Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

La mésaventure d'Aliz


Par : PaulAllender
Genre : Réaliste
Statut : C'est compliqué



Chapitre 9 : Champagne amer


Publié le 28/01/2012 à 00:54:07 par PaulAllender

Le lendemain matin, tout le monde avait du aller en cours avec une gueule de bois et un mal de crâne énorme, même si, aussi mémorable cette soirée fut-elle, ça n'est pas ce que je retiens le plus de cette journée. Aliz et moi avions directement, et de manière absolument non négociable, prévu de nous revoir après les cours.

-Ace ?
-Oui ?
-Qu'est ce qui se passera quand ça sera fini entre nous ?
-J'sais pas...
-J'veux pas qu'on en vienne à se détester un jour.
-Ya pas de raisons pour je pense.
-Mouais... Promets moi qu'on tombera jamais dans la routine, dans l'ennui, dans l'amour par dépit, et surtout, promets moi que tu me retiendras jamais, ou que tu ne me forceras jamais à faire ce dont je n'ai pas envie parce que sinon, autant s'arrêter là.
-Promis, tout que tu veux.

Je partis de chez elle quelques minutes plus tard, et alors que j'arrivai devant mon lycée, je fumai ma garrot et vis Alexandre qui me fit signe de venir vers lui. 

-Salut mec
-Lu
-Tu sais gros, j'suis vraiment désolé que ça se soit passé comme ça à Marseille, c'est ma faute.
-Nan, tu crois ?
-J't'ai dit que j'etais désolé, et j'suis pas fan de la tournure qu'ont pris les événements. Puis, je dois dire que je regrette nos conversations, nos conneries et nos soirées.
-Ah. Ouais.
-J'espère que toi ça va, moi c'est pas l'top niveau santé.
-En même temps, t'es cardiaque et tu fumes comme un pompier..
-La beuh pure...
-Oui, je sais, la beuh pure n'est pas nocive et est bonne pour les poumons, mais on parle de ton cœur, pas d'tes poumons.
-Le cœur, les poumons, tout ça c'est du pareil au même. C'que j'veux t'dire, ce que la beuh, ça te détruit pas de l'intérieur comme les clopes, ça a des vertus thérapeutiques même, sinon ça serait pas utilisé à des fins médicinales.
-Tout ce que tu me dis là, je le sais. Mais ce que toi tu ne sais pas, c'est que ça aussi, ça te bouffe de l'intérieur, mais sans que tu le vois. "Tu veux voir la vie plus belle, le monde moins sounois, mais c'est pas en touchant l'ciel qu'ça ira mieux en bas ; personne n'est éternel tu devrais savoir ça."
-Arrête ton char avec tes chansons et ta morale, Jean-Luc Delarue.
-Va t'faire foutre, quand tu seras allongé sur un lit d'hôpital après une crise cardiaque, faudra pas pleurer.
-... Ça te dit qu'on se voit cet aprem ? J'ai un truc important à faire, tu voudrais bien m'accompa...
-Nan, je vois Aliz, pas le temps pour tes plans foireux. Parce que oui, on est ensemble depuis hier aprem, si ça t'intéresse.
-Oh. Ça m'fait plaisir pour toi man. Vraiment.
-C'est ça... Bon c'est pas tout mais moi j'ai cours, à plus.

Et je partis en me retournant, sans lui laisser le temps de rajouter un seul mot. Je m'etais comporté comme le dernier des enculés avec mon meilleur ami. Pourtant, j'avais bien vu qu'il était mal en point et préoccupé, l'air tracassé comme jamais, et pourtant, je l'avais envoyé chier comme une merde, pour une histoire tout aussi futile et merdique que mon comportement.  Et c'est là qu'on se rend compte que la vie n'est faite que d'imprévus et de surprises. Vers 14h, après les cours, et alors que j'étais avec Aliz, mon téléphone sonna. C'était un numéro que je ne connaissais pas, mais, d'instinct, je répondis.

-Allo ?
-Bonjour... Tu es Ace ?
-Euh ouais, c'est moi.
-Je suis le père d'Alexandre, et...

La voix tremblante se mit à sangloter dans le combiné, comme si chaque mot prononcé était un coup de poignard dans le coeur pour mon interlocuteur.

