Note de la fic : :noel: :noel: :noel: :noel:

Sunrise


Par : Sheyne
Genre : Action, Polar
Statut : C'est compliqué



Chapitre 32 : Chapitre 20 - 1/1


Publié le 23/01/2014 à 12:40:06 par Sheyne

« Entre»

Aboyé d'une voix ferme et rugueuse, l'ordre se fondit en un bruit de porte. Dans un faible grincement, l'entrée s'ouvrit sur un rai de lumière. Un bruit de sac plastique accompagna un claquement sourd. Glissé à l'intérieur, Shawn s'angoissa :

« Loyd. Putain t'as vu ce qui se passe à la télé ? T'y crois à ces conneries ? C'est quoi tout ce bordel, on va faire quoi ?!»

Affalé sur son lit, le regard perdu au plafond, l'interpellé ne prit même pas la peine de saluer son ami. Totalement perdu, piégé dans les tréfonds de ses pensées, son esprit voyageait.
Comme à son habitude avec les stores en partie baissés, la pièce revêtait un doux manteau nocturne. Et bien que la matinée en était à son commencement, les murs semblaient étinceler d'un étrange clair obscur. Mystique, sur un fond de musique psytrance, Loyd ferma les yeux. Lentement, ses lèvres remuèrent :

« Ta gueule.»

Secouant la tête, son ami s'avança tranquillement au rythme du son. Son pied envoya voler une pile de vêtements à travers le studio. Ça et là, des affaires trainaient à même le sol. Rien d'anormal jusqu'ici. C'était comme si rien n’avait changé depuis l'annonce, comme si elle n'avait jamais eu lieu.
À moitié rassuré, Shawn empoigna l'évier des deux mains.

« J'me sers un verre d'eau, poto.
— Fais comme chez moi.»

Dans un bruit de cascade, l'intrus porta un verre à ses lèvres, pensif. À peine eut-il fini qu'il releva d'une main un sac plastique, ramené pour l'occasion. L'agitant, il entama tout fier, à peine couvert par le léger bruit de froissement.

« J'ai réfléchi en venant, tu sais. J'me suis dis que si jamais c'est vrai ce qu'ils disent, on a plus aucune chance, alors vaut mieux ne pas y penser et se faire plaisir, quoi. Et si jamais ce n’est pas vrai, bah... On peut quand même se défoncer la gueule ! J'ai ramené le reste d'héro de ma soirée, que j'ai achetée... avec tes sous... Mais t'inquiètes ! Maintenant t'en as plus besoin du coup, hein, pas vrais ? Donc, tout va bien. Y'a un peu de coke aussi qu'on peut se taper en butant des zombis sur ta télé ! Trop puissant quoi ! Avoue chui un génie ! Bah allé quoi ! Bah quoi ? Dis pas merci, surtout !»

Gêné par le silence, le garçon finit par s'arrêter. Lâchant son sac plastique, il vint s'asseoir à même le sol, près du lit, dans l'attente d'une réponse. Celle-ci n'arrivant pas, son soupir se mua en questionnement :

« Qu'est-ce qui se passe, Loyd, relax j'te dis. Aaaaah je sais ! Tu veux un peu de poudre pour te changer les idées, hein ?!
— C'est juste que... dis-moi, quand est-ce qu'on a décidé de passer notre vie à sniffer des drogues mal coupées ? Quand a-t-on arrêté d'apprendre à s'améliorer ? Quand a-t-on cessé de grandir ?»

Fronçant les sourcils, le garçon ne sut quoi répondre. Jamais son ami ne lui avait parlé comme ça. Il devait sans doute avoir besoin de réconfort, mais quoi répondre... Ce dernier poursuivit, lui épargnant la dure tâche de la réflexion profonde :

« Je veux dire que même si on prend quelque chose de temps en temps, la vie est trop fragile pour être gaspillée. Plutôt que d'évoluer en bien, de faire des hommes de nous, nous avons passé notre temps à dispenser chaque instant de notre existence. Tant et si bien qu'on se retrouve maintenant seuls, face à nous-mêmes.»

