Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Incarnation


Par : Sheyne
Genre : Science-Fiction, Fantastique
Statut : C'est compliqué



Chapitre 16


Publié le 09/12/2015 à 03:07:37 par Sheyne

Avançant au milieu des manoirs et des jardins luxuriants, le Roi marchait sans y croire. Sous ses pieds s'entrecroisaient d'immenses branches, au-dessus de lui un ciel de feuillages. Majestueux dans la lumière matinale, le neuvième étage d’Yggdrasil (et la dernière étape sur la route du palais) s'étendait à perte de vue.

Le coeur battant, le jeune homme avait le souffle court. Laisser ce cannibale sur cette île déserte lui avait permis de revenir chez lui. Aussi facilement... il lui suffisait de ne tuer personne. Le karma marchait d'une manière bien simple finalement.

Alors, au milieu des beaux quartiers, le Seigneur écarta ses bras. Ses yeux se levèrent vers la cime. Chez lui... Il était chez lui. Et un brusque éclat de rire ponctua cette pensée, choquant les quelques passants. Maintenant, il ne lui restait plus qu'à retrouver un de ses généraux, confirmer la date et reprendre possession de son palais.
Preuve que tout allait bien, il se situait à moins de cinq minutes de la demeure d'un de ses amis. Il le savait, car même s'il n'était jamais descendu en dessous du septième palier, il avait pour habitude de visiter fréquemment les trois autres niveaux.

En quelques foulées, le roi put constater à quel point sa récente apparence était souple et musclée. À regarder ses mains, il lui donnait vingt-cinq ans. Un vrai corps, celui d'un homme. Pas comme ces reliquats abominables qu'il avait dû traîner jusqu'ici.
Fort de ces nouvelles sensations, il gonfla la poitrine et se mit à courir à toutes jambes. La vitesse le grisa et moins d'une minute plus tard il put reconnaître une fantastique demeure.

En l'abordant, quelque chose le choqua. Non pas que l'endroit ait changé : il était toujours aussi somptueux. Un large manoir aux murs d'un blanc limpide, nappé de lierre et bordé d'immenses fontaines. Non, ce qui l'embêtait, c'était l'amoncellement de meubles devant l'entré, comme si le propriétaire était sur le départ. Curieux, il vit un rassemblement de serviteurs fourmiller à quelques pas de la porte. Il demanda alors simplement :

« Que se passe-t-il, ici ? Où puis-je trouver votre maître ?
— Le maître est au palais, monseigneur. »

Ce fut le plus vieux d'entre eux qui daigna répondre. À leur tête, on voyait que ça ne tournait pas rond. Alors l'autre poursuivit d'une voix chagrinée :

« Notre si bon Roi est devenu fou. Il a ordonné la saisie de l'ensemble des possessions des hauts étages. Nul doute qu'il désire accaparer toutes les richesses et nous condamner à la bassesse d'une vie dépossédée. Le maître est donc parti pour le raisonner... Comme vous le savez peut être, lui et notre Seigneur son bons amis. »

Non content de posséder son trône, l'usurpateur s'était mis en tête de démanteler son royaume... Enfin, ce n'était qu'une question de temps, maintenant, avant qu'il ne se fasse destituer. D'autant plus qu'il lui suffirait de quelques conversations pour faire éclater la supercherie ! Après tout, le véritable Roi était de retour !
Et puis, même les hauts dirigeants du neuvième étage se retournaient contre l'imposteur !Ainsi, le philosophe n'avait plus que quelques heures, sinon quelques jours devant lui. C'était évident. Néanmoins la situation le tracassait.

« Si vous êtes si sûr de pouvoir le raisonner, poursuivit le Seigneur, pourquoi entasser tous les meubles dehors ?
— Le maître a ordonné de tout brûler si jamais il ne revenait pas d'ici la fin de la journée. Son avis est que si notre bon Roi décide (malgré sa requête) de nous priver de nos biens, il n'y a aucune raison pour qu'il les récupère.
— Je comprends... malin. »

Enfaîte, il aurait probablement fait la même chose... Si son royaume devait tomber aux mains de forces armées, nul doute qu'il l'ait détruit à la place. Enfin... En ce moment, il n'avait eu ni le temps ni le choix de prendre de telles mesures.
En l'état, il était bloqué et devait attendre le retour de son ami. Alors il regarda patiemment les hommes et les femmes sortir unes à unes les énormes boiseries. Et la maison avait de ceci de comique qu'on l'aurait crue malade. Les meubles jaillissaient par toutes les entrées. Que ce soit le double battant en fer forgé (preuve de richesse), ou les fenêtres par le biais de poulies, tout finissait inexorablement par s'entasser en une gigantesque pile dans le jardin. La montagne de bois grandissait à vue d’œil et le Seigneur, lassé, demanda encore :

