Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Red Brenn


Par : Conan
Genre : Polar, Action
Statut : C'est compliqué



Chapitre 6 : La ligne


Publié le 13/10/2012 à 00:20:59 par Conan

Minuit et demie. Pigalle. Je marche, encerclé par les lumières vertes et rouges. L'alcool et les néons multicolores me font tituber. Accosté devant chaque cabaret par des rabatteurs, j'me faufile milieu des piétons. L'ambiance est aussi fiévreuse qu'un herpès purulent accroché au bout de la lèvre d'un travelo sidaïque du coin. Cette débauche, cet étalage de sexe facile, d'alcool et de danger réchauffent les nuits d'un Paris devenu froid et sombre. Entre grisaille et tapage, j'essaye de me dépatouiller comme je peux, même si j'sais au fond de moi que mon temps est compté, et que j'me bat contre des moulins.

J'm'arrête devant le Simone. Je pénètre les deux lourdes portes battantes. L'odeur de la sueur se mêle à celle de l'alcool et du vice. La fumée danse à hauteur de mes yeux dans le salon érotique et rococo. Une grande kitscherie à demi masquée par les lumières tamisées. Des gonzesses se dandinent sur des podiums façon topless. J'm'accoude au comptoir. La barmaid, à l'étroit dans son soutif, se ramène vers moi avec un sourire ravageur et commercial.
-Salut bébé. Qu'est-ce que j'te sert ?
-Cardhu, sec, sans glace.
-T'as pas froid aux yeux toi.
-Je sais c'que j'veux. Elle est là la taulière ?
-Qui la demande ?

J'sors ma carte.
-Un vieil ami.
La nénette pose pas plus de question et demande sa patronne au téléphone. Faut bien qu'il y ait des avantages à être flicard de temps en temps.

La Simone se ramène au bout de deux minutes avec sa dégaine de maquerelle des années trente et son porte-cigarette pincé par ses doigts sertis de tout un tas de bagouzes.
-Tiens donc, si c'est pas Brenn j'veux bien qu'on m'coupe la langue ! Qu'elle s'exclame dans sa gouaille sortie du plus profond Paris.
-Comment tu vas, vieille carne ? Que j'souris.
Elle fait mine de m'foutre une taloche sur l'épaule.
-T'es toujours aussi agréable, ça fait plaisir. Qu'est-ce qui t'amène mon grand ?
-L'insomnie. Et ton whisky
-T'es pas sur une affaire ?
-Si seulement y'en avait qu'une.
-J'suppose que tu veux voir la p'tite.
-Elle est toujours là ?
-Bah voyons. Ça lui f'ra plaisir de t'voir. Et bas les pattes sur ton larfeuille, ton verre, j'te l'paye.
-Merci Simone.

Elle s'absente puis revient, avec à ses cotés une blonde aux yeux bleus, un mètre soixante-quinze, des mensurations parfaites moulées dans une guêpière, en somme le rêve de tout homme normalement constitué.
Elle se jette dans mes bras.

La p'tite. Elle a bien changé depuis la première fois où j'lai vue.
-Red ! Ça faisait longtemps !
-Emma. Qu'est-ce que tu deviens ?
-Comme tu vois, j'travaille toujours chez Simone. J'finis dans une heure, tu me ramènes ?
-Ça roule.

Et elle s'en retourne, me présentant un cul à se damner, puis s'engouffre dans la salle bondée. Simone s'approche de moi.
-C'est du pain béni cette petite.
-Ouais. C'est une sacrée gamine. Quel âge elle a maintenant ?
-Bientôt vingt-quatre.
-La vache. Ça passe vite... Et toi, vieille carne ?

Contrairement à d'habitude, elle sourit pas et se contente de baisser les yeux.
-Trop, Brenn. Beaucoup trop.
-T'as pas l'air bien.
-Tu sais, ça a bien changé ici. Je tiens le plus vieux cabaret du coin. On est en train de se faire bouffer par toutes les nouvelles boites, les strip-clubs qui ouvrent à tire-larigot tout autours, dans l'quartier. Pigalle, c'est plus vraiment Pigalle.