Allongé sur le dos, il tourna doucement la tête sur le côté. Ses yeux, habitués à l'ambiance pesante, scrutèrent la moindre réaction de son interlocuteur. Devant sa totale incompréhension, son bras se leva pour s'écraser sur son ventre. Un revolver doré dans la main, le canon pointait le visage de l'adolescent. Mot après mot, Loyd questionna, attendant une réponse sincère :

« Dis-moi... Es-tu prêt à mourir ?»

Shawn serait tombé sur le cul s'il ne reposait pas déjà les fesses au sol. Interloqué, ses pensées s'embrouillèrent et ne purent former une réponse correcte.

« Bien sûr que tu n'es pas prêt à mourir...
— Putain vire moi ce flingue mec, paniqua-t-il. C'est quoi ton problème ?!»

Un simple revers du poignet envoya le revolver s'écraser au sol. L'éclat lumineux du métal précieux étincela brièvement, s'illuminant sur des pupilles dilatées au possible.

« Mon problème, répondit simplement Loyd d'une voix terne, c'est que je grandis.
— Putain tu me fais quoi là ?! T'es totalement défoncé ouais !
— Parle pour toi. Moi je n'ai jamais été aussi lucide, aussi éveillé de toute ma vie... Maintenant je sais. Je sais que tant qu'on n’est pas prêt à mourir, on n’est pas prêt à vivre. Pour vivre, l'esprit doit être serein. Si la mort nous tracasse à chaque instant, nous vivrons de manière à ne jamais rien risquer, dans des conditions déplorables... Et cela s'appelle la survie, ça s'appelle la peur. Tu vois, je viens de me rendre compte qu'on ne peut pas être dans le présent si on a peur de la mort, à cause de tout ce qui pourrait nous arriver. Seulement, on ne vit pas dans le passé, et on prend conscience du futur que quand celui-ci devient le présent. Tu saisis ? On ne peut s'épanouir que dans le présent. Alors, je ne prendrais pas tes putains de drogues. Je n'ai pas besoin d'oublier ce qui m'attend, puisque je n'en ai plus peur.»

Le calme plat retomba, comme un voile de silence. La philosophie de comptoir devait faire son effet ; la réflexion pesait de tout son poids sur l'ambiance morne de l'endroit. Finalement, Shawn hésita :

« T'as pris de l'excta, c'est ça, hein ?»

Loyd souffla du nez, amusé. Hier soir, il était revenu de loin. De vraiment loin, alors il était décidé. Il allait savourer le moindre instant. Seulement, alors que lui commençait à grandir et à prendre conscience des dures réalités de ce monde, son ami semblait n'être encore qu'un enfant, un cas désespéré. Mais tous deux auraient sans doute la chance de vivre plus longtemps que les autres. Les cachets aidant, un plan lui était venu à l'esprit. Cela dit, pour l'heure, autant profiter d'être ensemble, puisque rien ne pressait.

« Non»

Un sourire au bord des lèvres, l'affirmation avait tranché, aussi simplement. Mais Shawn ne lâchait pas, et poursuivait aléatoirement en faisant mine de réfléchir. Saisissant son menton entre le pouce et l'index, il affirma d'une voix indubitable :

« De la Meth !
— Raté
— Cock, Hero, Acide, Morphine, Kétamine, Croko?
— Encore loupé !
— Allé quoi, t'as pas juste fumé. Tu crois que j'ai pas vu la taille de tes pupilles ? On voit même plus la couleur de tes yeux.
— Serieux ? Loyd se redressa brusquement en s'asseyant en tailleur, avant de s’assainir. On est dans le noir, je te rappelle !»

Au pied du lit, le garçon laissa ses yeux se balader quelques secondes, n'y croyant pas. Ceux-ci s'arrêtèrent rapidement sur une pile de petites boites rectangulaires. Des médicaments de pharmacie. Triomphant, il s'en saisit d'une et peina à déchiffrer l'écriture.

