Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 11 : Le jour où...


Publié le 11/11/2012 à 01:46:35 par Conan

-Cet enculé de Fabre peut pas nous piffer de toutes façons. Tranche sèchement Vinny, appuyé contre la table d'un bar paumé et miteux du 19ème arrondissement. Notre repaire.
-En attendant, va falloir que not' version du gus qui nous fonce dessus en bagnole tienne la route. Dit Greg.
-Si c'était que ça ! On a fait notre interpel' complètement à l'arrache. Quatre glandus sans gyrophare, sans brassard, qui foncent comme des cons sur des malades armés jusqu'aux ratiches. Répond Vinny.
-J'ai parlé à Fabre de ses petites sauteries mondaines, et de ce qu'on savait dessus. Que je dis. Mais, est-ce que ça va être suffisant.
-Tu le tiens par les couilles, et lui nous tient par la gorge. C'est au premier qui lâche maintenant. Conclut Greg en portant sa pinte de bière à ses lèvres.

Mélinda est restée silencieuse toute la soirée. Nous regardant nous enfiler des bières à tour de bras. Elle me lance des regards furtifs, mi-coupables, mi-attendrissants.
-Bon. Faut que j'aille pisser.

Je me lève difficilement et atteint les chiottes en titubant. Alors que j'me vide dans l'urinoir, Greg entre à son tour et pisse à coté de moi.
-Bon. Maintenant qu'on est que tous les deux. Avoue. Tu te l'est faite.

Je tire la chasse.
-Non. Ça a failli. Mais j'ai pas envie de lui faire de mal.
-Un p'tit coup d'bite ça n'a jamais fait de mal à personne.
-C'est pas ça. Y'a... Y'a autre chose que du cul dans l'histoire.
-Quoi ? Tu l'aimes ?
-Non, du tout. Mais... J'sais pas, un genre de tendresse. Tu vois ? Elle me rappelle Victoire.
-Victoire était blonde.
-T'arrêtes pas à ça. Y'a comme ce truc dans le regard. Je sais pas. J'pense que je suis trop bourré en fait.
-J'pense aussi que tu cogites trop.
-C'est toi qui m'dit ça ? Bon, rien à foutre de toutes façons.
-Ouais. Rien à foutre.

Nous sortons des toilettes et rejoignons la salle. On se remet une tournée.

Mélinda n'est qu'a son deuxième Mojito.

Vinny, bien bourré, commence à pas mal s'épancher et se remémore aux bons vieux souvenirs.
-Hé les mecs. Vous vous souvenez, cette pute au Kosovo ? Comment qu'elle s'appelait déjà ?
-Iliana ? Que je demande.
-Ouais ! C'est ça ! Iliana.
Il regarde Greg :
-Dire que ce con était tombé amoureux d'elle après être passé au bordel !
J'explose de rire.
-Ouais ! Raide dingue même !
Greg baisse le regard :
-Fermez vos gueules les mecs.
-Putain, qu'est-ce qu'on a pu en baiser de la salope ! Gueule Vinny en riant de plus en plus fort. Et qu'est-ce qu'on a buté comme mecs aussi! Renchérit-il.

Greg lui fait signe de se calmer.
-Gueule plus fort, vas-y. Lui dis-je.
-Quoi ? On est chez nous ici non ? C'est not' repaire ! Pas vrai mon Gégé !

Il se tourne vers le taulier. Un bougnat de soixante piges qui en paraît dix de plus, souriant derrière ses grosses moustaches. Venu de son Aveyron natale voilà quarante ans, il a voulu monter une affaire à Paris comme l'ont fait ses frangins. Sauf qu'au lieu d'être sur les Champs-Élysées ou dans le Marais, il a ouvert son bar dans une ruelle merdique entre Curial et Riquet. Chacun son destin.

Le père Gégé arrive vers nous avec toute sa bonhomie campagnarde :
-Hé Vinny. Tu devrais baisser d'un ton.
-Tu vas pas me dire que ça te choque, non ?
-J'ai d'autres clients tu sais.
-Ok, ça roule.
-J'vous en remet une, les gars ?

