il venait probablement de sortir les neuf lettres les plus maladroites de l’histoire de l’humanité.
Et moi ? Moi, je l’écoutais, hochant la tête, posant des questions. Pas la moindre larme au coin de mes yeux, pas le moindre hurlement de douleur. Incrédule, incapable de réaliser ce qui était en train de se passer. Cela semblait simplement impossible. De ce côté des Quatre Ponts, personne ne s’était fracturé le moindre os depuis des années. Personne n’avait dépassé les 38°C de fièvre. Soudain, on voulait me faire croire que deux personnes venaient de se tuer dans un horrible accident de voiture, et que ces deux personnes se trouvaient être mes parents. S’il m’avait raconté que des extraterrestres venaient de débarquer à l’autre bout du pays à la recherche du dernier descendant d’Elvis Presley, j’aurais sans doute trouvé ça plus crédible. Mais cet homme avait son identifiant Winthorpe en surbrillance au-dessus de sa tête, ce qui n’était pas exactement synonyme d’un grand sens de l’humour.

Tordant sa bouche dans un rictus, massant machinalement ses mains pour en ôter la moiteur, il avait alors entrepris de m’expliquer les effrayantes implications de cet accident. Ce qui était pour moi un ouragan pouvait être le papillon dont le battement d’aile causerait l’effondrement de tout le système. Avec, et sans majuscule. Dans les zones de guerre, la mort constituait une menace constante, si bien que lorsqu’elle survenait, elle était presque acceptée comme une fatalité. Mais New Haven n’était pas en guerre, loin de là. Il s’agissait de personnes ordinaires, mortes pendant une activité ordinaire. Cela aurait pu arriver à n’importe qui, à chacun, à tout le monde. Impossible à anticiper, et par conséquent impossible à fuir. Pour cette raison précise, m’avait-il presque chuchoté, j’allais devoir faire preuve de beaucoup de sagesse. Winthorpe offrait de subvenir à tous mes besoins tant que j’habitais dans cette ville. Appartement payé à vie, études gratuites et une douillette somme d’argent sur mon compte en banque pour tout le reste. Un accès privilégié aux données de l’enquête qui allait s’ouvrir en interne pour faire toute la lumière sur cette incroyable faille. En échange de mon silence, tout simplement. J’avais alors fait l’erreur de me montrer sceptique, pointant le cynisme et le culot dans le fait que ceux qui venaient de tuer mes parents me demandaient désormais de garder la confidence. Sans rien perdre de sa consternation, tant dans les traits de son visage que dans le ton de sa voix, l’homme m’avait fait comprendre que ce marché était largement dans mon intérêt. Les nanomachines contrôlaient ma vie, Winthorpe contrôlait les nanomachines. Il aurait été d’une simplicité enfantine de me faire coopérer, d’une façon ou d’une autre. Reprogrammer ma mémoire pour me convaincre que j’étais orphelin de naissance, censurer mon esprit pour que je sois pris d’une soudaine crise de narcolepsie à l’idée de parler de cela à quiconque… ou bien me faire disparaitre dans la nature, d’une manière si propre que mes amis en viendraient rapidement à se demander si j’avais vraiment existé.

La conversation s’était achevée ainsi, et il n’y en avait pas eu beaucoup d’autres par la suite. J’avais passé les sept mois suivant reclus, craignant de soudain me mettre à hurler mon secret si je parlais à quiconque. La lettre annonçant que j’étais désormais considéré comme démissionnaire de mes études de civilisation moderne n’avait pas tardé à arriver. Je les avais entamées à peine un semestre plus tôt, passionné par la façon dont les gens vivaient au début du siècle, avant l’avènement des nanomachines. Fasciné par les notions d’instinct, de hasard, de chance. Quelle ironie, quand on réalisait que c’était cette dernière qui venait de me rendre orphelin.
Sept mois durant, j’avais usé et abusé de l’accès extrêmement restreint que Winthorpe m’avaient donné à leurs fichiers. Plusieurs fois par jour, je me connectais à leur réseau, espérant une mise à jour dans leur enquête. Pour correctement faire mon deuil, il me fallait un coupable, un mobile. Je devais savoir qu’ils étaient morts pour une raison, quelle qu’elle soit. Petit à petit, j’avais cessé d’espérer. Mon chagrin s’était mué en frustration teintée de colère, et je ne pouvais m’empêcher de penser qu’au moins une pièce manquait au puzzle. Il ne faisait aucun doute que la voiture qui avait été extirpée dans l’océan était celle de mes parents, ou que les deux dépouilles qui s’y trouvaient alors encore, les mains crispées sur des poignées qui n’avaient jamais voulu se déverrouiller, étaient les leurs. Je ne remettais pas en question la conséquence, mais bel et bien la cause.