« Putain on voit queudall ici, se plaigna-t-il en gesticulant, j'arrive pas à lire. Am... Ampa... Lex. Et attends celle-là c'est Piracétam... Et là Faram... Farampator. Sérieux, c'est quoi ces médocs avec des noms de conquérants ?!
— Des pilules contre Alzheimer.
— Hein ? Mais pourquoi t'as pris ces trucs ? Ça défonce bien ?
— Même pas, mis à part une énorme migraine. Mais... je crois que je commence à comprendre...
— Ouais, c'est ça, c'est ça, je crois que tu cernes bien ta stupidité. Moi j'vais fumer un peu d'poudre, je ne touche pas à tes conneries. Ça peut qu'être mauvais, si c'est donné à des petits-vieux qui agonisent.»

Décidément Shawn pouvait être vraiment con, mais qu'importe. Plus jamais il ne se laisserait marcher dessus. Ses geôliers allaient payer pour ce qu'ils lui avaient fait... Payer cher. Lorsque son ami ouvrit un pochon de plastique pour étaler un peu d'héroïne sur une feuille, Loyd ferma les yeux. Son coeur battait la chamade depuis que la dose de cachet avait été ingurgitée. Ça, et le mal de crâne semblaient fluidifier chacune de ses pensées. Pour la première fois de sa vie, il comprenait. Cette compréhension n'était aucunement comme une révélation divine semblable à l'effet de quelques hallucinogènes, ou un sentiment de tout connaitre, de puissance absolue due à la cocaïne, non... C'était bien plus profond...

Véritablement, les images se concentraient dans son esprit, les situations s'étalaient sous ses yeux à la manière d'un jeu de cartes. Se donnant l'impression d'un joueur d'échec professionnel, chaque action s'étayait d'une dizaine de retour. À la manière d'un arbre ramifié, de racines plongeantes aux tréfonds de la planète, son chemin était tout tracé. Il savait où aller, et comment s'y rendre.

Sans avoir besoin de se concentrer une seule seconde, le flot de ses pensées s'accentuait en torrent. Filantes à une allure folle, celles-ci le précipitaient dans ses souvenirs. Victime de son état de transe, il ne pouvait bouger, tandis que Lawrence s'exécutait. Devenu comme fou, son revolver doré perforait le crâne de la seconde sentinelle. Un black-out... Et Loyd savait qu'il le crèverait lui-même...
Inconsciemment, lorsque le meurtrier lui avait jeté son arme dans les mains pour qu'il exécute son futur travail, il savait qu'il le tuerait avec son propre pistolet. Que cette arme défierait les probabilités, que ce revolver plaqué or l'aiderait à lui coller une balle en pleine tête. Et même si la logique lui hurlait que la colère ne servait à rien, ses émotions n'étaient pas contrôlées par les cachets ; ceux-ci pouvaient que l'aider à acquérir ce qu'il désirait et non pas le changer en quelqu'un de meilleur. Alors, fier de sa résolution, l'adolescent retourna quelques minutes en arrière, dégouté par le meurtre qui s'était déroulé sous ses yeux...

Se tenant derrière la porte de l'entrepôt, la discussion s'étalait tel le fil d'un roman, un livre qu'il aurait pu lire et relire à souhait. Les bruits s'amplifiaient, parvenant à ses oreilles plus forts et limpides que jamais.

« Dès demain, des billets seront en circulation. Nous serons donc chargés de les détourner pour les revendre aux plus offrants. Simple comme bonjour. Ainsi, nous pourrons no...»

Un reniflement brusque le ramena à lui-même. Ouvrant la porte de la réalité, il se sentit basculer dans un autre monde. Le nez de son ami se teintait encore de blanc. La poudre aspirée, celui-ci penchait la tête en arrière. Un sourire béat au coin des lèvres, il ne serait pas revenu de son trip avant quelques heures.
Alors, Loyd se rallongea sur le dos, les bras croisés derrière la nuque. Emportée par la musique, sa voix sereine assura :

« On s'en sortira, Shawn. Cet après-midi j'irais faire mon boulot. Je reviendrais avec nos passeports. Nos laissez-passer pour un monde meilleur.»


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