Greg regarde sa montre :
-Non. On va y aller. Tu mets tout ça sur mon ardoise? Je suis trop déchiré pour me souvenir de mon code de carte bancaire.

-Pas de problème. Rentrez bien, et faites gaffe !

On sort du bar. Malgré les effets de l'alcool, je peux sentir le froid hivernal me claquer la gueule. Greg et Vinny hèlent un taxi.
-Tu viens avec nous Red ? Me propose Vinny.
-Nan c'bon. J''ai ma bagnole.
-Comme tu veux. A plus !

Je me dirige vers ma caisse en farfouillant mes poches pour chopper les clés. Je vois Mélinda dans le reflet de la vitre derrière moi. J'me retourne.
-T'es encore là, ta ?
-Tu vas pas conduire dans cet état ?
-Qu'est-ce qu'il y a ? Il est très bien comme ça mon état.
-T'as ingurgité au moins sept litres de bière.
-J'ai arrêté de compter depuis quelques années déjà.
-Donne-moi tes clés !

Elle m’énerve. Et je lui fait savoir.
-Ho ! Pour qui tu te prends ? Je sais très bien c'que je fais ! Je picolais déjà que t'étais pas encore née ! Alors maintenant tu me lâche la grappe, ok ?

Et j'me retourne vers ma tire, que j'essaye d'ouvrir. Mélinda reste interdite, presque choquée. Mais elle se reprend vite.

-Et si tu t'emplafonnes ?
-Je connais ma bagnole par cœur, et c'est réciproque.
-Et les flics ?
-Quoi les flics ?
-Fabre n'attend qu'une seule erreur de notre part, une seule, pour nous foutre au fond du trou !

Je m'arrête. Elle continue :
-Tu veux tous nous envoyer au tas ?

J'me retourne vers elle.
-Nan... Et qu'est-ce que tu me proposes ?
-J'habite pas très loin, j'peux t'héberger pour la nuit. On peut y aller à pied. En plus, le quartier est pourri à cette heure-ci.
-Ok. J'te suis.


Je ne saurais dire si on a marché dix, vingt ou trente minutes. Mais nous arrivons finalement au pied d'un immeuble dans le plus pure style Haussmanien.
-On y est. Qu'elle me dit en regardant dans son sac pour trouver ses clés.

Elle ouvre la lourde porte du hall, et je la suis jusqu'au troisième étage.

Moi qui pensait qu'elle vivait dans un petit studio, ou même une chambre de bonne, je suis surpris de voir un appartement de cinquante mètres carrés.

-T'es bien ici. Le loyer est cher ?
-Cinq-cent euros par mois. Assieds-toi dans le canapé. Tu veux boire quelque chose ? Me répond-elle en enlevant son manteau et ses bottes et en allant vers la cuisine.
-J'veux bien un whisky, si t'as.

Je m'affale dans le canapé, sans prendre la peine d'enlever ma veste, en regardant la pièce et tout ce qui la compose. Un salon somme toute relativement classique. Un canapé, une table basse, une télé, deux-trois cadres au mur, une bibliothèque, un bureau avec un ordi posé dessus.

Elle revient de la cuisine avec deux verres à la main et s'installe à coté de moi. Très à coté de moi.
Je bois une gorgée de whisky. Elle me regarde. Je suis gêné.
-Tu sais, on devrait pas.
-Chut.

Elle caresse ma grosse gueule avec sa petite main douce. Puis elle pose son verre et s'assoit à cheval sur moi. Nous nous embrassons. Mes mains caressent son corps, ses hanches, son dos, ses cuisses, puis passent sous son t-shirt que je ne tarde pas à lui enlever. Son t-shirt, et le reste.

Sa peau pâle est fruitée. Ses lèvres sont pulpeuses, ses cheveux brillent de mille reflets. Ses yeux s'illuminent de désir et se ferment de jouissance. Elle adapte ses gémissement au rythme de mes coups de reins dans ses hanches. Mes bras entiers enveloppent son corps mince et chaud.