Je m’étais donc mis en tête de comprendre comment un tel bug pouvait bien s’être immiscé dans le Système. Comment une faille aussi improbable pouvait avoir des conséquences aussi dramatiques. Hélas, Winthorpe savaient garder un secret. Il était pour ainsi dire impossible de trouver des informations sur les nanomachines accessibles au grand public. Les seules personnes à qui l’on daignait les enseigner étaient celles vouées à utiliser ce savoir à bon escient. Les futurs architectes du Système. Les ingénieurs de la Grande Ecole. Auparavant, je manquais tant de moyens pour y entrer que de motivation pour y réussir. Mais Winthorpe venaient de me fournir les deux…

Presque six ans plus tard, je me retrouvais donc pour la première fois avec la vérité en ligne de mire. Loin, très loin, mais pas suffisamment pour m’empêcher de distinguer qu’elle était bien plus complexe que ce que l’on avait toujours voulu me faire croire. Dire que, dans ma naïveté de gamin d’alors, j’avais imaginé qu’elle m’apparaitrait au détour d’une énième manipulation des nanomachines, pris d’une épiphanie soudaine. Finalement, ç’aura été grâce à un absurde concours de circonstances, un concours idiot entre amis, une petite bouteille de whisky, et un penchant pour les brunettes sauvageonnes à queue de cheval.

C’est vers cette dernière que je me dirigeais à cet instant, assis les fesses sur une banquette et les pieds sur celle d’en face dans la navette sans conducteur qui me ramenait à Rockhill. Pas de petit vieux terrorisé pour me tenir compagnie, cette fois. J’étais seul avec moi-même, regardant le paysage sans le voir. Ce voyage avait tout d’un aller sans retour, d’une mission impossible. Quand j’avais demandé à Somerset comment rester en contact avec lui, il s’était contenté de me répéter cinq chiffres. Une fréquence, adaptée aux talkie-walkies qu’Entropy utilisaient. Soi-disant qu’ils allaient forcément m’en fournir un, et que je n’aurais alors qu’à trouver un coin tranquille pour tourner le gros bouton et pouvoir m’adresser à Taches de Rousseur. Il ne faisait aucun doute que c’était le plan le plus élaboré de l’Histoire. « Mémorise-bien la fréquence », avait-il martelé. « Tu ne pourras plus compter sur tes nanomachines pour te servir de pense-bête ». J’avais rétorqué que je comptais plutôt me la faire tatouer en travers du torse, mais à l’envers afin de pouvoir la lire dans le miroir. Cela n’avait semble-t-il pas mérité de réponse. Aucun sens de l’humour…

La sensation était très particulière, une excitation et une peur mêlées que les nanomachines n’arrivaient même pas à cacher. Comme schizophrène, le coté pile crevant d’envie d’en découdre, pour mes parents, pour la belle Eleanor, pour enfin vivre quelque chose d’imprévisible, et le coté face pétrifié, désirant seulement prendre mes jambes à son cou, me carapater dans mon appartement. Déjà, le pont Davids était en vue. La première étape de la purge n’était plus qu’à quelques instants. D’abord la déconnection du Système. Et puis les nanomachines quitteraient mon corps, une à une. Me laissant là, nu, à vif, livré à moi-même au beau milieu de la plus grande aventure de ma vie. Pour se montrer rassurant, Somerset avait tenu à venir en personne à mon appartement effectuer la sauvegarde de mes données. Toutes mes préférences, tout l’historique médical pratiqué à mon insu par les nanomachines, toutes les informations physiologiques et psychologiques utiles aux fonctions anti-accidents et anti-criminalités, bref, toute ma vie en uns et en zéros. Une procédure absolument exceptionnelle, au sens premier du terme. L’immense majorité des déconnections se faisaient sous le manteau, par des groupuscules tels qu’Entropy. C’était un acte de foi, avec une grande portée symbolique. Un autodafé technologique, une renaissance littérale qui ne se prenait pas à la légère, tout simplement parce qu’elle était irréversible. Se réinjecter un nouveau set de nanomachines après s’être purgé de l’ancien relevait simplement du suicide. Le corps ne supportait pas, comme une greffe d’organe incompatible. Cependant, c’était bien là que s’arrêtait la comparaison. Ici, le seul donneur viable, c’était soi-même. Pas d’exception. Et dire que Winthorpe n’étaient pas exactement enclins à pratiquer des sauvegardes aurait été un sacré euphémisme.

Enfin, nous y étions. La navette s’engageait sur le pont, dont l’arche formait une courbe parfaite. Son point culminant était précisément situé à l’exacte limite du Système. Chaque pilier qui défilait sous mon regard me rapprochait de l’instant T, comme un compte à rebours vers le début de ma fin.
Soudain, un courant d’air s’insuffla en moi, me noyant dans des sensations de vide, liberté, peur, adrénaline et tutti quanti. C’était déjà la seconde fois cette semaine, mais je ne m’y étais pas habitué pour autant. Mentalement, je me forçai à réciter la fréquence de talkie-walkie, espérant ne pas l’avoir déjà oubliée. 141.12, 141.12, 141.12. Elle était toujours là, le Système ne l’avait pas emportée en sortant. Mine de rien, c’était la première bonne nouvelle de la journée. J’espérais que ce ne serait pas la dernière.