-... et je t'apporte une bien mauvaise nouvelle... Tu sais, Ace, Alexandre m'a beaucoup parlé de toi, il disait que tu étais vraiment la personne sur laquelle il pourrait toujours compter quoi qu'il se passe, que tu serais là s'il en avait besoin, alors, tu es la première personne que j'aie appelé... Nous allons devoir être très courageux mon garçon, car Alexandre... Alexandre est décédé il y a moins d'une heure....
-... Oh mon dieu, putain de merde...

D'un seul coup, le monde s'écroulai autour de moi, comme si la mort d'une personne avait une quelconque importance à l'échelle de la planète. Des larmes coulèrent sur mes joues sans que je puisse me retenir. Je lâchai mon téléphone, tombai à genou et mis ma tête dans mes mains, pleurant de plus belle. Il m'était impossible d'y croire, je m'attendais à tout, on aurait pu m'annoncer la fin du monde, un tremblement de Terre, un tsunami, un nouveau trou dans la couche d'ozone que j'en aurais rien eu à foutre, mais pas ça, ça paraissait tellement irréel. Aliz qui avait tout entendu s'agenouilla à mes côtés, me pris dans ses bras et passa sa main dans mes cheveux pour me consoler.

-Pourquoi lui putain...
-C'est la vie Ace... Personne n'y peut rien... Personne n'y peut rien.

Le dimanche même, il fut enterré. Je ne pouvais m'empêcher de me sentir coupable de sa mort. Il était parti chercher les résultats de son test HIV ; à force de baiser avec n'importe qui, on attrapait n'importe quoi. C'était sûrement là où, le matin même, il allait me demander de l'accompagner. En ouvrant l'enveloppe à la sortie de la clinique, ses écouteurs dans les oreilles et son joint dans la bouche, il avait découvert qu'il était séropositif. S'oubliant un instant au milieu de la route, il resta immobile trois secondes, qui furent de trop d'après les témoins, avant de se faire percuter par un bus dont le chauffeur était au téléphone. Il n'avait pas souffert et était mort sur le coup selon les médecins. Cela apaisait un peu notre chagrin, mais qu'y avait-il de plus horrible que de mourir trois secondes après avoir appris que ses jours étaient comptés ? Si j'avais accepté de venir avec lui, tout ça ne serait sûrement pas arrivé, quel con j'étais. Le ciel ne devait vraiment pas avoir qu'il reste en vie, sans doute avait il déjà trop profité de la vie ; à 17 ans ?
Le père d'Alexandre avait enterré sa femme et son fils, et, dans notre malheur, nous étions tous les deux devenus d'autres hommes en traversant cette douloureuse épreuve. Rien que de vous en parler j'en ai encore les larmes aux yeux. La vie m'avait appris une terrible leçon que je n'étais pas prêt d'oublier. Sachez le, et apprenez à pardonner aux frères, parce qu'ils sont rares. 

Les jours qui suivirent, je n'avais vraiment pas le moral. Toujours écœuré de sa mort aussi soudaine que regrettable. Aliz avait bien vu que trois semaines après l'enterrement, j'etais toujours aussi blasé.

-Aller, Ace, remue toi un peu, il est 22h et t'es resté au lit toute la journée... T'es devenu un vrai cadavre depuis que Regu...
-Alexandre. Il avait un prénom tu sais. la coupai-je
-Bof. Je suis sûr qu'il m'appelait Antares de toutes manières...
-Oui, et je lui faisais la remarque à lui aussi.
-Comme quoi...
-...
-Aller quoi... Je sais bien que c'était ton meilleur ami, et moi aussi je l'appréciais tu sais...
-...
-Non, c'est vrai, je l'appréciais pas plus que ça, mais le connaissant, au lieu d'un enterrement grisonnant et d'un deuil interminable, je suis sûr qu'il aurait préféré une grosse ressoi avec la masse de monde ! Pas que je sois pour hein, mais tu vois où je veux en venir ?
-Putain, t'as raison. 
-J'ai toujours raison...
-Non. Et ouais, faudrait faire quelque chose du genre... Un dernier hommage.
-On pourrait faire une soirée... 
-Où ça... ?
-Dis moi... Tu crois que les morts aiment les soirées ?
-Ya qu'une seule façon d'le savoir.