« Dites-moi, quel jour somme nous, déjà ?
— Mercredi trente-et-un, août, monseigneur. La veille du nouveau mois, le Roi prend de l'avance sur les décrets. Pourvu qu'il reprenne, raison.
— N'y a-t-il donc personne qui a tenté de l'arrêter ? »

L'autre sembla regarder dans le vide, peiné... puis il le dévisagea d'un air interloqué :

« Où étiez-vous ces trois derniers jours ? »

Finalement, lorsqu'il consentit à en dire plus, sa voix fut terrible :

« Monseigneur, il se dit que les prisons sont pleines et se remplissent encore. Les gens sensés ont bien tenté de le stopper en comprenant sa folie naissante. Ceux-là sont en geôle. D'autres ont tenté d'attenter à sa vie et ceux-ci sont morts. L'on dit qu'une force étrange le protège des attaques... Après tout, il est le Roi, quoi de plus normal que les dieux l'aident. Vous comme moi, nous ne somme rien, on ne peut qu’espérer... Mais d'ailleurs, qui êtes-vous ?
— Moi... Je suis quelqu'un qui a besoin de l'aide de votre maître pour reprendre ce qui lui appartient.
— Je comprends. Beaucoup de nobles sont dans votre cas et se réfèrent aux plus hautes forces. Vous n'avez plus qu'à attendre son retour, je suis certain que ça va s'arranger. »

Le serviteur cessa la discussion pour retourner à ses travaux et ça se voyait qu'il ne pensait pas un mot de ses encouragements. Alors le Roi s'adossa contre l'un des murs, à l'ombre. Bien que le toit de végétation soit titanesque, quelques rayons de soleil filtraient à travers les fantastiques feuillages, baignant la ville en sous-bois d'une lueur féerique, mais étouffante.

Il prit donc un moment pour repenser à ce monde si étrange, à cette tornade d'âmes lumineuses qu'il voyait à chacune de ses morts. Alors, il trembla à nouveau. Ce n'était sans doute que son imagination, mais à travers les engrenages au lointain il lui avait semblé apercevoir un œil gigantesque. La pupille rougeâtre, terrifiante et inhumaine de ce qui était sans aucun doute le gardien de la machinerie cosmique. Froide, elle avait sondé son esprit. Qu'y avait-elle vu ?

Le Roi se mit à songer à la réalité des choses. Si un tel monde existait vraiment, il devait être fabuleusement grand. Pourquoi n'en avait-on pas connaissance ? Pouvait-on contempler ce tourbillon de lumière autrement que par la mort ? Se cachait-il quelque part ? Quels terribles pouvoirs pouvait bien posséder celui qu'il nommerait désormais le Gardien ?

Au fond, tout cela n'avait que peu d'importance. Ce qui était excellent, en revanche, c'était que cette abomination l'ait guidée jusqu'à ce corps-ci, pour le remercier d'avoir laissé moisir le cannibale sur son affreuse île. De même, il en savait maintenant plus : il se réincarnait sans cesse à une journée d'intervalle. Ainsi même s'il mourait, pour peu qu'il n'assassine personne, il ne ferait aucun doute qu'il reviendrait dans de superbes conditions.

Tout était pour le mieux. Le philosophe voulait lui apprendre une leçon et il l'avait acquise. Tuer est une chose qu'il ne ferait plus. La torture en revanche était excellente. La preuve en était l'horreur psychologique subie par son camarade dégénéré, sans doute encore perdu quelque part aux confins du monde. Il avait dévoré sa propre femme... Et le laisser à son sort lui avait permit de revenir chez lui...

Un sourire traversa ses lèvres. Oui, puisque la torture était admise l'usurpateur allait souffrir... Et ce serait fait selon ses propres règles.

« Bordel ! Attention ! »

Horrifié, un cri déchira l'instant. Le seigneur porta son regard vers le vieux serviteur, vers son visage ahuri et ses yeux écarquillés. Il se passait quelque chose. Au-dessus de lui. Un énorme craquement retentit, bientôt suivi d'un bruit de chute.
Le Roi leva la tête et eut à peine le temps de comprendre. Au deuxième étage, la poulie venait de se rompre et un meuble lui tombait dessus.

Paralysé, il ne put bouger, il ne put y croire.

Dans un terrible fracas, il mourut... pulvérisé par un piano.


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