Mes espoirs furent très rapidement fondés. Le reste du trajet ne m’avait semblé durer qu’une poignée de secondes, et déjà la rue principale de Rockhill se matérialisait autour des vitres de la navette. Je pouvais apercevoir le terminus de cette dernière à travers le pare-brise, et j’étais à peu près certain de reconnaitre la silhouette qui attendait là. Elancée, trépignante, de longs cheveux détachés dansant au gré du vent, accompagnés dans leur ballet par les pans de la seyante petite robe bleue qu’elle portait. Elle se tortillait d’un pied sur l’autre en essayant d’observer l’intérieur de la navette. Lorsque celle-ci se fut suffisamment approchée, j’eus le plaisir de pouvoir clairement distinguer le sourire qui illumina soudain son visage, et ma journée par la même occasion. Elle se mit à faire de grands gestes de la main dans ma direction, l’air plus excitée encore qu’une gamine à qui on venait d’annoncer la venue imminente du Père Noel. Alors que la navette s’arrêtait à ses côtés, elle entreprit de lisser les flancs de sa robe, ce que le vent s’amusait immédiatement à défaire.

« Salut, Eleanor. » la saluai-je en descendant du véhicule, l’air aussi détendu que mes piètres talents d’acteur autorisaient.
« Hey, Dan ! Je… Bon, je me répète, mais ça me fait foutrement plaisir de te voir. J’espérais que tu n’aurais pas changé d’avis ! »

Elle sembla hésiter à me sauter au cou pour me faire la bise, mais se contenta finalement de rester là, me fixant de ses grands yeux verts clairs auxquels les rayons du soleil donnaient des teintes jaunes. Involontairement, les mots de Somerset résonnèrent dans ma tête. Ne pas me laisser séduire, ne pas me laisser berner. Elle jouait seulement un rôle pour m’attirer dans les filets d’Entropy, bla bla bla. Qu’il aille se faire foutre. Elle était douée, dans sa routine de la groupie subjuguée, c’était indéniable. Mais ça me faisait un bien fou, au milieu de toute cette histoire. J’avais envie d’y croire. J’avais besoin d’y croire.

« J’ai hésité, tu sais ? Il faut croire que tu as été particulièrement convaincante… » m’entendis-je répondre, un sourire en coin.

Le sien se déforma imperceptiblement à ces mots. L’excitation y laissa place à quelque chose de plus intense, plus intime. Un rictus plein de défi et de promesses, soutenu par une soudaine lueur dans son regard.

« Il faut croire que j’avais particulièrement envie de te convaincre… » lança-t-elle, dans un furtif haussement de sourcil.

Jésus, Marie, Joseph. Cela n’allait ni être les extrémistes timbrés d’Entropy ni les manipulateurs tyranniques de Winthorpe qui allaient avoir ma peau, mais bel et bien cette petite chose adorable d’un mètre soixante-cinq, qui m’enjoignait maintenant à la suivre.

Je ne mis pas bien longtemps à comprendre notre destination, reconnaissant distinctement les seules rues que j’avais empruntées lors de mon précédent passage à Rockhill. Très vite, l’hôtel Holloway s’éleva au-dessus de nos têtes, et les quelques instants passés chambre 1206 vinrent se rappeler à mon bon souvenir. Mais cette fois, au lieu de traverser le luxueux hall d’entrée jusqu’aux ascenseurs, Eleanor me précéda derrière le comptoir de la réception, déplaça un petit panneau de bois, révélant un clavier numérique holographique, et y entra un code avec une dextérité telle que je ne pus en reconnaitre que le premier chiffre. Une porte dérobée s’ouvrit, dévoilant une volée d’escaliers qui s’enfonçait dans les profondeurs de l’hôtel. Mon appréhension revint au galop, augmentant graduellement à chaque marche sur laquelle je posais le pied. M’ayant devancé de quelques pas, Eleanor se retourna lorsqu’elle eut atteint le palier inférieur, un sourire bienveillant sur les lèvres et une main tendue vers moi. Je la saisis, et elle me guida à travers plusieurs couloirs baignant dans une faible lumière froide. Ce lapin blanc m’emmenait au plus profond de son terrier, mais j’avais de sacrés doutes sur le Pays des Merveilles qui m’attendait derrière ces murs.

En effet, à défaut de chat du Cheshire, un second digicode révéla à mes yeux une salle dont la complexité technologique égalait aisément celle des meilleurs labos de la Grande Ecole. Là, dans ces couloirs vieillots planqués sous un hôtel vieux de plus d’un siècle, sa présence relevait de l’absolu anachronisme. Une cachette idéale pour un équipement au sommet de l’illégalité. Tout un pan de mur était couvert d’hologrammes, affichant tellement de données que mes yeux ne savaient plus sur lesquelles se focaliser, formant un brouillard dense de lettres et de chiffres. Pour en avoir déjà observé de similaires pendant mes cours, je reconnaissais sans problème la machine qui occupait le centre de la pièce. Un large fauteuil médical, relié via de multiples tubes et aiguilles à un appareil à dialyse. Plus communément appelé purgeuse à nanomachines.

« Prêt à renaitre ? » demanda Eleanor d’un ton solennel.

Et pourquoi pas, après tout ?


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