N'allez pas vous imaginer qu'on allait partir jouer les pilleurs de tombe pour faire des aquas dans les cercueils, c'était juste un hommage pour ce frère pas foutu de traverser correctement. Il avait fallut prévenir les gens, les convaincre, voir ceux qui étaient disponibles, supplier certains de ne pas appeler les flics, même.
Le week-end suivant, nous avions tout organisé, tout planifié pour le soir, et on avait vraiment pas plaisanté pour le coup. Enceintes portables, musique de soirée à fond, rivières de boissons et fumette de masse, la base de la base. 



A minuit tapante, une cinquantaine de personne envahi le cimetière pour faire la fête, se réunissant autour de la tombe d'Alexandre. Tout le monde dansait, renversait de son verre, de son pochon, de sa bouteille ou mettait de sa cendre sur la tombe, trinquant avec elle ou lui soufflant la fumée dessus. Certains se piquaient ou se faisaient même des rails allongés dessus à tour de rôle. Nous nous vautrions dans la débauche la plus totale, en son honneur et sa mémoire, nous étions dans sa mort comme il l'avait été dans sa vie. Le bruit ne tarda pas à alerter le voisinage qui appela les flics, et nous avions tous décampé à leur arrivée. Et bien qu'ils aient voulu nous courir après, nous planions trop haut pour qu'ils puissent attraper ne serait-ce qu'un seul d'entre nous. Tout le monde se sépara et rentra chez lui ou alla à une autre soirée après cette réunion furtive qui avait duré treize minutes au total.

-C'était un délire.
-Tu l'as dit mon chou...
-J'me sens mieux maintenant.
-Tu vois.
-J'avais juste besoin de lui dire vraiment au revoir. À notre façon.
-Il peut-être fier de lui, il a eu la plus ouf des soirées posthumes.
-Et pas qu'à moitié...


Le temps avait passé depuis cette soirée dans le cimetière, mon récit nous amène presque un an après, à l'été 2013. Nous filions le presque parfait amour Aliz et moi, et ce jour là, nous attendions tous les résultats du Bac, histoire que les vacances commencent pour de vrai. Je cherchai mon nom sur les listes placardées devant le lycée, descendent mon index le long des feuilles. Trouvé.

-Allo ?
-Ouais, j'suis toujours en ligne t'inquiète.
-Alors ?
-18.13, mention très bien. Et toi ?
-16.7 mention très bien.
-J't'ai niqué ! hurla-t-elle au téléphone 
-J'avais remarqué...
-J'me demande comment des tox comme nous ont pu suriner le bac aussi hardcore...
-Qu'on soit des tox ou pas, ça change rien, on gère, c'est tout.
-Moi plus que toi !
-Gnagnagna.
-Tu sais ce que ça veut dire ?
-Oui, je te dois un...
-Un diner romantique.
-Un vrai de vrai ?
-Oh que oui. Toi et moi, en tête à tête...
-Les étoiles en guise de lumière...
-Le ciel pour plafond...
-La nuit comme hôte...
-La Lune pour témoin...
-KFC ce soir ?
-Banco !

Le soir venu, nous nous installâmes en terrasse d'un KFC à Paris, discutant de l'avenir.

