Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 12 : Le parking


Publié le 18/11/2012 à 01:42:51 par Conan

Deux heures du mat'. Froid de canard. Un parking souterrain. Troisième sous-sol. Une seule bagnole. La mienne. J'suis dedans, depuis vingt minutes.

Greg est à coté de moi, à la place du mort. Je m'allume une clope. Il m'imite. On dit rien. On attend.
-Putain. Fait pas chaud. Qu'il me dit, pour essayer de lancer une conversation.
-J'me suis pas autant gelé les couilles depuis Pristina.

Il dit plus rien. Presque gêné. Puis il reprend :
-N'empêche. J'ai du mal à oublier certains trucs.
Je tourne la tête vers lui. Mon geste s'accompagne du grincement de ma veste en cuir qui frotte contre le siège.
-Oublier ?
Il me regarde en souriant. Je remet ma tête droite.
-Comment oublier... Tu te souviens. Quand on est arrivés là-bas ?
-Ouais. C'était la misère. Qu'il me répond, dépité.
-D'un côté les Albanais qui voulaient chasser les Serbes du Kosovo. De l'autre, la résistance acharnée des Tchetniks dans leurs enclaves.
-Et nous qui débarquons, en pleine guerre civile.
-Tu te souviens, ces villes désertes, ces rues vides. Le ciel lourd et gris. Le vent glacé portait les odeurs des charniers et des usines chimiques laissées à l'abandon jusque dans les maisons et les appartements. Ces gosses sans familles qui traînaient en haillons. Tous les hommes avaient des AK. La haine mélangée à de la lassitude.
-Les femmes pleuraient leurs maris, leurs fils, leurs frères. Les hommes n'avaient plus de larmes. Plus rien à perdre. Leur seul bien, c'était leur flingue.
-Ces villages rasés, pris et repris, pillés jusqu'à la moelle. Ces massacres. Ces Églises qu'on voyait cramer à l'horizon.
-Ces mecs qu'on ne connaissait pas. Qu'on a assassinés. Torturés. Ces meurtres qu'on a couverts, ces expéditions punitives. Les raids en pleine nuit. Nos couteaux qui rentraient dans leur chair. Leurs visages dans nos lunettes de visée. Les cris qui perçaient la nuit. Ces convois qu'on a attaqués, les mecs qui cramaient dans leurs camions.
-Putain de merde, Greg. Pourquoi on a fait ça ? Est-ce qu'on avait pas un autre destin ? Une autre voie ?
-J'crois pas au destin. On n'est rien, Brenn. Rien. Juste des grains de sables dans un univers dont on n'mesure pas l'étendue. Toi, tes actes, tes sentiments, n'existent techniquement pas.
-Et pourtant mec... Pourtant tous les jours j'y pense, tous les jours je revois les Balkans, l'Afrique, la révolution. La guerre, toujours. Ces gosses couverts de sang qui pleurent. Ces cadavres, ces centaines de cadavres dans des états pas possibles. Les hurlements des types à qui j'envoyais 200 volts dans les couilles. Tous les potes qui y sont restés, ceux dont on n'a jamais pu récupérer les corps. Ces mecs avec qui t'avais passé des années qui tombent d'un coup à coté de toi, comme ça, en une demie-seconde, fin du spectacle, fermez le rideau. C'est si facile que ça la mort ? Un claquement de doigt et tout est fini ?
-Plus rien n'm'étonne, Brenn. Tu sais, tu vas peut-être me prendre pour un cinglé mec. Mais vois Mélinda comme une chance.
-De quoi tu parles ?

Il sourit à nouveau, dévoilant ses canines acérées. Son regard noir et sans la moindre trace d'émotion est perdu dans mon pare-brise.
-Je sais que vous avez couché ensemble. Tire-toi mec. Y'a plus rien pour nous ici. Quitte le pays, quitte l'Europe. Refais-toi une nouvelle vie.

Sur le moment, j'ai envie de me marrer. Mais mon sourire quitte rapidement mon visage.
-Refaire ma vie. A quarante-deux piges. Avec une fille qui ne voudra plus de moi dans cinq ans. On aura beau fuir où on veut, Greg, faire ce qu'on veut, le passé nous rattrapera toujours. Les souvenirs et les cauchemars seront toujours là. Ces cris et ces images, l'odeur du sang, ne nous quittera que lorsque nous-même nous quitterons cette terre.
-Alors tant pis. On est destinés à finir en Prétoriens. A mourir pour un empire pourri jusqu'à la moelle, un empire qui nous a oubliés depuis des années et qui se vautre dans ses propres déjections.


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