Puis, dans un ultime élan, alors que nos corps sont las et trempés de sueur, j'atteins les cieux en même temps qu'elle. Je peux me retirer, tirer ma révérence, retourner à la torpeur. Affalé sur le lit, je m'endors en quelques minutes seulement.



Mon sommeil aura été de courte durée. Les premiers rayons du soleil me réveillent. Mélinda est sur moi. La couverture masque sa mince poitrine. Je caresse son visage fin du bout de mon doigt. Elle se réveille à son tour, et me regarde avec ses petits yeux fatigués. Je lui souris. Elle repose la tête contre mon torse.

-T'as tué beaucoup d'hommes, Red ?
Je soupire. Que répondre à ça ?
-Quelques-uns.
-Raconte-moi.
-Qu'est-ce que tu veux que je te raconte ?
-Ton passé. Ta vie.
-Ça risque d'être une histoire longue. Une histoire qui ne te plairait pas. Et qui finira certainement très mal.
-Est-ce qu'elle se finira avec moi, cette histoire ?
-Il est encore un tôt pour le savoir, non ?
-En attendant la fin, dis-moi ce qu'il s'est passé avant. Qu'est-ce qui vous lie, toi, Greg et Vinny ?
-Ce qui nous lie, c'est vingt ans de souffrance, de fraternité, de violence. Vingt ans de beuveries, de guerre, d'angoisses.
-Comment tu les as rencontrés ?
-A l'armée. On se connaît tous depuis l'armée. On a fait nos classes ensembles, puis on est partis en mission, ensemble. Afrique, Moyen-Orient... Quand notre contrat s'est terminé, on savait pas vraiment quoi faire. On a galéré quelques temps. Puis un jour, Vinny nous a parlé d'un de ses potes qui venait de monter une boite de sécurité privée.
-De gardiennage ?

