Cette histoire est l'histoire d'un puits. Non pas un simple puits, non, il s'agissait en réalité d'un puits magique, où tous ceux qui auront le malheur de boire l'eau qui y est contenue, se verront privé de tous sentiments. Nombreux furent les malheureux qui, par mégarde et assoiffés, auront, sans vraiment connaître la légende ou la niant tout simplement, bu de cette eau sale, se séparant de la joie, de la tristesse, de la jalousie et de tout autre sentiment. Certains considérés cela comme un bienfait, ils disaient que cette eau purifiait l'esprit et c'est ainsi que, rapidement, la population du village, fanatiques ou simplement maladroits, rendirent leur âme libre de tous sentiments. Mais, et fort heureusement, certains restèrent éloignés du puits, souhaitant pouvoir profiter du plaisir que procurent les sentiments, bons ou mauvais soient-ils - ils rendaient les gens tout simplement humains. C'était le cas de ces deux amis, un jeune garçon et une jeune fille. Ces deux-là s'entendaient à merveille et profitaient d'une amitié pure sans ambiguïté. Ils passaient le plus clair de leur temps ensemble, au plus grand désarroi du fiancé de la demoiselle. Celui-ci, jaloux comme un pou, ne ratait guère la moindre occasion d'enfoncer l'ami de sa promise dans la boue. Non, définitivement non, il ne lui piquera pas sa demoiselle. Le garçon trouvait d'ailleurs cette attitude injuste, car ses intentions envers son amie étaient pures. Jamais, au grand jamais, n'avait-il imaginé la charmer. Sa peine était d'autant plus grande que même son amie n'allait pas à l'encontre de son amant, ne prenant, pas un seul instant, la défense de son cher ami. Elle se disait tout simplement incapable de le fâcher. Ah, comprenez la, elle n'avait d'autre choix que de l'aimer, elle qui n'avait connu que lui et qui devrait l'épouser d'ici quelques semaines à peine. Mais le garçon ne désespérait pas, il se disait que, après tout, il pouvait toujours passer du temps avec elle et que, finalement, c'était tout à fait normal d'être jaloux dans une telle situation. Enfin ! C'est vrai, il passait bien plus de temps avec elle que lui, que pouvions nous lui reprocher, si ce n'est que son attitude agressive ? S'il refusait qu'ils se voient seuls de temps à autre, c'était uniquement pour la protéger. S'il refusait qu'ils se côtoient en public, mais sans sa présence, c'était uniquement pour la protéger ! Quoi qu'il en fut, le jeune garçon décida de s'éloigner quelque peu de son amie, non pas qu'il l'appréciait moins, au contraire, il voulait tout simplement lui éviter les foudres de son futur époux.

Une fois le mariage atteint, le fameux jour, il était là. Il attendait, au fond de la salle, patient. Il se dit que, le jour de ses noces, il n'irait pas de lui-même vers elle, de peur de provoquer dispute au sein du couple. Il attendait donc. Il attendit toute la soirée durant, mais rien. Jamais elle ne vint à sa rencontre. Il douta même qu'elle sut qu'il était présent. Il fut touché d'un grand chagrin. Sa peine fut telle, que lorsque le banquet approchait de sa fin, il se rendit au puits et s'y pencha alors légèrement. Regardant le fond, une malheureusement goutte tomba de ses yeux pour aller faire vibrer l'eau qui, jusque-là, était inerte. Il vit les grands cercles se former dans l'eau et aller à l'encontre des parois du puits. Il entendit soudainement un bruit, puis une main vint se poser sur son épaule. Surpris, il se retourna vivement et, stupéfait, se figea net face au visage trempé de larmes de son amie. Les deux restèrent immobiles un instant, avant de s'enlacer tendrement. Rien ne pouvait plus interrompre ce doux moment affectif. La jeune mariée s'excusa alors d'avoir ignorée son ami, qui lui pardonna évidemment. Ce moment attendrissant était sans compter le mari, fou de rage, qui sépara les deux compères d'un geste violent. Le jeune garçon se retrouva à terre, tandis qu'il commençait à se faire frapper. Incapable de répliquer, de peur de perdre son amie, il se contenta d'encaisser les coups dans la douleur. Mais la jeune fille ne se contenta pas de regarder la scène, elle tenta d'intervenir et se fit repousser violemment par son amant, pour finir sa course dans le puits. Les deux garçons virent la scène, impuissant. Elle venait de tomber dans le puits. C'était fini, plus aucun sentiment ne pourrait parcourir son esprit. Son mari accouru alors pour la faire sortir de cet engin du diable. Mais le verdict fut rapidement donné. C'est en voyant son visage vide d'émotion que les deux comprirent qu'il n'obtiendrait plus jamais rien d'elle. Une fois sortie du puits, elle observa les deux garçons et s'en alla rejoindre son logis. Le mari, abattu, bu désespérément une grande quantité du liquide démoniaque et subit alors le même sort que sa femme. Le garçon, quant à lui, n'abandonna pas aussi facilement et des semaines durant, tenta de redonner le sourire à sa si précieuse amie, en vain. À bout de forces, il jeta l'éponge et se rendit de nouveau au puits. Il regarda à nouveau le fond, mais cette fois, aucune larme ne coula. Il savait que cette si douloureuse peine avait déjà détruit intégralement tout sentiment en lui. Il se dit qu'une vie sans émotions ne valait pas le coup et, plutôt que de boire l'eau, il y plongea après s'être entaillé la gorge. Sa mort fut douloureuse mais rapide. Il était le dernier à être doué de sentiments et il s'éteint dans le puits qui avait privé tous les habitants du village de ceux-ci. Depuis ce jour, on raconte que tous ceux qui boiront l'eau du puits retrouveront leurs sentiments.

Cependant, personne ne s'est plus jamais approché de celui-ci pour vérifier cette théorie.