J'regarde aux alentours.
-Pourtant t'as encore pas mal de monde qui vient.
-C'est pas ça le problème. C'est sûr, le Simone c'est chic et pittoresque. Mais les types, qui ouvrent leurs boites, ça les arrange pas, au contraire, et ils se gênent pas pour me l'faire savoir.
-T'as eu des problèmes avec eux ?
-Pas directement avec eux, mais y'a juste besoin de voir la trogne des mecs qu'ils m'envoient pour deviner le genre de zozo qui s'cache derrière tout ça.
-Quels types ?
-Des gars, qui venaient au début pour tenter de racheter mon cabaret. Tu comprends bien qu'il en est hors de question. Maintenant c'est les menaces, l'intimidation. Moi, les filles, même parfois les clients. J'ai plusieurs habitués qui n'viennent plus à cause de ce genre d'histoires. Un jour, il arrivera une bricole, et mon cabaret n's'en remettra pas. Et moi non plus.
-Et les flics ?
-Tu parles ! Tes collègues ? Tous aussi corrompus les uns que les autres. La mondaine se fait payer du mousseux et des greluches par les mêmes salopards qui me pourrissent la vie.
-T'as qu'a m'filer des noms, et j'men occuperai.

Elle esquisse un léger sourire.
-Tu sais Brenn, t'es un mec en or. Mais tes pas doué pour les affaires. Dans ton monde, tout se règle à coups de poing ou de pétard, mais ici, c'est pas la même donne. Tu comprendrais mieux si t'étais une femme.
-Si t'as besoin de quoi que ce soit, tu sais où me joindre.
-Allez, Emma a fini son service, la fait pas attendre.
-Salut, Simone.

J'finis mon verre et j'me tire. J'vais vers les loges. J'y retrouve Emma, en peignoir, assise sur sa chaise devant son miroir, en train de se démaquiller.
-Comment tu m'a trouvée ? Qu'elle me demande avec un grand sourire.
-Superbe. Comme d'hab. Dis-moi, c'est quoi ces histoires avec les proprios des boites alentours ?
-Ah, j'vois que Simone t'a parlé... C'est pas vraiment LES proprios DES boites. C'est surtout LE proprio de tous les nouveaux night-club qui ouvrent tout autours depuis quelques mois. Je sais pas qui c'est, apparemment un gros investisseur qui aurait des liens louches avec des trafiquants. Mais il reste très secret. En tout cas, nous on dirait qu'on l'emmerde pas mal.
-T'as pas un nom, une adresse a me filer ?
-Han-han. On sait rien de lui. Juste qu'il est en train de nous bouffer la clientèle et nous pourrir la vie. Tu m'attends, je vais m'habiller et j'arrive.
-Rejoins-moi dehors, par la sortie arrière.
-Ça roule, bises.

Je sors dans la ruelle derrière le cabaret et j'm'allume une clope. Quand je l'écrase, Emma sort à son tour.
-On prend ma voiture où la tienne ? Qu'elle me demande.
-J'suis garé pas loin, on va prendre la mienne.

Elle me prend par le bras, et on marche dans la rue jusqu'à ma poubelle ambulante.
-T'as toujours ta vieille Peugeot ?
-Ça remplit bien son office.

On monte dans ma tire. J'me tourne vers Emma qui plonge son regard dans le mien.
-Dis-moi. Tu connais Maitre Frénant ?
-Ça me parle vaguement oui.

Je plonge ma main dans la poche intérieure de ma veste qui grince avec le bruit si caractéristique du cuir qui se froisse pour en sortir la photo d'un vieux type maigre et pâle.
-C'est lui.
-Oui, j'le connais. Enfin, pas personnellement, mais plusieurs de mes collègues ont eu affaire à lui. Des fantasmes un peu bizarres, limites flippants parfois. Pourquoi ?
-Parce que j'dois l'buter.

Elle me regarde avec de grands yeux ronds.
-Comment ça le buter ?
-Me pose pas de questions. Vaut mieux éviter que t'en saches trop, j'dis ça autant pour toi que pour moi.
-Mais pourquoi tu me dis ça ?
-Parce que je vais avoir besoin de toi.
-Et comment ?
-En entrant en contact avec lui. Il est bien protégé, il a des appuis, on s'en approche pas facilement. Son point faible, c'est sa queue. J'vais le faire frétiller la-dessus pour pouvoir le sortir de la flotte et le rétamer. C'est l'seul moyen.
-Et comment tu veux que j'm'y prenne ?
-Pour l'moment, contente-toi d'essayer de te rapprocher de lui. Dès que c'est bon, que tu vois que t'as une ouverture, tu m'fais signe. Après on passera à la suite.
-En gros tu veux que j'te serve d'appât ?
-Non, pas d'appât, de ligne. Dès qu'il est accroché à toi, je tire un bon coup pour le ramener à ma portée. La suite, j'men occupe.


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