J'me marre un peu.
-Non. Non pas vraiment. Une société militaire privée. Il a dit qu'il cherchait des mecs qui avaient déjà une certaine expérience. Après-tout, c'était du boulot. Et c'était bien payé. Environ cinq mille euros par mois et par mission. Alors on est devenu des mercenaires, des contractors, appelle ça comme tu veux. La plupart du temps, c'était des missions d'escorte, ou de protection. Mais, il nous arrivait des fois d'être sollicités par de gros industriels, voire même des représentants de l’État, qui nous demandaient des services qu'on ne peut pas faire faire par une armée régulière, et qui est traitée en sous-main par des gars comme nous. Vis-à-vis des médias surtout. Si on se faisait chopper en train d’entraîner l'armée rivale de celle d'un pays que la France soutenait officiellement, ou si on nous prenait en photo en train de torturer un mec, nous étions des privés, des mecs sans aucun lien avec le gouvernement. On mangeait la merde tout seuls comme des grands.
-T'as torturé beaucoup de monde ?
-C'était un exemple.
-Et après ?
-Après un fâcheux incident au Kosovo, on a décidé qu'il serait peut-être mieux d'arrêter. Alors on est revenus à une vie « normale ». Du moins on a essayé. J'avais vingt six ans à l'époque. J'étais entré dans l'armée à dix-huit piges. L'armée, la guerre, c'est tout ce que je connaissais. C'est tout ce que je savais faire. Nous étions devenus des inadaptés sociaux. On n'avait pas les codes, on n'avait pas les clés pour réussir dans une société Occidentale du vingt-et-unième siècle. On ne connaissait que ça. On n'avait vécu pendant des années avec un flingue dans les mains, un sac sur le dos et avec le goût de l'adrénaline dans la bouche. Alors, on a un peu dérivé. On a eu quelques vices. Pour remplacer la dope naturelle que représentait la guerre, on s'est... Égaré. On est passé un peu partout, on a refourgué des armes sous le manteau. Greg s'est mis à faire des combats clandestins. Moi, je faisais la sécurité dans des salles de jeu clandestines. On se réfugiait dans le sport et l'alcool pour oublier tout c'qu'on avait fait, ce qu'on avait vu. Puis, t'as toujours un moment, où l'on va te demander un truc trop gros. Tu sais que tu vas atteindre le point de non-retour. Un jour, tu te retrouves au pied du mur, et tu sais que tu risques ta peau. C'est devenu « Red, tabasse ce type », « Red, va chopper le pognon d'untel », « Red, va le chercher un petit paquet ». Puis un jour, ça a été « Red, refroidis-moi ce mec ». J'étais devenu le porte-flingue d'un vieux rital, Jean Scorni. Son garde du corps, son confident. Je savais qu'un jour ça me retomberait dessus. Un jour, les flics ont fait une descente dans son cabaret, le Dandy. Scorni et toute la clique ont été arrêtés. Ce jour-là, je n'étais pas allé au cabaret.
-Comment ça se fait ?
-Trop de bordel. Trop de règlements de comptes. Un caïd de banlieue s'était fait descendre, ça avait mis le feu aux poudres. J'ai su bien plus tard que le mec à l'origine de tout ça était Conan Sauvant.
-Sauvant ? Le meneur de la révolution ?
-Tout juste. Plus tard, quand la guerre civile à pété, j'ai servi sous ses ordres. Comme quoi, ya que les montagnes qui n'se rencontrent pas.
-Et pendant la révolution ? Qu'est-ce que tu faisais ?
-Greg, Vinny et moi, on a rejoint les Escadrons de la Mort. On s'était remis à faire ce qu'on faisait le mieux : la guerre. Mais cette fois, c'était différent. C'était pas pour l'argent. C'était pas une guerre à huit-mille kilomètres de chez nous. C'était nos familles. Nos villes. Nos villages qui brûlaient. On se battait pour une cause, on se battait pour notre terre, sur notre sol. C'est nos maisons qui cramaient et nos proches qui souffraient. Et ça a été dur. Très dur.
-J'avais à peine quinze ans à l'époque.
-J'en avais presque trente. On a fait ce qu'on avait à faire. Puis un matin, on tenait le Parlement. On avait pris l’Élysée. L’Assemblée Nationale. Le Sénat. Tout. Alors, on gueulait « victoire » partout dans la rue en agitant nos petits drapeaux. On y croyait, comme des cons, on pensait vraiment que ça allait changer. Qu'on avait redessiné la face du monde. Quelle bande de cons ! Comment j'ai pu me leurrer à ce point. Conan Sauvant avait été tué dans les derniers jours de la guerre. C'est lui qui fédérait l'Armée Révolutionnaire Française. Conan mort, tout son ouvrage allait se fissurer, se briser, et s'éparpiller. Et ça n'a pas loupé. Après la guerre contre le Système, la guerre des factions. Communistes, Nationalistes, et même les Islamistes. Tout le monde voulait sa part du gâteau et tout le monde se proclamait de la cause de Sauvant. Puis derrière, t'avais toutes les manipulations de nos ennemis extérieurs qui s'invitaient à la fête sournoisement mais efficacement.
-Et comment ça a fini ?
-Ce qui devait arriver arrivât. Un jour un trou du cul s'est pointé et a dit « c'est moi l'nouveau président ». Et comme y'avait déjà eu trop de morts, que les gens en avait plein le cul, qu'on était devenu presque un pays du tiers-monde, tout l'monde a fermé sa gueule. Les potes et moi, on traînait trop de casseroles. Alors on a suivi la masse, on est rentrés dans le moule. On a passé le concours de police. Et nous voilà maintenant, en train d'assister à la déliquescence d'un pays que nous avons un jour eu l'audace de penser sauver. La Révolution était tombée à l'eau, des milliers d'hommes étaient morts pour rien.
-Je suppose que c'est toujours comme ça, la guerre. Et est-ce que tu...
-Non... J'ai plus envie de parler de ça.
-J'allais te demander si tu voulais du café.

Je souris.
-Va pour le café.


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