-Alors, tu vas faire quoi avec ton 16.7 maintenant ?
-C'est vrai qu'on en a jamais discuté en presque un an.
-Ouais, je viens d'y penser.
-Bravo, tu veux un pim's ?
-Nan, c'est dégueu...
-Je suis d'accord... Mais bref. Je vais faire du droit, pour avoir des thunes. Et toi ?
-Sciences Po, journalisme.
-Tu laisses tomber les sciences religieuses ?
-Pas assez... d'aventure. Dit elle en léchant un par un ses doigts plein de ketchup
-Oh, c'est très... mystique, comme réponse.
-Hum, j'vois pas en quoi.
-Bah, que tu dises ça comme ça, pas "d'aventures". Le journalisme, c'est large tu sais...
-Nan mais j't'arrête, si je fais du journalisme, ça sera du journalisme intéressant au moins. J'irai pas faire de reportages sur les vieux qui cuisent dans leurs jus pendant la canicule ou sur des p'tits qui s'font exploser le cul dans des camionnettes pour une poignée de bonbon.
-Et tu cibles quoi ?
-La guerre par exemple.
-Toi tu tiens pas à la vie.
-Si.
-Nan, j'regrette.
-Oh mais ferme la, tu vas pas m'faire chier, bien sûr que si j'tiens à la vie !
-Tu as dit toi même que tu te foutais de mourir jeune...
-Attends j'crois qu'on s'est mal compris, j't'explique. 
-Vas y, explique toi, explique moi.
-Ce que j'ai voulu dire, c'était que peu importe les risques, je préférais vivre ma vie pleinement, au jour le jour sans m'inquiéter. Si on n'prend pas de risques, on n'vit pas. Si je dois mourir, en vivant la vie que j'ai voulu vivre, je mourrai, tant pis. Le fait qu'on puisse avoir la poisse ça change rien, parce que ça peut arriver n'importe quand, alors je profite de chaque seconde de ma vie, et si ça t'plait pas, j'te retiens pas.
-Nan mais t'es sérieuse là ?
-Qu'est ce qui ya, j'suis trop honnête pour toi peut-être ?
-J'dirais plutôt trop acerbe, calme toi, on parle tranquillement.
-J'aime pas que les gens me jugent sur ma façon de vivre...
-Parce que pour toi, je suis "les gens" ?
-Et beh, les gens, c'est tout le monde, sauf moi. Et toi, pour autant que j'sache, bah, t'es pas moi.
-T'es duper ou quoi, c'est une blague là, tu m'fais quoi ?
-J'suis enceinte.
-C'est...
-Affreux ! On est trop jeunes pour avoir un gosse, moi j'en veux pas... Pas d'études, pas de boulot, pas de potes, pas d'temps pour nous.... dramatisa-t-elle
-Faut y réfléchir..
-Nan puis, surtout qu'on sait pas trop si ça va durer nous deux...
-Putain mais tu le fais exprès ? Depuis qu'on est ensemble t'arrêtes pas avec ça. Qu'est ce qui ya, j'te fais chier p't'etre ? J'suis pas assez bien pour que tu portes mon fils dans ton ventre ?
-"Ton" fils ? Parce que l'enfant est juste de toi ? Il va pas grandir dans tes couilles que j'sache !
-Peu importe, j'vois juste que depuis presque un an, quoique je fasse, c'est jamais assez bien pour toi, t'es toujours insatisfaite, il t'en faut toujours plus, comme un enfant gâtée pourrie.
-Et alors, tu t'crois parfait ? Tu crois qu't'es drôle, mais mon coco, t'es aussi merdique que prétentieux !
-Que tu le veuilles ou non, on va le garder, parce que je sais que je ferais un bon père, je sais que si c'est la chaire de ma chaire qui grandit dans tes entrailles, je ferais tout ce que je peux pour faire en sorte que vous ne manquiez de rien toi et...
-Ace ! C'est pas vrai putain, j'suis pas enceinte !
-Mais... ?
-Merde, je voulais plaisanter avec toi, et t'as tout niquer en prenant encore tout ça trop au sérieux ! sanglotait-elle presque.
-Putain mais c'est pas des blagues qui se font bordel !
-Tu comprends vraiment rien... Rappelle toi de ce qu'on s'est promis l'année dernière.
-C'est pas ça, c'est juste que...
-Nan, juste rien. C'est fini Ace, Parce que t'es un malade, voilà pourquoi.
-T'es sûre de toi ?
-Plutôt deux fois qu'une, connard de merde.
-Et bah casse toi alors, va t'faire enculer trainée qu't'es, sale pute va !

Son visage se décomposa et vira à l'écarlate, tandis que, les larmes débordantes aux yeux, elle se leva de table et s'en alla en courrant, s'engouffrant dans le premier bus qui passa, me lançant un regard noir avant qu'il ne démarre, m'adressant un doigt furieux, et des yeux humides qui exprimaient un dégout plus écœurant encore que celui procuré par la vue de mille milliers de cadavres en putréfaction.


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